Quand Zineb Mekouar franchit le pas pour le Goncourt avec son dernier né « La Poule et son cumin »

Par Sabah Attab (*)

Entrée en littérature remarquée pour Zineb Mekouar finaliste du prix Goncourt du premier roman : La poule et son cumin (JC. Lattès), publié en mars dernier. Elle nous livre ses premières émotions et nous parle de l’univers Littérature.

  • Les Marocains.es sont fièrs.es qu’une écrivaine marocaine soit en lice pour le prestigieux prix Goncourt du premier roman 2022. Ils aimeraient faire votre connaissance. Qui est Zineb Mekouar ?

Je suis née à Casablanca en 1991 et j’y ai grandi jusqu’à mes 18 ans. Après le bac, direction Paris où j’habite depuis. J’ai fait des études à Sciences-Po Paris, où j’ai pu m’initier à la réflexion politique, notamment. De mon point de vue, c’est très important d’essayer de comprendre les enjeux de nos sociétés lorsque l’on écrit car, même si on n’utilise pas ce matériau dans nos livres, cela enrichit forcément nos personnages. Et sinon, qui je suis ? C’est toujours une question difficile ! Je peux vous dire que j’ai toujours du chocolat noir sur moi, que j’aime le café très allongé, que j’adore le tennis, les voyages, le soleil et cette façon si méditerranéenne d’être au monde.

  • 2016 restera une date mémorable pour la littérature marocaine de langue française car c’est le baptême pour l’écriture des écrivaines qui s’enorgueillit pour la première fois de son histoire littéraire du prestigieux prix Goncourt, une distinction de grande valeur à travers le roman, best-seller Chanson douce de Leila Slimani. Sept ans plus tard, une autre marocaine est finaliste au Goncourt. Quels sont vos sentiments ? Pensiez-vous à l’époque que ce serait possible un jour pour toi ?

L’année dernière, une marocaine a été finaliste aussi ! Abigail Assor, pour son très joli premier roman « Aussi riche que le roi ». Quant à moi, je suis très heureuse de faire partie de cette sélection, notamment  parce qu’elle apporte de la visibilité aux thèmes de mon roman, thèmes qui sont chers à mon cœur : l’émancipation de la femme marocaine, quel que soit notre milieu ; la dignité de vivre une vie décente, quel que soit notre milieu également ainsi que le thème du rapport à l’Autre, à l’étranger, notamment en France, que j’aborde aussi.

  • « La Poule et son cumin » est le titre de votre premier roman. Cet aphorisme réfère au Darija marocain, quelle en est l’histoire ? Comment votre éditeur l’a-t-il pris ?

Je voulais un titre authentiquement marocain parce-que c’est un roman sur les relations France-Maroc depuis l’Indépendance. En France, on parle trop souvent des trois pays du Maghreb comme si c’était un tout homogène alors que chaque pays a sa propre trajectoire et ses propres richesses. J’avais envie de parler du Maroc et pas du Maghreb, et surtout du Maroc contemporain. C’est pour cela que j’ai voulu une expression du terroir. L’expression est utilisée à un moment, dans le roman, par l’un des personnages… je laisse ceux qui n’ont pas encore lu le roman le découvrir ! Mon éditeur a adoré ! C’est un titre qui attise la curiosité lorsqu’on ne parle pas Darija, et lorsqu’on parle arabe marocain… ça fait rire et ça donne aussi envie de lire (enfin, je l’espère !).

  • «  J’écris au mois de Mars, à raison de huit pages par jours, quelques 240 pages et le dernier jour, je le consacre aux révisions ». Confie Jean Paul Dubois, prix Goncourt 2019 pour le roman : Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon. Pouvez-vous nous parler de vos rituels d’écriture et aussi de vos lectures Mme Zineb Mekouar ?

Je n’ai pas vraiment de lieu où j’écris, mais j’ai besoin de musique, pour me créer ma bulle. J’essaye d’écrire régulièrement, c’est par à-coups mais je ne reste jamais très longtemps sans écrire, ne serait-ce que dans un journal, ou des petits poèmes en prose tirés de certains instants. Quand j’ai une idée de roman, il y a plusieurs étapes : d’abord la réflexion, ce n’est pas toujours à l’écrit mais l’idée est toujours là avec moi et je m’inspire de tout ce que je vis, lis, regarde au cinéma pour nourrir la réflexion. Après il y a le moment de l’écriture à proprement dit… et puis le re-travail du texte ! Concernant mes lectures, j’adore les univers de Marguerite Duras, Albert Camus mais aussi Mario Vargas Llosa ou Romain Gary.

  • Des noms de jeunes écrivaines marocaines commencent à percer en France et elles sont éditées chez de prestigieuses maisons d’édition française, l’exemple de Abigail Assor et son roman : Aussi riche que le roi, Hajar Azel , L’Envers de l’été de Laila Bahsain ,La Théorie des aubergines, édité chez Albin Michel, Yasmine Chami, Dans sa chair , chez Actes Sud, et bien d’autres plumes. Parlez- nous de cette heureuse ouverture.

Je suis très heureuse que de plus en plus de femmes prennent la plume et se permettent d’écrire. J’espère que cela continuera, j’aimerais que l’on soit encore plus nombreuses ! C’est si important que chaque femme raconte, se raconte, se permette de donner sa vision du monde. Justement, une citation de « La Poule et son Cumin » illustre bien ce besoin de laisser les femmes parler, chacune avec sa voix : « Mais où est le «je» dans tout ça ? Où sont nos «je» à toutes ? Chacune avec sa complexité, ses déconstructions, ses reconstructions, son apprentissage ? Chacune avec sa voix de femme ? Mais voilà̀, ils parlent pour nous, ne nous donnant pas l’occasion de raconter, chacune, notre histoire. ».

  • Le problème de la lecture se pose avec acuité et constitue une véritable urgence au Maroc, vous, qui êtes- une grande lectrice, quels conseils donner, quelles attitudes adopter pour amener les enfants, les jeunes et même les adultes à ouvrir le livre et l’univers de la fiction ?

Je pense qu’insuffler l’amour de la lecture chez les enfants est une priorité au niveau mondial parce-que la littérature est un espace où la rencontre de l’Autre est possible. Quand on ouvre un roman et que l’on vit, le temps du livre, avec des personnages qui n’ont pas forcément la même culture ou religion que nous, c’est une rencontre que l’on fait… la rencontre de l’humain dans sa diversité. On forge, par-là, une ouverture d’esprit. Tout ce que je vous peux dire concernant les attitudes à adopter pour amener les jeunes enfants puis adultes à lire, c’est ce que j’ai vécu : j’aime autant la littérature parce-que, très jeune, ma grand-mère me lisait des histoires et on en discutait ensemble. Ce sont ces moments de bonheur avec elle que j’essaye peut-être de retrouver à chaque fois que j’ouvre un livre. Je pense que chaque adulte pourrait, s’il prenait le temps, faire découvrir cette joie à un enfant… qui à son tour deviendra adulte… et qui continuera le cycle de cette ouverture à l’Autre et au Monde par les mots.

  • Et pour terminer, parlez-nous du prix Goncourt 2021, Mohammed Mbougar Sarr et son roman : La plus secrète mémoire des hommes, paru chez Philippe Rey/ Jimsaan

J’ai adoré ce roman. C’est une véritable déclaration d’amour à la littérature. En tant qu’écrivain, les passages concernant la réflexion sur l’écriture, sur le « pourquoi on écrit ?/ est-ce malgré soi ? », notamment, m’ont beaucoup « parlé ». J’ai aussi aimé la structure très originale du roman… et l’intrigue !! On voyage. Si vous ne l’avez pas encore lu, je vous le conseille vivement !

Entretien réalisé par Dr. Sabah Attab, Chercheure en langue et littérature françaises*

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