Quel gouvernement sortira-t-il de la crise ?
Quand la société à laquelle nous appartenons ne correspond plus à nos aspirations, le vrai grand courage c’est résister et ne pas céder au pessimisme ambiant. Si l’épine dorsale de toute démocratie est la confiance, indispensable à un climat politique normal, la défiance tisse désormais son voile comme toile de fond dans « le plus beau pays du monde ». Un malaise général et un sentiment d’inconfort, de mal-être, de blues collectif et d’incertitude règnent théâtralement.
Dire que la confiance nous fait faux bond, aujourd’hui, serait un euphémisme. C’est un état d’esprit permanent qui tend ses tentacules pour nous plonger dans une apathie chronique, faisant que notre rapport à la politique subit une crise inquiétante de plus en plus grandissante et qui ne tarde pas à se manifester dès que l’occasion se présente. Et Dieu seul sait qu’elles sont fréquentes chez nos gouvernants qui brandissent leur incompétence et leur inefficience.
Mais force est d’avouer que nous ne récoltons que ce que nous avons semé. Comment espérer mieux dans un pays où on a étouffé, dans nos écoles, l’esprit critique et autocritique donnant l’avantage à un bourrage de crâne inutile ? L’école publique n’est plus que des vestiges où l’éducation, l’apprentissage des valeurs et la formation d’un bon citoyen marocain ne représentent plus que des stigmates qui nous rappellent le beau vieux temps.
D’ailleurs, quand on n’en ferme pas, ces établissements ressemblent plus à un centre d’accueil. On y a droit à des enseignants en mal de qualité, qui attendent impatiemment que la retraite vienne les délivrer, des diplômés qui se retrouvent catapultés dans un univers ne ressemblant en rien à leurs rêves d’avenir et qui sont contraints d’exercer un métier par défaut, sans aucune formation appropriée aux défis auxquels ils auront à faire face, et des enfants, livrés à eux-mêmes et imprégnés d’une rage sociale qui ne dit pas son nom. On se retrouve alors face à des jeunes en mal d’identité, de valeurs, de repères et de civisme n’ayant rien à perdre. Aussi se déchaînent-ils en s’attaquant à ceux qui ont pu réussir. Vandalisme et agressions sont au rendez-vous.
Dramatisation et théâtralisation politique
Personne ne peut nier que le Maroc traverse une crise morale et une crise de confiance latentes. Depuis pratiquement 2011, le Maroc se débat contre lui-même, tiré à hue et à dia, tiraillé entre les egos, les résultats médiocres et l’infantilisme politique d’un côté, et les crises de larmes des crocodiles, les prétextes en tous genres et les descentes dans l’abîme abyssal de l’autre. De cause à effet, on en arrive à la conclusion que tous les hommes politiques qui n’ont en tête que leurs intérêts personnels se valent. Le militantisme est mis au placard et les citoyens n’ont alors que le droit de manifester leur désintérêt total quant à la chose publique. Les gouvernements se succèdent et se ressemblent, les partis politiques, ayant perdu toute identité et donc leur crédibilité s’effritent pour réapparaître sous d’autres formes en se multipliant, les vindictes et les querelles de chapelle sapent la confiance collective.
Le Maroc en marche à la vitesse du TGV trébuche aux pas d’un gouvernement dont est issu un ancien chef de gouvernement qui fait l’éloge d’Ibnou Taymiya pour ne citer que cet impair dans une longue série. Mais il faut dire que la moralisation publique dans laquelle le pjd excelle n’a d’égale que le nombre croissant de scandales que certains de ses membres signent. Et notre grand malheur, c’est que depuis 2011, un moutonnement de panurge sévit conduisant à un désastre économique, preuve en est que pour 2018, le taux de croissance du PIB serait de 3% et de 2,9% en 2019, après 4% en 2017 et 4,5% en 2015. L’inflation se situerait en-deçà de 2%. Le besoin de financement est de 3,9% en 2018, et de 3,6%, en 2019. D’où le recours à l’endettement international, au moins à hauteur de 10 milliards de Dhs. Selon les chiffres donnés par le HCP, l’endettement public global de l’économie se situe à 83% environ, tant en 2018 qu’en 2019.
Aujourd’hui donc, nous subissons les contrecoups de notre manque de conscience et de clairvoyance politique. Si le pjd qui représente un peu plus de 1 million d’électeurs fidèles est à la tête du gouvernement qui décide du sort de 40 millions de Marocains, c’est que l’allié de taille du parti de la lampe n’est que l’absentéisme effarant des électeurs. Aujourd’hui, faut-il rappeler qu’en 2015, l’ancien chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, après avoir vanté la suppression de la caisse de compensation, dans une émission télévisée, a annoncé sa décision d’augmenter les tarifs du gaz et des produits pétroliers. Résultat ? Les groupes pétroliers ont profité d’une extraordinaire manne consécutive à cette hausse. Et la classe moyenne, socle de la société, s’est progressivement paupérisé pour frôler la pauvreté totale risquant de s’effondrer sous le fardeau des charges et des taxes imposées. Et c’est d’autant plus grave qu’entre 2011 et 2019, le Maroc a connu un effrayant départ de ses cadres, en quête d’un ailleurs meilleur, à l’étranger.
Ce n’est un secret de polichinelle que durant les deux mandatures, certains ministres islamistes ont connu des échecs cuisants dans la gestion de leurs départements pour la simple raison que leur seul souci, en plus de leur propre ascension sociale, était de s’attaquer à ceux qui ne partagent pas leurs idées ou ne sympathisent pas avec leur parti.
Paradoxes et incohérence
Malgré toutes les réalisations qui ont changé le visage du Maroc, on se rend presqu’inévitablement à l’évidence : l’essentiel ne change malheu-reusement pas. Les riches continuent à s’enrichir et les pauvres s’appauvrissent de plus en plus.
L’évolution sociétale se fait dans les conflits et les contradictions et au lieu d’avancer, on est pris en otage par des obscurantistes qui créent des paradoxes insaisissables.
Or le Maroc, riche en ressources humaines que représente sa jeunesse, est toutefois handicapé par une génération de responsables qui héritent des postes de décision et résistent au changement.
Par ailleurs, nous avons un grand problème de cohérence. Si d’un côté la Cour des comptes pointe les dysfonctionnements et les manquements dans la gestion des affaires publiques, si la corruption ronge la société marocaine, si certains responsables puisent sans scrupules dans les deniers publics, la suite reste suspendue et les signataires des irrégularités et des infractions les plus saillantes, restent intouchables à quelques exceptions près.
L’urgence nous interpelle
Sa Majesté le Roi ne cesse d’exhorter le gouvernement et de revenir à la charge, à chacun de ses discours, pour la mise en place d’un nouveau modèle de développement. A cette fin, le remaniement gouvernemental qui s’annonce, enfin, éminemment pour y injecter du sang neuf apporte de nouvelles espérances.
D’emblée, une nouvelle étape exige de nouveaux moyens et de nouvelles compétences. Le chef de gouvernement sera donc entre le marteau d’un parti où les compétences manquent et l’enclume d’une mission qui lui est confiée. L’enjeu est de taille surtout que le bilan des deux mandatures est plus que négatif.
En principe, nous y sommes et nous avons rendez-vous avec une nouvelle étape qui abonde en enjeux et en défis autant internes qu’externes. Et c’est pour accompagner cette dynamique que le Roi a décidé de mettre en place une commission spéciale chargée du modèle de développement. Sa mission sera de rendre compte d’un constat exact de l’état des lieux avec objectivité et impartialité. C’est pourquoi elle devra aussi être animée d’audace, d’esprit d’initiative et de génie nécessaires pour proposer des solutions adaptées.
Il est évidemment illusoire de penser que les choses vont changer de sitôt. On continue tout de même à caresser le doux rêve du plus beau pays du monde et on ne cesse d’appeler de tous nos voeux un nouveau modèle de développement économique qui puisse assurer une croissance inclusive, solidaire et durable garantissant l’égalité des chances aux citoyens marocains.
Mais ce qui est sûr c’est qu’il faudrait avant tout changer les paradigmes et donc « concevoir » un nouveau modèle humain. C’est par le citoyen marocain que le changement doit commencer.
Par ailleurs, force est de constater que Sa Majesté le Roi Mohammed VI est un roi constitutionnaliste jusqu’au bout des ongles et s’inscrit dans cette dynamique de respect absolu des résultats des élections et de la majorité politique qui en est issue et certainement s’interdit d’intervenir. Auquel cas, son intervention donnerait lieu à des interprétations malveillantes comme une ingérence dans les affaires du gouvernement. Les fameuses ONGs nationales et internationales s’en frotteraient, bien évidemment, les mains dénonçant « la dictature ».
En attendant Godot, on tient bon et on résiste puisque c’est de cela qu’il s’agit.