Pourquoi l’Occident est en déclin ?

Par Gabriel Banon *

L’Occident est un groupe formé par les Alliés nord-américains, européens (UE, Royaume-Uni et autres membres européens de l’Otan), auxquels s’ajoutent, dans le Pacifique Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ce n’est pas, loin s’en faut, le monde entier, mais la partie la plus riche et la plus avancée du monde. Depuis l’implosion de l’URSS, l’Occident a été considéré comme le modèle triomphant.

Depuis, cet Occident s’est trouvé progressivement sur la défensive. Jusqu’à la guerre ukrainienne où un régime différent semble avoir estimé qu’il était temps de passer à un monde post-occidental.

Des valeurs libérales « obsolètes » selon Vladimir Poutine (en 2019), une démocratie synonyme de désordre pour Pékin, la revendication d’une nouvelle gouvernance « illibérale » pour plusieurs forces politiques au sein de l’UE, et aujourd’hui, plusieurs sociétés du Sud, par leur lecture de la situation internationale, le ressentiment de leurs populations à l’égard de l’hégémon américain, de ses erreurs, remettent en question leurs alliances avec ces pays, anciens colonisateurs…

Qu’est-il arrivé à ces puissances occidentales ? Comment ont-elles perdu et à quel moment, leur crédit international ? « What went wrong ? » diraient les anglophones.

Des choix hasardeux et des valse-hésitation pour des sujets essentiels aux yeux des anciens colonisés, des stratégies de blocage dépassées.

Après tant de stratégies éculées et plusieurs combats illusoires, l’Occident démocratique libéral devrait se réinventer.

Dès le début de la guerre froide, l’Occident avait adopté un vocabulaire défensif. On visait déjà le « containment » contre Moscou. C’était pour « endiguer » la progression du communisme. La guerre de Corée, celle du Vietnam, le soutien aux combattants afghans des années 1980 furent commandées par cette vision. Au crépuscule de la bipolarité, c’est Saddam Hussein que l’on érigea en menace après son invasion du Koweït, en 1990, puis que l’on démit en 2003. Milosevic aussi, après la guerre du Kosovo en 1999.

Progressivement, les Occidentaux abandonnèrent l’action militaire au profit d’une politique de sanctions, le blocage économique succédant aux invasions militaires. Les sanctions extraterritoriales américaines punissent quiconque ne respectait pas les lois américaines visant à isoler un pays.

Si cette stratégie de l’endiguement vise à donner des coups d’arrêt et à punir, à éviter la guerre chez soi, elle écorne l’image d’un certain rêve américain, pour imposer celle d’un gendarme du monde autoproclamé, détesté de plus en plus en plusieurs points de la planète.

Trois stratégies, cette fois, plus offensives, mais illusoires et, au final vaines, ont achevé de ruiner le crédit qu’on accordait aux États-Unis et leurs alliés européens ou anglo-saxons. La première a consisté à transformer une « guerre contre la terreur » en une croisade pour les « changements de régimes ». Une guerre simpliste, car la « terreur » n’est pas un acteur identifiable, c’est plutôt une multitude de dynamiques à la fois sociales et politiques, différentes d’un pays à l’autre, d’un groupe à l’autre. La guerre hasardeuse entreprise, passant de la lutte c’est-à-dire en voulant rendre l’autre semblable à nous-mêmes. Inclusion-adhésion, le rapport de l’Otan aux pays d’Europe centrale et orientale. Inclusion-adhésion, le rapport de l’UE à son voisinage à travers les procédures (exigeantes et parfois humiliantes) de la candidature. Cette adhésion a toujours été souhaitée par les sociétés concernées. Mais des formules alternatives ont cruellement manqué, et pèsent, aujourd’hui, sur la relation de l’UE avec la Turquie, ou la Serbie, entre autres.

L’Occident, sûr de lui-même, arrogant et suffisant, a refusé de reconnaître la capacité de l’autre à inventer son propre progrès, à écouter les besoins avant de donner des leçons.

Enfin, l’assimilation voulue était fondée sur le tout-libéral, et le sentiment de supériorité, tout comme les injonctions de bonne gouvernance prodiguées par la Banque Mondiale, le FMI et d’autres institutions pratiquant la conditionnalité dans leur offre d’assistance. Aujourd’hui, d’autres puissances comme la Chine mettent en œuvre des institutions concurrentes, qui n’exigent plus les mêmes réformes douloureuses.

L’Occident impopulaire, victime expiatoire de temps d’erreurs, peut-il redorer son blason ? Le veut-il ? Réalise-t-il son déclin ?

Il lui faut, avant toute chose, admettre la pluralité des modèles de développement. Des voies nationales sont possibles, qui ne peuvent suivre les recettes tracées par les puissances occidentales les plus industrialisées. Reconnaître les capacités des autres à inventer et créer, écouter les besoins avant de donner des leçons, voilà qui illustrerait la nouvelle pluralité du monde.

Le monde ne peut plus être gouverné comme au temps de la découverte de l’Amérique ou de Savorgnan de Brazza en Afrique. Les populations sont, aujourd’hui, pour une grande part, éduquées et surtout informées, pratiquement en temps réel.

La démocratie libérale peut trouver de nouveaux souffles salvateurs dans d’autres laboratoires que les siens. Les démocraties asiatiques (Japon, Corée du Sud, Taïwan…) ont beaucoup à offrir. Admettons aussi que, même l’Amérique latine, malgré le retour des populismes, a beaucoup innové dans la gestion institutionnelle du multiculturalisme, la reconnaissance des droits des populations indiennes, etc.

L’Occident est en train de tomber dans l’abîme de l’identitarisme qui révulse ailleurs, où l’on croit toujours à la nation comme « plébiscite de tous les jours » (Ernest Renan) et comme un tout, plutôt que comme une addition de minorités.

La guerre faite par la Russie à l’Ukraine pourrait constituer un tournant, qui verrait les démocraties libérales occidentales se réinventer, retrouver une partie de sa grandeur, plutôt que rester obsédées par le statu quo.

Hélas, il n’en prend pas le chemin, toujours persuadé être le seul à détenir la vérité.

* Consultant international, géopoliticien

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