Quand les chasseurs de têtes de l’ailleurs nous dérobent nos cerveaux

Dossier du mois

Par Ahmed Benbouzid Jerrari, D.G. MicroEntreprendre

De la fuite des cerveaux à la mobilité circulaire

À l’ère de l’économie du savoir, le talent devient une denrée très recherchée et l’or gris se fait la matière intangible la plus convoitée.

Pour ne citer qu’un exemple, au Canada, toutes les études menées, ces dernières années, auprès des entreprises pour identifier leurs défis, la pénurie de main d’oeuvre sort comme étant la préoccupation numéro un pour plus de 70% des entreprises. La croissance de beaucoup d’entreprises est en effet ralentie ou carrément freinée par la pénurie de main d’oeuvre.

Un contexte international favorable à la mobilité

Cette situation est essentiellement due à quatre facteurs : Une conjoncture favorable de plein emploi, un vieillissement accéléré de la population, la fameuse inadéquation entre la formation et les besoins du marché de travail et, enfin, la célérité de l’évolution technologique. À cet effet, le secteur des TI (Technologies de l’Information) reste le secteur pour lequel le besoin en acquisition de talents est le plus criant.

De façon encore plus macro, nous assistons à plus de mobilité internationale incluant ce qu’on appelle le créneau des travailleurs stratégiques et étudiants internationaux. On estime à pas moins de 250 millions le nombre des personnes mobiles dans le monde, soit l’équivalent de la population de la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie réunies!

Le cas du Maroc

Et le Maroc dans tout ça? Il assistera durant les prochaines années à une vague des Félix Mora des temps modernes : des cabinets en ressources humaines, à la chasse de tous ceux qui ont une qualification professionnelle et qui parlent une langue étrangère.

Selon un sondage mené par le site Rekrute.com, spécialiste en ressources humaines au Maroc, 91% des Marocains ne diraient pas non à un projet d’immigration. De ce nombre, 37% privilégieraient la destination du Canada. C’est dire à quel point les descendants d’Ibn- Battouta sont toujours partants pour de nouvelles aventures!

Visionnaire comme il l’était, Feu le Roi Hassan II, ne cessait de répéter que la plus grande richesse du Maroc est ses ressources humaines. Aujourd’hui, le capital humain et son développement sont, sans contredit, l’enjeu numéro Un pour la grande majorité des entreprises en Occident.

En réalité, en matière des ressources humaines, on assiste à deux profils antagonistes : d’un côté les mobiles (bien formés dans des domaines en croissance, ouverts sur le monde et munis de fortes capacités d’adaptation) et les captifs dont le manque de formation et le caractère unilingue représentent des facteurs de pesanteur. Ce nouveau contexte s’ajoute au légendaire désir des Marocains d’aller voir le soleil sous d’autres cieux.

Beaucoup d’amis au Maroc me font part du fait qu’ils caressent l’idée d’immigrer au Canada. Ce sont souvent des cadres bien établis ou des entrepreneurs à succès. Bien souvent, les raisons qu’ils évoquent tournent autour de l’aspiration à une meilleure qualité de vie, le déficit d’efficacité et d’intégrité de l’administration publique et du système de la Santé, l’environnement du doing-business défaillant, le stress social ainsi que la volonté de garantir un meilleur avenir à leurs enfants. Les aspirants pour la destination Canada sont issus de la classe moyenne supérieure.
Bon an, mal an, le Maroc se situe au 4ème ou 5ème rang dans le classement des pays pourvoyeurs d’immigrants pour le Québec dont le premier rang est occupé par la France. Mais l’enjeu n’est pas le même pour la France et le Maroc : la classe moyenne étant plus large en France qu’au Maroc et le gisement de l’or gris plus important.

Comment le Maroc pourra tirer avantage de ce phénomène

Former un ingénieur au Canada coûte environ 100.000$ (700.000DH). C’est dire qu’un ingénieur formé à l’École Mohammadia, qui débarque à l’aéroport Pierre Eliott-Trudeau de Montréal, pour un rétablissement au Canada, équivaudrait à libeller un chèque de 100.000$ au Conseil du trésor du Québec. Si on y additionne ce que cet ingénieur, bien formé et à la fleur de l’âge, aurait apporté comme valeur ajoutée à l’économie marocaine, et qu’on ramène le tout à une plus grande échelle, l’impact sera significatif. Il faudra, cependant, rappeler que cet ingénieur ne peut exercer au Québec comme ingénieur qu’après avoir eu son titre auprès de l’Ordre des ingénieurs du Québec. Ce qui va le ramener, probablement, à passer des examens, voire à refaire un passage plus ou moins court par une université canadienne.

Va, deviens et reviens!

Nonobstant l’argumentaire précédent, le Maroc pourrait surfer sur la vague et tirer avantage de la tendance dans la mesure où il se dote d’une stratégie de captation de la plus-value de la mobilité internationale. Cette stratégie pourrait être articulée autour des axes suivants :

– Le transfert d’expertise et des modèles innovants du développement vers le Maroc.

– L’augmentation du débit du transfert de devises et la croissance des investissements directs étrangers (Il est à rappeler que l’instigatrice de l’investissent de la multinationale canadienne Bombardier au Maroc est une marocaine résidente au Canada).- Le renforcement du rayonnement du Maroc dans le monde comme destination d’affaires et l’adoption d’une bonne approche de diplomatie économique et parallèle.

– L’attraction et la captation de ceux qu’on appelle, désormais, les techno-nomades. Avec leurs laptops en bandoulière, ces nomades version 21e siècle pourront faire du télé-travail de n’importe où de la planète pourvu qu’il y ait une connexion Internet de haut débit ; et qu’ils cherchent des endroits inspirants, favorables à la créativité offrant une bonne qualité de vie à prix futé et une diversité culturelle. On cite souvent le cas de Bali (que certains appellent déjà Sillicon Bali en faisant allusion à la fameuse Sillicon Valley) ou Bogotá en Colombie. L’attraction et la rétention des techno-nomades représenteront un juste retour du balancier pour le Maroc.

– La délocalisation des programmes des universités étrangères vers le Maroc. Un étudiant allant poursuivre ses études supérieures à l’étranger a une forte probabilité de ne pas rentrer au Maroc avant sa retraite et, à ce chapitre, j’en sais quelque chose!

Finalement actif accoté au passif, le bilan sera excédentaire pour le Maroc qui pourra tirer son épingle du jeu s’il se donne une bonne vision et une bonne stratégie pour faire pencher la balance en sa faveur, en la matière, et tirer profit de sa diaspora que certains évaluent à près de 15% de sa population totale et qui croît avec les années, de façon soutenue.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page