Résolution du Parlement européen : Une victoire à la Pyrrhus
Il est vrai qu’on l’attendait depuis quelques jours mais on savait très bien ce qu’allait être le verdict. La résolution du Parlement européen au sujet de la prétendue « violation de la convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant et l’utilisation de mineurs par les autorités marocaines dans la crise migratoire à Sebta », vient d’être votée comme prévisible contre le Maroc, jeudi 10 juin. Mais il convient de rappeler qu’elle n’a ni valeur juridique ni force contraignante sur le Royaume.
397 eurodéputés ont voté pour, 85 contre et 196 abstentions sur un total de 678, l’Espagne en espérait plus. Mais elle doit s’en donner à cœur joie, tout de même, à son apocryphe victoire après son « beau » travail fait dans les couloirs pour européaniser la crise Maroc/Espagne, usant de la migration qui constitue une problématique fédératrice des pays européens. C’est dire que le lobby espagnol a bien mouillé sa chemise. D’autant plus que les eurodéputés espagnols se sont activés afin de mobiliser leurs collègues au Parlement européen pour un vote massif de cette résolution. Clin d’œil à la commission mixte parlementaire Maroc-UE, au groupe d’amitié Maroc-UE, à notre ambassadeur sur place et bien d’autres qui attendaient certainement que la Covid-19 ait disparu pour reprendre sérieusement leurs activités de façon plus dynamique. Mais ils ont quand même dénoncé la résolution ! Intention louable dira-t-on!
Ce qui est par contre regrettable est que l’Union européenne perde tout bon sens jusqu’à se constituer partie intégrante dans la crise Maroc/Espagne purement et paradoxalement bilatérale. « considérant que la crise actuelle a donné lieu à des tensions diplomatiques sans précédent entre le Maroc, d’une part, et l’Espagne et l’Union européenne, d’autre part … » lit-on dans le document qui sue la pression, le marchandage et la manipulation politique de notre voisin ibérique. Le Parlement européen est pris au piège tissé par l’Espagne qui a agi de façon déloyale à l’égard du Maroc et a tout fait pour européaniser sa crise avec le Maroc, l’accoutrant, toutefois, d’un aspect migratoire et brandissant des critiques insensées et infondées quant à la politique du Maroc en matière d’immigration illégale. Néanmoins, en cédant à son chantage, le Parlement européen qui souffle le chaud et le froid, s’est pris le pied dans le tapis dans une motion présentée par les eurodéputés espagnols et a fait fi d’une réalité immuable qui est le rôle incontournable du Maroc dans l’espace euro-méditerranéen étant un allié clé de l’Union européenne notamment en terme de gestion et de régulation migratoire. Pourtant, le 8 juin, la porte-parole de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité soulignait que «Pendant des années, l’UE et le Maroc ont entretenu une excellente coopération en matière de migration, aboutissant à de très bons résultats», se disant convaincue que «cette collaboration fructueuse pourra être préservée».
Or on le sait tous, le vrai problème est ailleurs. La genèse de la crise politique bilatérale est bien connue et les responsabilités aussi. L’Espagne en agissant dans le dos du Maroc et en commettant l’impair d’accueillir sur son sol « un criminel de guerre », qui se trouve être l’ennemi numéro 1 du Royaume, a porté atteinte à sa souveraineté sur son Sahara, cause nationale de tout un peuple, et donc a ouvert les voies à la discorde. Le jeu est clair et les cartes sont dévoilées.
Une résolution tenue par des épingles
Cette résolution alambiquée, d’une agressivité à peine voilée, concoctée par le doigt d’une Espagne en quête de déculpabilisation et surtout avec le dessein malsain de détourner l’opinion publique mondiale d’une crise politique, créée et surdimensionnée par ses soins, n’est que le résultat de manœuvres politiques dilatoires, impulsives et irréfléchies. Parce que si le Parlement européen s’est fait la voix du voisin ibérique et s’est improvisé en justicier, le Royaume, souverain et indépendant, ne l’entend pas ainsi et ne compte pas se laisser faire taper sur les doigts ou mis au piquet, lui qui a toujours été un modèle en matière de gestion des flux migratoires. On le condamne et on exige de lui qu’il surveille les côtes, on occupe ses territoires et piétine son intégrité territoriale et on lui demande de respecter celle des occupants. N’est-ce pas là le summum du dénigrement et du mépris ? Normal, l’Europe a l’art de choisir les œillères qui lui conviennent au moment opportun surtout dès qu’il s’agit de ses propres intérêts colonialistes.
Paradoxalement, le texte voté, qui se veut officiel, est l’image même de l’incohérence, de la dissonance et de la quadrature du cercle. Il est tout simplement contraire à l’esprit du partenariat « exemplaire » entre le Maroc et l’Union européenne.
On condamne le Maroc, on le blâme tel un élève qui ne s’est pas bien acquitté de ses devoirs, on lui impute à crime sa souveraineté, et comble du comble, on l’invite à se plier aux « caprices » politiques d’un État qui s’avère être partie et juge à la fois.
Parcourons donc les dérives en série d’une résolution hâtive et aventuriste pour voir à quel point une institution peut être puérilement manipulée. « Quels que soient les motifs qui ont présidé à l’apparition de la situation actuelle à Ceuta, c’est un incident injustifiable, qui ne correspond pas à la coopération établie de longue date et à la relation de confiance qui prévaut entre les deux parties … ». C’est comme dire à quelqu’un qui a rendu la gifle par la pareille : « Non, tu devais tendre l’autre joue » ! Et puis de quelle confiance parle-t-on ? Le Maroc faisait bien confiance à l’Espagne qui a comploté subrepticement en vue de recevoir, dans son hôpital, le chef du front séparatiste, Brahim Ghali par qui le scandale est arrivé. Or pour nous autres Marocains, le Sahara marocain est un sujet non négociable.
Le Parlement rappelle, par ailleurs, au Royaume que « les relations de voisinage doivent être préservées et redevenir ce qu’elles étaient avant la crise ». Curieusement, l’Espagne n’est à aucun moment pointée du doigt –bien entendu le texte est rédigé par des eurodéputés espagnols-, elle qui a provoqué la réaction du Maroc ! Dans d’autres articles du document, on lira : « dans la ville ESPAGNOLE de Ceuta, après que la police marocaine a assoupli temporairement les contrôles aux frontières, ouvert les barrières et négligé de prendre des mesures pour arrêter les entrées illégales », la résolution « espagnole », son esprit colonialiste en filigrane, insiste d’emblée sur le fait que Sebta se trouve en Europe (l’Afrique se trouverait donc en Europe ou serait-ce l’Europe en Afrique ?), et que « c’est une frontière extérieure de l’UE » dont la protection et la sécurité concernent l’ensemble de l’Union européenne. Comment un pays européen peut-il revendiquer sa souveraineté et sa légitimité sur un territoire africain ? Peut-être qu’il est temps de rappeler l’Histoire et la géographie au Parlement européen qui veut réécrire l’histoire qui l’arrange mais surtout banaliser l’occupation de Sebta?
Plus loin, on lira : « considérant qu’un flux aussi important peut difficilement être considéré comme spontané », « considérant que la crise a été déclenchée par le Maroc en raison d’une crise politique et diplomatique après que le chef du Front Polisario, Brahim Ghali, atteint par le coronavirus, a été admis dans un hôpital espagnol pour raisons humanitaires ». Le Maroc est ainsi mis au banc des accusés par un voisin qui ne l’a pas respecté, qui a fait abstraction de l’éthique et de l’État de droit, et pour cela, qui mieux que le Parlement européen pour l’applaudir ? Cette résolution, loin d’apaiser la crise, en crée d’autres et le Parlement européen valide et cautionne des faits faux, contraires à l’esprit d’une institution européenne qui se veut équitable. D’entrée de jeu, on n’hésitera pas à dire que le Parlement européen ne regarde que le bout de ses murs mais pas au-delà. On déclare que « les chefs d’État et de gouvernement de l’Union ont réaffirmé leur soutien sans réserve à l’Espagne et souligné que les frontières espagnoles faisaient partie des frontières extérieures de l’Union et que […] le droit international et le principe de souveraineté, d’intégrité territoriale et d’inviolabilité des frontières nationales doivent être respectées. » Arbitrage deux poids, deux mesures ! L’intégrité territoriale est l’ADN identitaire même de la souveraineté du Maroc mais le Parlement européen omet de s’en rappeler.
Drôlement, l’Institution européenne « regrette l’aggravation de la crise politique et diplomatique, et espère qu’elle ne portera atteinte ni aux relations stratégiques, multidimensionnelles et privilégiées de voisinage entre le Royaume du Maroc et l’Union européenne et ses États », c’est vraiment insulter l’intelligence du Maroc et sa dignité, « on te blâme, on te pointe du doigt mais on a besoin de toi » semblent-ils dire ! Et d’ajouter qu’il « estime que les différends bilatéraux entre partenaires proches devraient être réglés dans le cadre d’un dialogue diplomatique et appelle à un apaisement des tensions et au retour à un partenariat constructif et fiable entre l’Union et le Maroc ». Comment peut-on être aussi égaré, indécis et amnésique ? Justement, il s’agit d’un conflit bilatéral entre le Maroc et l’Espagne et qui devait être résolu entre les deux parties par des moyens diplomatiques sans l’implication du Parlement qui ne fera qu’aiguiser les tensions.
Viennent ensuite les soi-disant « instructions » adressées au Royaume par le Parlement européen qui, finalement, risque de perdre toute crédibilité. Celui-ci invite le Maroc à respecter « son engagement de longue date –Dieu merci, on le reconnaît au moins- en faveur d’une coopération renforcée en matière de gestion des frontières », « invite le Royaume du Maroc à tenir ses engagements car il est essentiel d’assurer le retour en toute sécurité des enfants dans leurs familles » mais omet de préciser que c’est l’Espagne qui retarde les procédures après la décision du Roi Mohammed VI pour le retour de tous les mineurs marocains non accompagnés, entrés illégalement dans l’Union européenne. Quant à la gestion des migrations, le Maroc a été le premier pays du voisinage Sud à conclure, en juin 2013, un partenariat pour la mobilité avec l’UE et neuf de ses États membres. Mais certains préfèrent l’oublier.
Dans le texte, le Parlement « se félicite de la protection accordée aux mineurs non accompagnés par les autorités espagnoles, conformément au droit de l’Union et à la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant ». La toile de fond est bien visible : on cherche à faire de l’Espagne l’État bienveillant et protecteur face à un Maroc monstrueux et inhumain.
Sauf que les faits prouvant que le Royaume joue un rôle capital dans la lutte contre le terrorisme, l’immigration illégale et la traite des êtres humains sont connus et flagrants. C’est le paradoxe dans toute sa splendeur que nous donne à voir cette résolution au-delà du pic.
L’Espagne, l’UE et le syndrome de la mémoire d’éléphant
En agissant ainsi, le Parlement européen qui devait, en principe, faire la médiation entre les deux parties, s’est emmêlé les pinceaux en s’impliquant dans une affaire qui n’est pas la sienne et dont les retombées, qui ont été mesurées à court terme, risquent d’être désolantes. Bien entendu ce qui s’est passé à Sebta, ce 18 mai 2021, est regrettable et scandaleux mais l’Union européenne ne doit pas essuyer d’un revers de main tous les efforts déployés par le Maroc et battre en brèche les succès communs dans la lutte contre les migrations. Au reste, ni le Parlement européen ni l’Espagne n’ont de leçons à donner au Maroc, stable et souverain sur ses terres, encore moins des punitions ou des récompenses.
Ce Maroc aujourd’hui condamné par un Parlement manipulé est celui même qui a abrité, en décembre 2018, le sommet mondial pour la signature du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. C’est ce Maroc même qui est salué pour son engagement indéfectible dans ses relations avec l’UE en matière de coopération migratoire, contre le terrorisme et contre le crime organisé transnational. Sa gestion de la migration et les chiffres donnés par le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, sont là pour le confirmer. « Rien que depuis 2017, la coopération migratoire a permis l’avortement de plus de 14.000 tentatives de migration irrégulière, le démantèlement de 5.000 réseaux de trafics, le sauvetage de plus de 80.500 migrants en mer et l’empêchement d’innombrables tentatives d’assaut ». Or cette résolution est contreproductive pour la relation entre le Maroc et l’Espagne et bien sûr l’UE.
Heureusement, tous les eurodéputés ne sont pas dupes. Nombreux sont ceux qui ont refusé d’adhérer à ce texte qui manque de discernement et de justesse, conscients que le Maroc est un partenaire très important pour l’UE. Ils sont convaincus que cette résolution est animée par de la mauvaise foi et les manœuvres agressives et décriées de l’Espagne, preuve en sont les déclarations de certains d’entre eux. «Le gouvernement Sanchez en poussant agressivement pour l’adoption d’une résolution du Parlement européen contre le Maroc, cherche à camoufler ses erreurs successives, voulant entraîner l’Union européenne dans cette voie dangereuse», avait mis en garde l’eurodéputé tchèque, Tomáš Zdechovský. «Madrid fait tout pour déstabiliser le seul pays stable et pacifique de la région», a-t-il dénoncé.
La députée belge Frédérique Ries a, quant à elle, déclaré : «J’ai voté contre cette résolution (…) car elle met au pilori notre partenaire stratégique marocain et reste muette sur les responsabilités des forces de l’ordre espagnoles dans les violences rapportés par les ONG et pour lesquelles la justice espagnole a ouvert une enquête». Voilà donc que l’Espagne embarrasse et divise les eurodéputés.
Alors, maintenant que la crise entre deux pays a été européanisée, et qu’on joue la carte de solidarité européenne, le Parlement arabe a réagi en se rangeant du côté du Maroc –solidarité arabe exige bien sûr- en rejetant cette résolution. D’autres suivront certainement surtout que l’Institution européenne n’est pas à sa première démarche provocatrice et hostile à l’égard des pays arabes, usant d’un paternalisme colonialiste révolu. La crise bilatérale Maroc/Espagne s’internationalisera-t-elle ainsi ? Que serait-il arrivé si le Maroc avait comploté et accueilli sur son sol un chef séparatiste catalan ? Force est de préciser que le Royaume défend légitimement ses intérêts nationaux alors qu’ils étaient foulés par un État membre de l’UE. De l’autre côté, le Parlement européen « rappelle que l’atteinte à la souveraineté territoriale des Etats membres ne saurait être tolérée ». La géométrie variable a un nom désormais.
Il est temps que les Européens retiennent que leurs relations avec leur voisin du Sud doivent être basées sur le respect mutuel et l’esprit gagnant-gagnant au lieu de le regarder d’en haut.
Pas besoin d’être un analyste ingénieux pour savoir qu’une coopération est indispensable pour la stabilité et l’avenir des deux rives de la Méditerranée et qu’il est nécessaire de faire face ensemble à de multiples défis communs. Cette résolution émotive qui ne prend pas en compte la responsabilité avérée de l’Espagne dans le déclenchement de la crise maroco-espagnole ne sert pas les intérêts de l’Europe et va faire du bruit dans Landerneau.
Et puisqu’on y est, n’est-il pas encore temps de reconsidérer le statut juridique de Sebta et Melilla ?