Richard Zeboulon fait don de sa collection photographique au Maroc
Propos recueillis par Valérie Morales Attias
Classée parmi les 20 établissements stratégiques du Royaume, l’institution r’batie compte aujourd’hui un fonds patrimonial conséquent. Ouvertes au public en 2013, les archives nationales sont l’oeuvre de l’historien Jamaâ Baïda, directeur de l’établissement, qui précise que «les archives sont à la fois un label d’authenticité des faits et des objets présentés au public et un support muséographique, principal socle de la recherche historique.» La tâche est énorme et passionnante car il s’agit de rattraper des décennies de retard. Pour sauvegarder la mémoire de son pays, Jamaâ Baïda parcourt le monde à la recherche de documents historiques sur le Maroc. Nous avons rencontré l’un de ces importants donateurs, l’écrivain et photographe Richard Zeboulon qui partage sa vie entre Bordeaux et Rabat et qui nous offre ici, entre autres, des images inédites de l’enfance du Roi Hassan II.
Maroc Diplomatique – Vous êtes un journaliste français et venez de faire don d’un fonds de 35 000 photos aux Archives nationales du Maroc. D’où vient cet intérêt intense pour le Royaume ?
-Richard Zeboulon : Je connais le Maroc depuis longtemps que ce soit pour des besoins de reportages ou pour y être venu en vacances, mais une rencontre, hasard de la vie, plus particulièrement a déclenché un intérêt plus profond pour ce pays. Hicham Bensoltane, Consul général du Maroc pour le Sud-Ouest de la France, un homme exceptionnel m’a fait rencontrer, percevoir le Maroc différemment dans son intimité au travers ses représentants hors du commun en visites à Bordeaux où je réside: Hassan Abouyoub, André Azoulay, Ahmed Abbadi … Par deux fois, nous sommes venus sur place, il m’a fait découvrir ses cultures, ses hommes, sa gastronomie …
Depuis un an, vous voyagez de plus en en plus souvent vers Rabat. Une raison particulière ?
– Au Maroc, j’ai des successions de coups de foudre pour certaines villes. La dernière, où je prévois de m’installer, est Rabat. Elle m’offre tout ce que je peux attendre sur un plan culturel et social. Une ville puissamment riche de ses strates humaines, architecturales, une ville verte, arborée, qui respire, où la population vit tranquillement sans embouteillages, sans klaxonner, sans courir ….le rêve !
Avec mon partenaire architecte marocain Yassir Aziz, nous montons une société d’édition, le premier livre sera « Rabat, les lumières de la ville ». Un livre avec une dominante de photos qui proposera une lecture à deux de l’agglomération de la capitale au travers de tout ce qui la constitue et lui donne son caractère bien particulier.
Bordeaux est « une plate-forme entre la France et le Maroc » dites-vous ?
– Oui bien sûr. Je suis journaliste pour le quotidien Sud-Ouest et il m’a souvent été donné de traiter du Maroc en lien avec Bordeaux qui possède un quai Lyautey d’où s’embarquait le Résident général pour rejoindre son poste, un autre quai porte le nom de quai du Maroc … Tout le monde sait que Hassan II, alors prince héritier fit une année de droit à la Faculté de Bordeaux et qu’il revenait avec son frère, en vacances privées sur le Bassin d’Arcachon au Pyla à l’hôtel Haïtza. Son père le sultan Mohammed V fut fait docteur Honoris causa de la faculté de Bordeaux au cours d’un voyage préparé avec soin par Ahmed Bargach dont une des filles fut étudiante ensuite dans cette même université…
On ne peut énumérer tous les liens mais on eut évoqué la première liaison maritime régulière inaugurée en août 1911, entre Casablanca et Bordeaux et qui fut à l’initiative de la Compagnie Générale Maritime des frères Pereire.
Madame Rodat, qui accoucha Lalla Abla de son premier fils Moulay Hassan, avait obtenu son diplôme de sage-femme de première classe à la faculté de médecine de Bordeaux. Elle interviendra encore pour la naissance de Lalla Aïcha et de son frère cadet Moulay Abdallah.
Quels sont les thèmes photos autour du Royaume chérifien, auxquels vous êtes plus particulièrement sensible ?
– L’architecture dans sa grande diversité rurale ou urbaine, arabe ante-coloniale, l’architecture juive, et l’histoire plus récente de l’architecture post coloniale et, compte tenu de mes origines, le judaïsme dans ses nuances et ses apports au royaume, mais aussi les arts et l’artisanat authentique
Parmi vos clichés, on trouve également quelques perles chargées d’Histoire. Quelles sont-elles ? Comment les avez-vous découvertes et archivées ?
– Encore une fois les relations nombreuses entre Bordeaux et le Maroc sont de différents ordres si le côté officiel est établi en revanche, il n’en est pas de même des relations personnelles que pouvait entretenir le maire de Bordeaux Jacques Chaban-Delmas avec le sultan Mohammed V, relation proche et pouvant même être qualifiée aussi d’affective avec Hassan II … Immédiatement après l’attentat raté de Skhirat, le roi appelle Jacques-Chaban-Delmas, alors premier ministre, qui convoque à l’Hôtel Matignon un homme jeune et lui dit : «Prépare ta musette, tu pars ce soir au Maroc, en servant le roi Hassan II, un ami indéfectible, tu sers la France.» C’était Raymond Sassia …
J’ai pu faire des photos de télégrammes, de correspondances manuscrites d’une élégante graphie ou dactylographiées entre Jacques Chaban-Delmas et Ahmed Bargach par exemple qui indiquait ce qu’aimait le sultan au petit déjeuner, comment il aimait clôturer un repas, etc.
Dans les nombreuses photos offertes aux Archives nationales du Maroc, figurent des images inédites du Roi Hassan II enfant…
– Des photos uniques, méconnues du prince héritier Hassan qui sont des photos familiales de madame Henriette Rodat qui comme je vous le disais a assisté sa venue au monde. Le sultan Mohammed V lui a ensuite demandé d’être la gouvernante de son fils, charge qu’elle acceptera pendant dix ans jusqu’en 1934 où elle même accoucha … Son fils m’a confié ces images qui ne pouvaient que revenir au Maroc…pour servir son histoire.
Pensez-vous continuer dans l’avenir à alimenter ce fonds ?
– Le fonds initial s’est déjà amplifié de quatre mille diapositives plus anciennes qui ont été récemment acheminées via le Consulat de Bordeaux et le ministère des Affaires étrangères.
Lors de mon prochain séjour, je déposerai entre les mains du directeur, fondateur des archives nationales du Maroc, mon ami Jamaa Baïda (qui a fait ses études à Bordeaux, lui aussi !) un volume important de 15.000 photos de mes derniers séjours, ainsi que 5.000 photos relatives au Maroc dans le sud-ouest de la France au travers de sa représentation diplomatique qui organise des manifestations civiles, célèbre bien entendu chaque année la Fête du Trône, de ses associations cultuelles, culturelles ou estudiantines ou bien encore de la vie quotidienne de ses ressortissants … du biologiste au tenancier d’un bazar, du ministre en visite officielle au restaurateur qui prépare des pieds de veau aux pois-chiches …