Quand la santé et l’éducation crient leur malaise

 

Houcine El Ouardi, du sursaut à la bousculade

Fallait-il prendre tout ce détour et faire perdre aux futurs médecins – et surtout à l’État – deux longs mois pour un projet qui a, dès son annonce, fait des dégâts ? Fallait-il passer par tant de manifestations et de grèves pour se rendre compte qu’il y a des moments où la flexibilité est de mise surtout quand il est question de l’avenir de nos enfants et de la santé du citoyen ? Fallait-il s’entêter et persister en lançant des défis aux étudiants «ou vous ou moi !» ou encore «libre à eux s’ils veulent une année blanche ou noire» ?

En imposant son tir au poignet aux futurs médecins, le ministre de la Santé,Houcine El Ouardi, était à mille lieues d’imaginer la tournure que prendraient les choses. Ce qui est sûr aujourd’hui c’est qu’il a perdu son tournoi de bras de fer devant des étudiants animés par une force de résistance inébranlable qu’ils ont su mettre en exergue le mercredi 28 octobre dernierlors de leur manifestation qui nous a interpellés à plus d’un égard. C’est en effet une marche qui est venue pour remettre les choses dans leur cadre sans laisser l’ombre d’un doute au gouvernement que les manifestants ne se laisseraient pas faire et qu’ils refusaient toute solution palliative ne serait-ce que pour un laps de temps – indéterminé. Et c’est pour faire entendre leur cri, une voix très forte comme celle d’un stentor sorti de l’Iliade pour dire «Nous résistons et nous n’avons pas peur d’une année blanche» qu’un spectacle solennel de vagues blanches de manifestants a couvert les lieux devant le ministère de la Santé et devant le Parlement.

Dès lors, tous les Marocains ne peuvent plus se soustraire à cette affaire devenue celle de tout un peuple. Elle sera gravée dans l’Histoire du ministère de la Santé du Royaume puisque c’est la première fois que de futurs médecins ont boycotté l’année universitaire qui, au lieu de commencer le 1er septembre, n’a été entamée que le mercredi 4 novembre. Nous sommes tous concernés parce qu’il y va de la santé des citoyens étroitement liée au sort de ces étudiants immuables dans leur détermination et leurs revendications.Ce bras de fer, qui a longtemps duré, n’a fait que fragiliser davantage le gouvernement qui s’est montré défaillant quant à la gestion de ce dossier dont on a voulu faire un point d’honneur pour les dirigeants qui se sont montrés, dans un premier temps, solidaires avec le ministre de la Santé avant de commencer à tirer la couverture chacun de son côté à partir du moment où la situation a commencé à se compliquer.

La marche de «La Résistance»

Le mercredi 28 octobre, des milliers d’étudiants en médecine ont manifesté contre le projet de loi instituant le SMO de deux ans. Cette manifestation a été décidée après deux mois de grève et après moult rounds de «dialogue» avec Houcine El Ouadi, puis Lahcen Daoudi et finalement AbdelilahBenkirane. Le lundi 26 octobre, le ministre de la Santé et celui de l’Enseignement supérieur ont annoncé par le biais d’un communiqué considéré «flou» par les étudiants que les indemnités seraient augmentées et payées plus rapidement et que le projet de service médical obligatoire dans les régions enclavées allait être suspendu en attendant de trouver un accord définitif avec les étudiants ou une solution alternative. Mais contre leur attente, ces derniers ont rejeté les solutions proposées par le ministère parce qu’ils les trouvaient palliatives sans pour autant résoudre les vrais problèmes. Aussi, ont-ils refusé toute solution momentanée.

Toutefois, et malgré le recul du gouvernement, les étudiants, inébranlables dans leur position, ont maintenu leur manifestation, conscients de leur position de force face à une gestion déficiente de la part du gouvernement. Tant et si bien qu’ils ont signé et persisté qu’ils ne reprendraient les cours que si le ministre de la Santé fournissait un engagement écrit sur tous les points ayant fait l’objet d’un accord.

Le projet de la colère

Ce projet initié par le ministre visait à instaurer un service médical obligatoire de manière à améliorer le niveau du secteur de la santé et faciliter l’accès aux soins aux citoyens des zones défavorisées, notamment dans le milieu rural. Cela ne pouvait qu’être applaudi pour l’intention louable du ministre.Or, il a été catégoriquement rejeté par les étudiants des cinq facultés de médecine du Royaume et par les médecins internes et résidents. Ceux-ci ont été appuyés dans leur manifestation par des médecins des deux secteurs public et privé ainsi que par les parents qui – loin de se sentir une partie de cette problématique – sont tout de même conscients que les doléances de leurs progénitures relèvent de leur plein droit et ont accompagné, de loin, les étudiants pour montrer leur soutien sans faille à cette cause estudiantine qui risquait d’être un coup de massue pour la médecine au Maroc.

Si pour réaliser son rêve de devenir médecin, on doit faire entre huit et treize ans d’études afin de décrocher son diplôme, comment peut-on imposer deux autres années à un cursus déjà long sans que ce ne soit dans le cadre d’intégration dans le secteur public ?«Il ne résulte pas du contrat énoncé, dans aucun cas, le droit à la titularisation» directe, précise l’article 17 du projet de loi. Comme si le taux de chômage continuellement en hausse ne suffisait pas !

Pour ainsi dire, bien des bacheliers des années à venir abandonneront, probablement, leur rêve qu’ils ont longtemps nourri et caressé si monsieur le ministre persiste encore dans son entêtement et dans ses décisions imprévisibles.

Il est vrai que tout citoyen marocain a droit aux soins médicaux. Il est vrai que le ministère de la Santé avait soulevé un énorme déséquilibre dans la répartition des médecins et cadres paramédicaux dont 45%, selon le ministère, seraient installés à Rabat et à Casablanca, c.-à-d. deux régions sur douze. Mais qui est responsable de cette aberration et de cette absence de ventilation ? Ce ne sont certainement pas les médecins qui décident, valident et signent leurs affectations !

Récupération sans résultats

Voyant qu’un terrain d’entente n’était pas prévisible entre les deux parties, le chef de gouvernement a voulu arrondir les angles en recevant, vendredi 23 octobre, les représentants des étudiants en médecine ainsi que les médecins internes et résidents pour discuter de l’ensemble des revendications. Rencontre qui s’est soldée par la déception des étudiants qui n’ont pas trouvé d’écoute de la part du chef de gouvernement dont les paroles ont balayé tout l’espoir qui planait autour de cette entrevue. «Il est difficile de répondre par l’affirmative à vos revendications», leur dira-t-il en brandissant en étendard les charges du budget de l’État.

Par ailleurs, ces étudiants sont dans la légitimité absolue dans leurs revendications surtout quand on sait qu’ils n’ont jamais été contre le fait de servir les habitants des régions défavorisées comme l’a prétendu le ministre de la Santé. En choisissant ce métier noble, ils se vouent, de prime abord, au service des citoyens dans les quatre coins du Maroc. Mais ils demandent à ce qu’ils le fassent dans le cadre de l’intégration de la fonction publique. Or, ce service obligatoire – d’après les étudiants –allait servir à les exploiter durant deux années avant de les propulser dans les méandres de l’inconnu. On a su monter les citoyens contre les futurs médecins qu’ils ont classés d’emblée dans la catégorie des «charcutiers» et des «cupides». Pourtant, c’est pour fuir le privé et c’est pour se tenir au service du Marocain lambda qui n’a pas de moyens pour se faire soigner que les étudiants ont manifesté plus d’une fois.

 Que d’anachronismes à réfuter!

Ce projet de loi qui a fait déborder le vase risquait – s’il était maintenu et voté – de creuser un énorme cratère entre les étudiants du public et ceux du privé. Non seulement ils se regarderaient en chiens de faïence, mais la rage et la haine sociales auraient atteintleur paroxysme ! Ces étudiants des universités privées ne sont-ils pas initialement favorisés par la vie et surtout dès leur accès à cette université, eux qui n’avaient pas à se soucier du seuil «infranchissable» qui constitue la hantise des étudiants en plus du concours presque inaccessible ? Et pour comble de grâce, les étudiants des universités privées n’étaient pas concernés par le nouveau projet de loi, comme le précise l’article 20 de l’avant-projet de loi sur le SMO. Il est exclu de l’application de cette loi «les médecins militaires, ainsi que […] les détenteurs de diplômes d’établissements de l’enseignement privé ou d’établissements de l’enseignement supérieur affiliés à des institutions à but non lucratif».

Les réalisations du ministre de la Santé

C’est l’évidence même et il serait injuste de vouloir le nier, le ministre de la Santé Houcine El Ouardi, persuadé que le système de santé souffre de problèmes structurels nécessitant des actions «audacieuses», a osé et réussi certaines opérations que bien d’autres avant lui ne se sont même pas hasardé à approcher.

En plusdu Régime d’assistance médicale Ramed, le ministère de la Santé a procédé à la réduction des prix de près de 1700 médicaments majoritairement utilisés par les malades souffrant de cancers, de diabète, d’asthme ou de maladies cardiovasculaires.

Par ailleurs, le don d’organes a connu une promotion sans précédent grâce à monsieur le ministre allant même jusqu’à mettre sur les rails, en collaboration avec le ministère des Habous et des affaires islamiques, un programme salutaire qui consiste en la formation et la sensibilisation de quelque 50 000 imams dans ce sens pour préparer ceux-ci à pouvoir convaincre les gens et les accompagner afin de faire don de leurs organes.

Force est de constater aussi que le ministère de la Santé est, depuis 2012, à cheval sur la qualité du matériel médical et le contrôle des ventes de tout équipement mis au service du corps médical. Et bien sûr, le grand exploit du ministre était l’évacuation du siteBouya Omar, où les malades mentaux subissaient des pratiques inhumaines et moyenâgeuses,qui avait longtemps entaché l’image du Royaume même si le devenir de ces malades pose toujours un grand point d’interrogation. Le ministère de la Santé a connu une autre avancée, celle de la mise en activité de trois hélicoptères (Héli SMUR) pour Marrakech, Oujda et Laâyoune.

Tout cela est bien entendu salutaire et le passage du ministre Houcine El Ouardi ne sera pas inaperçu et serait un mandat presque parfait s’il ne persistait pas dans le bras de fer dans sa gestion des problèmes.

Le soulèvement des blouses blanches

C’est dire que l’année 2015-2016 s’est annoncée sous le signe de la guerre entre les futurs médecins et le ministre de la Santé.

Et comme une grève ne vient jamais seule, les blouses blanches se sont passé la contagion. Si les étudiants-médecins ont enfin repris leurs cours, les médecins internes et résidents maintiennent leur grève depuis le 1er octobre. N’étant pas satisfaits des promesses du ministre de la Santé, ils exigent l’amélioration des conditions de travail dans les CHU, une augmentation de salaire, la rémunération des gardes assurées chaque mois, la révision de leur statut et la réhabilitation financière du doctorat en médecine (le diplôme obtenu équivaut à un master au lieu d’un doctorat !). Ainsi, le ministre de la Santé n’est pas sorti de l’auberge même si les facultés de pharmacie et de médecine ont repris vie. En effet, les médecins internes et résidents, dans une première au Maroc, entament une procédure auprès des tribunaux administratifs de plusieurs villes du Royaumecontre Houcine El Ouardi pour ponction de salaire des médecins grévistes et retard des rémunérations de garde qui date de 2007.

«Après obtention d’un Bac scientifique avec mention très bien, puis d’un doctorat en médecine avec mention très honorable, je deviens médecin interne pendant deux ans et puis résidente en cardiologie au sein du CHU Hassan II de Fès. Je fais des consultations, je fais énormément de gardes et je ferai bientôt des astreintes. J’ai une famille et un enfant. Avec un Bac + 12, je suis payée à 3500 DH et je n’ai même pas de couverture sanitaire…» N’est-ce pas là un témoignage plus que désolant ?

L’heure est grave ! Et si le gouvernement continue à ignorer les doléances des médecins internes et résidents, c’est le citoyen qui encaissera, encore une fois, les coups puisque les CHU et les services d’urgences seront désertés. D’autant plus que 3600 médecins résidents menacent de démissionner !

Et parce que nous sommes habitués aux résolutions improvisées et surtout intempestives prises à la hâte avec comme seul but de remédier de façon temporaire, la série des manifestations reprend de plus belle dans un autre ministère. D’autres blouses blanches viennent se joindre à l’immense masse qui déferle et qui menace de soulever d’horribles tempêtes qui s’abattront, cette fois-ci, sur le ministère de l’Éducation nationale.

C’est ainsi que les futurs enseignants ou «étudiants stagiaires» (et non enseignants stagiaires) emboîtent le pas à leurs concitoyens en médecineet boycottent les cours pour crier leur révolte contre les décrets ministériels adoptés par le gouvernement, le 23 juillet 2015, qui instaurent un nouveau système de bourses dont le montant mensuel passe de 2450 à 1200 DH, en plus de l’organisation de concours et du système de contrats qu’on veut introduire dans la fonction publique.

Le temps n’est-il pas encore venu pour se dire que les résolutions palliatives et surtout abusives du gouvernement, loin de servir le citoyen marocain, le plongent encore plus dans l’opacité d’un avenir aléatoire ? Il est clair que la Santé et l’Enseignement sont dans le collimateur sous recommandations de la Banque mondiale, et des résolutions hasardeuses ne peuvent que fragiliser encore plus ces maillons déjà faibles dans notre pays.

A quand une vraie vision stratégique gouvernementale ?

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