Réforme fiscale : Augmentation des taux de TVA Mohamed et Imane Rahj éclairent la situation

Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue

La révision des taux de TVA dans le cadre du Projet de Loi de Finances (PLF) 2024 suscite des questionnements quant à son impact sur le pouvoir d’achat des consommateurs. Parmi les augmentations prévues, des produits essentiels et fortement consommés verront leurs taux de TVA augmenter progressivement.

En marge de cette Réforme, le Professeur Mohamed Rahj, fiscaliste et ancien président de l’Université de Settat et la Professeure Imane Rahj à l’ENCG Casablanca apportent des éclaircissements dans une interview exclusive accordée à Maroc diplomatique. L’entretien met en lumière les implications de la loi-cadre n°69-19 sur la politique fiscale et explore les répercussions des augmentations des taux de TVA dans le cadre du Projet de Loi de Finances (PLF) 2024. Les experts analysent également les mesures prises pour combattre la fraude fiscale et l’économie informelle. Une présentation complète de cette interview offre une vision claire et complète de l’avenir de la politique fiscale au Maroc.

lMaroc Diplomatique : Comment la loi-cadre n°69-19 portant réforme fiscale, publiée en 2021, influence-t-elle la feuille de route de la politique fiscale pour les années 2022-2026 et quel rôle joue-t-elle dans la convergence avec les politiques publiques

– Pr Mohamed et Imane Rahj : La loi-cadre n°69-19 portant réforme fiscale adoptée par le Parlement en 2021 s’inscrit dans les réformes structurelles décidées par l’état. L’objectif majeur de la réforme est d’assurer une mobilisation des ressources nécessaires au financement des politiques publiques. Outre les grands principes et les objectifs assignés, la loi cadre a recommandé l’étalage dans le temps de l’application de cette réforme fiscale en fixant une feuille de route sur 5 ans en insérant, à travers les lois de finance de l’année, les différentes transmutations touchant à la fois l’IS, l’IR et la TVA.

Bref, la loi cadre constitue un cadre de référence qui encadre la politique fiscale du gouvernement et assure sa convergence avec les différentes politiques publiques avec toutes leurs composantes (enseignement, santé, infrastructures, agriculture, investissements…)

lQuels sont les taux de TVA qui seront revus à la hausse dans le cadre du PLF 2024, et quel impact cela pourrait-il avoir sur le pouvoir d’achat des consommateurs ?

lLe projet de loi de finances 2024 revoit à la hausse les taux de la TVA portant sur les produits suivants :

lL’eau, prestations d’assainissement et la location des compteurs d’eau : le taux passera de 7% à 8% en 2024 pour atterrir à 10% en 2026.

lL’électricité : le taux passe de 14% à 16% en 2024 pour arriver à 20% en 2026.

lLocation des compteurs d’électricité : Le taux passe de 7% à 11% en 2024, 15% en 2025 et 20% en 2026.

lTransport : le taux passe de 14% à 16% en 2024, 18% en 2025 et 20% en 2026.

lLe sucre raffiné qui passe de 7% à 8% en 2024, 9% en 2025 et 10% en 2026.

lLa voiture économique : celle-ci passe de 7% à 10% en 2024.

Lire aussi : Les recettes fiscales prévues en hausse annuelle moyenne de 5,9% entre 2024 et 2026

Ces augmentations, comme on le constate, touchent surtout les produits de large consommation et dont la demande est inélastique en raison de leur caractère essentiel sinon vital. Le pouvoir d’achat n’en sera que durement impacté à un moment où l’on subit les foudres de l’inflation et de la hausse générale des prix y compris ceux des fruits et des légumes ; soit les produits de première nécessité. Qu’en sera-t-il alors de ces millions de ménages qui vivent dans la pauvreté et la précarité ?

lComment analysez-vous les mesures prises pour renforcer le cadre juridique et institutionnel visant à lutter contre la fraude fiscale et l’économie informelle, notamment en ce qui concerne la révision des procédures d’examen de la situation fiscale des contribuables et le renforcement de la conciliation pour résoudre les questions fiscales ?

– Nous ne pouvons qu’approuver les mesures proposées par le PLF 2024 visant à lutter contre l’évasion et la fraude fiscale. à titre de rappel :

lLe projet propose un régime d’auto-liquidation de la TVA pour les personnes qui s’approvisionnent auprès des fournisseurs situés hors champs de la TVA ou exonérés sans droit à déduction.

lInstitution d’une retenue à la source en matière de TVA

lRéinstauration de l’obligation de conservation des biens d’investissement inscrits dans un compte d’immobilisation pendant cinq ans.

lQuelles sont les niches fiscales spécifiques qui seront touchées par une augmentation de l’imposition conformément aux dispositions du PLF 2024 ?

– Parmi ces niches fiscales, le PLF 2024 propose l’élargissement du champ d’application de la TVA au commerce électronique en redéfinissant les règles de territorialité de la TVA et l’institution de l’obligation d’identification des fournisseurs de services non résidents au Maroc. Par ailleurs, le projet propose la régularisation et l’assainissement de la situation fiscale des contribuables en proposant une contribution libératoire de 10% ou 5% ou 2% sur les biens immobiliers, les actifs financiers ainsi que les avoirs détenus à l’étranger par des Marocains résidents au Maroc.

lEn quoi la surtaxation passée de certains produits montre-t-elle des effets contreproductifs, et pourquoi est-il considéré opportun d’élargir l’assiette fiscale pour éviter une pression fiscale excessive sur les mêmes contribuables ?

– L’expérience nous a appris que la sur-taxation de certains produits conduit inéluctablement à des retombées qui seront très probablement préjudiciables, en favorisant notamment la contrebande et le marché noir, tout en incitant à la fraude fiscale. Elle risque aussi de réduire la demande légale, impactant ainsi les recettes fiscales prévues, et peut compromettre la compétitivité des entreprises sur la scène internationale surtout dans un pays bordé par deux mers et deux présides occupées par l’Espagne.

Quant à l’élargissement de l’assiette fiscale, il serait opportun d’utiliser toute une pédagogie pour séduire du moins une partie à rejoindre le secteur formel ce qui risquera d’être chronophage en plus d’un travail de longue haleine qui dépasse largement le rôle de l’Administration fiscale. Il s’agit d’ailleurs d’une mission qui incombe de par son essence, à l’état et non à l’administration.

lQuelles sont les implications des mesures fiscales proposées dans le PLF 2024 sur l’équilibre du budget public et comment ces mesures contribuent-elles aux objectifs de réforme à long terme fixés par le gouvernement ?

– Les mesures proposées par le PLF 2024 visent un objectif purement financier à travers la proposition de l’augmentation des taux qui va se traduire par une hausse des ressources. à titre indicatif, l’impact des mesures touchant la TVA se matérialisera par des ressources additionnelles d’un montant de plus de 1 milliard de DH en trois ans réparties comme suit :

l174 Millions en 2024

l405 Millions en 2025

l 514 Millions en 2026

lComment la réforme de la TVA, en alignant les taux et en élargissant les exonérations aux produits de base de large consommation, soutiendra-t-elle la décarbonation de l’économie marocaine ?

– La réforme de la TVA a introduit une mesure en faveur de la décarbonation de l’économie marocaine concernant l’énergie électrique renouvelable qui se voit proposer la baisse du taux de 14% à 10%. Cela étant dit, nous sommes encore à une phase de balbutiement car les mécanismes ne sont pas encore mis en place puisque ce sera l’année 2024 qui sera consacrée à la conception d’une taxe de carbone à travers la délimitation de son périmètre et la détermination des modalités de son application.

Le Maroc commence à peine à s’intéresser à la question, par contrainte et non par choix, en raison de la décision de l’Union Européenne d’appliquer la taxe Carbone sur toutes les marchandises qui arrivent sur son territoire. Et comme l’UE constitue le premier client du Maroc, les entreprises marocaines risquent de ne pas être compétitives en raison de l’absence d’une politique d’environnement surtout concernant les secteurs les plus polluants tels que l’électricité, le ciment, les engrais…

lComment analysez-vous les mesures mises en place en matière de taxation graduelle relative à la TIC pour les produits alimentaires de grande consommation contenant du sucre ajouté, et peuvent-elles être mises en cohérence dans la lutte contre certaines maladies et de réduction des dépenses de santé ?

– La mise en place d’une taxation graduelle relative à la TIC sur les produits alimentaires de grande consommation contenant du sucre ajouté pourrait s’avérer à elle seule insuffisante dans la lutte contre certaines maladies et notamment le diabète ; car au-delà de la fiscalité, faudrait-il peut être penser à la mise en place de toute une politique de sensibilisation sur les méfaits du sucre sur la santé des Marocains et surtout des jeunes, en organisant, chaque année, des campagnes à travers les mass médias, les écoles…

lQuelle appréciation faites-vous de la mise en place d’une taxe carbone en 2024, et quelles seront les implications pour la compétitivité des entreprises marocaines à l’échelle internationale ?

– La modification de la TVA pour soutenir la décarbonation de l’économie pourrait consister à instaurer des incitations fiscales en faveur des biens et services respectueux de l’environnement. En réduisant les taxes sur ces produits et en imposant davantage ceux ayant un impact environnemental élevé, cela inciterait les consommateurs à adopter des comportements éco-responsables et encouragerait l’innovation écologique au sein des entreprises, ce qui In Fine leur permettra de s’aligner aux normes internationales en matière de lutte contre la pollution.

lComment la taxe carbone contribuera-t-elle à la décarbonation de l’économie et comment sera appliquée la taxe intérieure de consommation (TIC) sur des équipements spécifiques en fonction de leur efficacité énergétique dans le but d’encourager l’efficacité énergétique et de s’aligner sur les objectifs de protection de l’environnement et de développement durable ?

– Au Maroc, il n’existe pas explicitement de taxe carbone ni de système d’échange de droits d’émission de CO2. Cependant, des taxes sont prélevées sur l’énergie, incluant les droits d’accise sur divers combustibles tels que le charbon, le coke de pétrole, le fioul, le gazole, l’essence, le GPL et le gaz naturel. De plus, des droits d’accise s’appliquent à la consommation d’électricité dans les secteurs résidentiel, commercial et public.

lQuels sont les défis particuliers liés à la réduction de l’économie informelle et quels aspects, en plus du volet social, devraient être pris en considération pour cette problématique ?

– L’économie informelle représente 36% du PIB au Maroc et emploie plus de personnes que le secteur public et privé réunis au sein de l’économie formelle. La problématique se pose donc effectivement ; et pour réduire l’ampleur de l’économie informelle, cela pourrait poser des défis significatifs nécessitant une formalisation des activités et une instauration de la protection sociale. Au-delà des considérations sociales, il est essentiel d’aborder d’autres aspects, tels que :

Le Cadre légal et réglementaire :

lAdapter les lois et règlements pour mieux répondre aux besoins des petites entreprises.

lMettre en œuvre des incitations fiscales sociales ainsi que des mesures simplifiées pour encourager la formalisation (l’état pourrait prendre en charge les cotisations patronales et réserver une partie de ses commandes à quelques catégories de l’informel afin de les attirer vers le monde formel).

Éducation et Formation :

lProposer des programmes de formation pour renforcer les compétences des travailleurs informels et faciliter leur transition vers le secteur formel.

lSensibiliser sur les avantages de la formalisation en termes de sécurité et de stabilité économique.

Accès aux Services Financiers : Améliorer l’accès des travailleurs informels aux services bancaires et financiers afin de stimuler l’investissement et la croissance.

Technologie et Innovation : Intégrer des solutions technologiques pour simplifier les processus administratifs et encourager la participation des petites entreprises à l’économie formelle.

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