Maroc-Espagne: Une décision courageuse
Par M. Ali Achour, ancien ambassadeur
En diplomatie, comme dans la vie courante, l’idéal est qu’à l’issue d’une négociation, chacune des parties estime qu’elle a gagné quelque chose, -ou qu’elle n’a pas trop perdu. Dans la relation Maroc-Espagne, il ne s’agit pas de gagner, mais de trouver un compromis dans lequel chacune des parties trouve un motif de satisfaction. De ce point de vue-là, le triomphalisme n’est pas de mise, les cris de victoire sont même inconvenants.
Il est des décisions difficile à prendre, mais c’est la rançon du pouvoir. C’est la responsabilité d’un dirigeant politique de prendre des décisions qui, parfois (souvent), sont déplaisantes ou impopulaires. À cet égard, la décision du président Sanchez de reconnaître la primauté de la proposition marocaine d’autonomie est celle d’un homme d’État qui mérite notre respect. Le président a agi en ayant présents à l’esprit les intérêts supérieurs de l’Espagne et uniquement ses intérêts. Sa décision courageuse n’est pas dirigée contre une partie au détriment d’une autre. L’Espagne aspire à avoir de bonnes relations avec tous ses voisins, elle n’est pas l’ennemie de l’un et l’amie de l’autre.
La décision du président espagnol n’a certainement pas été facile, compte tenu de la sensibilité de la question du Sahara en Espagne et des remous que cette décision ne pouvait pas ne pas susciter, – et qu’elle a de fait provoqués. Cette décision, pour le moment incomprise en Espagne, sera plus tard saluée comme il se doit.
L’Espagne emprunte la même voie que d’autres pays. Mais l’Espagne n’est pas un pays quelconque. C’est notre voisine et c’est l’ancienne puissance coloniale du territoire.
Sagesse et pragmatisme
L’Espagne, dans la question du Sahara, a observé depuis 1975 une difficile neutralité, malgré une opinion publique et des médias largement favorables aux thèses de l’Algérie et du polisario. Auparavant, elle s’était alliée avec l’Algérie pour contrer le Maroc.
Depuis lors, les gouvernements successifs à Madrid ont essayé tant bien que mal de maintenir cette attitude de « neutralité » assortie d’un soutien à « une solution négociée entre les parties ». Aujourd’hui, 47 ans après avoir quitté le Sahara, l’Espagne a opéré une révision déchirante.
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Peut-on se nourrir éternellement de slogans et se bercer d’illusions en s’accrochant à un processus onusien qui s’éternise, qui a montré ses limites et qui se trouve dans une impasse ?
Faut-il continuer à se voiler la face et persister dans une attitude qui ne mène nulle part ?
D’autres pays peuvent le faire, pas l’Espagne. Même si elle n’a plus d’obligations légales vis-à-vis de son ancienne colonie, dont, faut-il le souligner, elle a cessé d’être la puissance administrante en 1976, elle ne pouvait pas regarder en spectateur impuissant un différend chez ses voisins proches menacer la paix et la stabilité régionales.
Sanchez avait le choix entre le maintien du statu quo ou une initiative audacieuse pour aller de l’avant.
Il a opté pour la sagesse et le pragmatisme. C’est de cela qu’il s’agit et pas d’autre chose. Ni de « trahison », ni d' »imprudence », ni de « reddition ». Qu’a fait Sanchez ? Il n’a pas « remis » ou « abandonné » le Sahara au Maroc. Il n’a pas violé le droit international ni failli au devoir (moral) de l’ancienne puissance coloniale. Sanchez a dit que « l’initiative marocaine d’autonomie est la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend » au sujet du Sahara marocain. Ni plus ni moins. Il a exprimé un choix, sur la base de données historiques et objectives, en faisant sienne l’option qui a été validée par le conseil de sécurité des Nations unies et endossée par plusieurs pays. Il ne se substitue pas aux parties, c’est à elles de négocier la mise en œuvre de ce statut d’autonomie.
Ce faisant, Pedro Sanchez a rendu justice au Maroc et à son peuple, unanimement mobilisé derrière son roi pour clamer haut et fort la marocanité du Sahara. Par la même occasion, le chef du gouvernement espagnol a été attentif à la souffrance de milliers de « réfugiés » qui sont astreints depuis plusieurs décennies à survivre dans des conditions inhumaines, victimes de l’aveuglement et de l’obstination des dirigeants algériens.
Le geste de Pedro Sanchez est lourd de conséquences. Il provoquera à n’en pas douter un spasme et une prise de conscience qui ne peuvent qu’être salutaires. D’autres suivront, les hésitants devront sortir de leur zone de confort.
Gracias, Señor Sanchez.
On ne peut que se réjouir que le « matelas d’intérêts » cher au PSOE ait enfin fonctionné, en attendant la mise en œuvre du Traité d’amitié, de coopération et de bon voisinage.
Certains, en Espagne, saisissent l’occasion pour dire tout le mal qu’ils pensent de leur voisin du sud, ce « voisin inconfortable » qu’on aime détester. Ce voisin veut être respecté et traité en partenaire égal. L’idée a creusé son chemin chez les socialistes, avec lesquels le Maroc a traditionnellement de meilleures relations et chez nombre d’intellectuels et de journalistes.
Sur un autre plan, le Maroc ne menace ni l’intégrité territoriale de l’Espagne ni les eaux canariennes, il défend ses droits. S’agissant de Sebta et Mélilia, le Maroc ne vise pas à « asphyxier » les deux villes occupées, mais veut légitimement développer la région et offrir aux habitants d’autres perspectives que la contrebande.
Reste l’Algérie. La décision de Sanchez, à en croire certains, aurait mis l’Espagne « dans une impasse » avec ce pays, fournisseur de gaz. Alger a effectivement qualifié le changement de position de l’Espagne de « seconde trahison » (= après celle de 1975). L’ambassadeur algérien à Madrid a été rappelé pour des consultations.
Personne, à ma connaissance, n’a encore posé une question qui, à mes yeux, est fondamentale : En quoi l’Algérie est-elle concernée ? Ce pays accueille certes sur son sol quelques 40.000 personnes originaires de Oued Eddahab et Saguia el Hamra, qui sont présentées comme « refugiés ». Mais, outre que ces pauvres hères sont en réalité des otages utilisés dans un bras de fer qui les dépasse, cela n’autorise pas les dirigeants algériens à se mêler d’une question qui ne les regarde absolument pas. Ils peuvent avoir leur avis sur la question, comme tout un chacun. Ils peuvent même être pro-polisario, d’autant plus qu’ils soutiennent, arment et entrainent Ghali et ses hommes. Mais leur réaction de colère dépasse de très loin l’attitude d’un Etat qui prétend depuis 1975 qu’il n’est pas impliqué dans le différend. Cette mauvaise humeur prouve le contraire.
C’est là une autre conséquence de la décision de Sanchez : Pousser ceux qui se cachent à sortir de leur tanière et à jeter le masque.