Sahara marocain, le dossier d’un conflit artificiel

Il est de notoriété publique que la question de l’avenir des provinces sahariennes du Maroc est résolue depuis 1975 – l’accord de Madrid du 14 novembre 1975 ayant eu pour effet de mettre fin au statut de territoire non-autonome des provinces sahariennes du Maroc -. Toutefois, le conflit sur le Sahara marocain engendrant un conflit diplomatique et politique persiste encore sur la scène internationale, quarante ans après la Marche Verte qui a scellé la question de la colonisation des provinces du sud marocain par l’Espagne en permettant leur restitution au Royaume du Maroc. Aussi une analyse d’envergure s’est avérée nécessaire pour expliquer les tenants et aboutissants de ce conflit créé de toutes pièces par l’Algérie et le bloc communiste, au milieu des années 70. Sahara marocain, le dossier d’un conflit artificiel, porte toutes les réponses aux questions qu’on pourrait se poser à propos d’un conflit qui n’a que trop longtemps duré. Dr. Charles Saint-Prot, directeur général de l’Observatoire d’études géopolitiques de Paris, spécialiste du monde arabe et de l’Islam à l’Université Paris Descartes, Codirecteur de l’ouvrage Sahara marocain nous éclaire. Paru aux éditions du Cerf (Paris) et aux éditions Marsam pour le Maroc, cet ouvrage nous explique les motivations d’un groupe de spécialistes et de géopolitologues qui ont croisé leurs efforts en se penchant sur la question du Sahara pour nous offrir un livre-référence sur l’Histoire du conflit.

Maroc diplomatique _ Charles Saint-Prot, avec une équipe de spécialistes, venus de divers horizons interdisciplinaires (juristes géopoliticiens, experts) et d’une demi-douzaine de pays (France, Allemagne, Espagne, Liban, Sénégal, Maroc), vous venez de publier un livre collectif : « Sahara marocain. Le dossier d’un conflit artificiel». Pourquoi ce livre plus de quarante ans après la Marche verte ?

– C’est dans un contexte marqué par un regain de l’agressivité de la propagande algérienne et la gravité des crises dans la région sahélo-saharienne que nous publions l’ouvrage Sahara marocain : Le dossier d’un conflit artificiel. À vrai dire, il était devenu indispensable de disposer d’un dossier exhaustif sur l’affaire du Sahara marocain, avec en particulier la nécessité de clarifier l’état du droit en la matière et de mettre en exergue les graves conséquences géopolitiques de la persistance du conflit. Le roi Hassan II a pu dire que cette affaire était l’escroquerie du siècle. L’un des objectifs de notre ouvrage est de démontrer que le conflit sur le Sahara marocain est artificiel car il n’y a jamais eu dans cette région d’entité saharienne séparée du Maroc pas plus qu’il n’existe de peuple sahraoui. La décolonisation des territoires par l’Espagne n’aurait dû être qu’une formalité, après la fin des protectorats français et espagnol en 1955. Et cela d’autant plus que les frontières du Maroc ne sont pas le résultat d’un tracé colonial mais s’enracinent dans l’Histoire comme l’a constaté la Cour de La Haye. Il y a donc eu manipulation.

Vous soulignez que c’est un conflit créé de toutes pièces par les gouvernements algériens et le bloc communiste au milieu des années 70. Comment pourriez-vous justifier une telle hypothèse, sachant que l’Algérie se dit « neutre » voire non concernée ?

– Il est important de souligner que le conflit sur le Sahara marocain n’est pas une question de décolonisation. Celle-ci s’est achevée en 1975 avec la Marche verte qui a provoqué le départ des Espagnols. Depuis la récupération de ses territoires par le Maroc, le conflit est une tentative de sécession encouragée de l’extérieur, par un État voisin. Cela ne relève pas des questions de décolonisation mais d’une ingérence étrangère dans les affaires marocaines et d’une tentative de déstabilisation en violation du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations unies. De même, le Polisario n’est en rien un mouvement de libération nationale ; il a été inexistant sous l’occupation espagnole et il ne s’est développé qu’après la décolonisation, comme simple instrument de la politique algérienne. Le Polisario est une marionnette n’existant que grâce aux subsides et à l’activisme du régime algérien. Le retour du Sahara marocain à la Mère-patrie aurait dû intervenir sans qu’il fût besoin de tant tergiverser et, finalement, de permettre au bloc communiste et à son comparse algérien de créer un conflit artificiel, au milieu des années 1970, après que le Maroc avait obtenu la décolonisation. Mais, l’Algérie voulait étendre ses frontières jusqu’à l’Atlantique. De son côté le bloc communiste poursuivait le plan de Lénine de déstabiliser l’Europe par l’Afrique. C’est dans ces conditions qu’il y a eu la manipulation visant à créer de toutes pièces un mouvement séparatiste pour tenter d’arracher au Maroc ses provinces du sud et le couper de sa dimension géopolitique africaine. Le Maroc a dû faire face à une action militaire de grande envergure de l’Algérie épaulée par des dizaines de milliers de Cubains, d’Allemands de l’Est et de toutes sortes de mercenaires africains, sous le couvert du fantomatique Polisario.

Depuis la récupération de ses territoires par le Maroc, le conflit est une tentative de sécession encouragée de l’extérieur, par un État voisin.

Comment expliquez-vous cette animosité institutionnalisée et cette hostilité nourrie par l’Algérie à l’égard du Maroc?

Depuis l’indépendance accordée par la France aux territoires devenus l’Algérie en 1962, le pouvoir algérien a fait de la lutte contre le Maroc l’un des piliers de sa politique, reniant d’ailleurs tous les engagements contractés entre le GPRA et le roi Mohammed V. Le FLN au pouvoir voulait dominer tout le Maghreb. En outre, il était tombé dans le camp du bloc communiste. Au fil des années, le conflit sur le Sahara marocain est devenu une affaire personnelle du régime algérien. On attribue d’ailleurs l’assassinat du président Mohammed Boudiaf, le 29 juin 1992, au fait qu’il voulait mettre un terme à l’affaire du séparatisme après avoir déclaré qu’en Algérie «l’affaire du Sahara marocain est uniquement celle d’un clan au pouvoir », clan qu’il qualifiait de «mafia politico-financière du système FLN». Ce conflit a donc été instrumentalisé et continue à être un fonds de commerce pour le régime algérien qui a encore quelques alliés : les pays de la mouvance marxiste (Afrique du sud de l’ANC, Mozambique, Uruguay des Tupamaros, Venezuela). Souvenons-nous que durant les années 1960-1970, Alger était la capitale de tous les groupes terroristes (ETA basque, Bande à Baader, Armée rouge japonaise, ANC, FRELIMO…) et on qualifiait son aéroport comme « l’aéroport des pirates » où trouvaient refuges les terroristes dont Carlos. L’affaire du Sahara marocain et la propagande pro-séparatiste continuent d’être un fonds de commerce pour quelques organisations, associations et militants, des demi-soldes du communisme et des activistes gauchistes qui se croient encore au temps de la Guerre froide et en tirent de juteux profits.

Ayant traité la question du Sahara sous les divers angles historique, géopolitique, juridique, social et économique, quels sont, selon vous, les conséquences géopolitiques immédiates et lointaines résultant de la persistance de ce conflit sur la scène internationale?

Le conflit artificiel entretenu par l’Algérie est déplorable pour plusieurs raisons. D’abord, il nuit au Maghreb et à ses peuples, ensuite c’est un grave facteur de déstabilisation. Ainsi, la politique algérienne porte atteinte à l’intégration régionale quand un Maghreb arabe uni serait un évident facteur de stabilité et de progrès. Le conflit freine tout progrès de l’Union du Maghreb arabe, créée à Marrakech en février 1989. Cela conduit le Maghreb à prendre du retard dans la mondialisation. Il est inconcevable que les frontières soient fermées entre l’Algérie et le Maroc. Le coût de ce manque d’intégration économique des pays de l’UMA est important. Il est consternant de constater que les échanges intermaghrébins ne représentent que 2% du commerce entre les cinq pays. Selon les experts internationaux, cette situation fait perdre à chaque pays de l’UMA environ 2 points de PIB et donc des centaines de milliers d’emplois par an. La paralysie de l’unité maghrébine empêche également que les pays du sud aient des relations plus équilibrées avec les pays du nord de la Méditerranée.

L’éventualité d’un Maghreb arabe uni qui garantirait stabilité et progrès est-elle encore un projet politique viable ?

C’est un projet indispensable pour les peuples du Maghreb même si, d’évidence, cette perspective ne séduit pas le régime algérien qui n’a pas intérêt à voir se mettre en place un système d’intégration économique et de coopération politique qui exigerait plus de transparence et remettrait en question son système de prévarication et de corruption. Freiner ce projet revient à prendre une lourde responsabilité devant l’Histoire qui retiendra que l’union du Maghreb a été initiée par le Maroc, sous Mohammed V, et paralysée par l’Algérie.

Votre ouvrage démontre également que le conflit sur le Sahara marocain est un grave facteur de déstabilisation. Dans une région sahélo-saharienne où sévissent de dangereux groupes extrémistes politico-religieux, ce conflit ne représente-t-il pas un danger supplémentaire ?

– Le conflit sur le Sahara marocain est de première importance dans la géopolitique régionale car il vient rajouter un élément de déstabilisation dans la région sahélo-saharienne. Par surcroît, il est notoire que les groupes terroristes sévissant dans cette partie du monde (AQMI, Mourabitoune et DAECH) ont avec le Polisario des relations d’autant moins surprenantes qu’ils sont souvent issus de la même matrice algérienne. Nous ne pouvons que noter les accointances de plus en plus avérées entre des membres du Polisario et les groupes terroristes. Le Polisario constitue donc l’un des principaux facteurs de déstabilisation de la région. En tout cas, le Royaume chérifien est le seul pays stable et au sud de la Méditerranée. Fort du consensus national et du lien entre le peuple et une monarchie nationale et populaire, c’est le seul pays émergent du Maghreb et le seul qui présente de sérieuses garanties pour la sécurité de toute la région et la lutte contre la menace terroriste. En outre, sous l’autorité du Roi Mohammed VI, Commandeur des croyants, le Maroc lutte efficacement contre l’extrémisme religieux.

Selon vous, le plan d’autonomie soumis en 2007 par le Maroc au Conseil de sécurité, a-t-il des chances d’être mis en œuvre ?

– Tous les responsables internationaux qui connaissent le problème savent que le plan marocain est la seule issue crédible et sérieuse pour mettre fin à un conflit qui n’a que trop duré. Il est temps de tourner la page de ce triste reliquat de la Guerre froide. Or le plan marocain est exactement la solution de compromis et de réalisme à laquelle le Conseil de sécurité des Nations Unies appelle de ses vœux. Dans ces conditions, les membres du Conseil de sécurité devraient apporter clairement leur soutien aux efforts du Maroc qui est le seul à proposer une solution de sortie de crise. Cette solution réaliste est précisément le plan d’autonomie dans le cadre de la souveraineté du Royaume et de son unité nationale.

Entre la résolution du 25 avril 2013 du Conseil de sécurité de l’ONU qui avait salué les réalisations incontestables du Maroc en matière des droits de l’homme au Sahara notamment par la mise en place des commissions régionales du Conseil national des droits de l’homme, à Dakhla et à Laayoune, et les dérapages de Ban Ki-moon lors de sa dernière visite à Tindouf, il semble que le thème des droits constitue un cheval de bataille récurrent pour le gouvernement algérien. Qu’en pensez-vous ?

– Il semble d’abord que le secrétaire général des Nations unies a gravement failli en sortant de son rôle et en se départissant de la neutralité qui sied à sa fonction. De facto, il s’est disqualifié. Pour ce qui concerne les droits de l’homme, le Conseil de sécurité des Nations unies s’est, en effet, félicité «des mesures et initiatives entreprises par le Maroc pour renforcer les commissions régionales du Conseil national des droits de l’Homme à Dakhla et Laayoune». En dehors de l’action du CNDH, de ses commissions régionales et de la coopération avec les institutions onusiennes, le Maroc ouvre largement son territoire aux observateurs extérieurs. Ce n’est pas le cas du côté des camps de Tindouf en Algérie où règne l’opacité la plus totale. En ré- alité, comme le déclarait Dr Zeina el Tibi lors d’un récent colloque à l’université Paris Descartes, « si l’on veut s’intéresser aux droits humains, ce n’est pas du côté du Maroc qu’il faut regarder mais du côté algérien et des séparatistes car ici les violations des droits humains de la part des miliciens du POLISARIO et des services algériens sont quotidiennes».

Comment voyez-vous l’avenir de l’Algérie dans l’immédiat, et l’après-Bouteflika ?

– Dans l’immédiat, l’Algérie souffre de la faillite d’un système de mono-économie fondée sur la rente pétrolière et gazière. Ce système est d’autant plus à bout de souffle que le prix des hydrocarbures a considérablement baissé depuis deux ans. Par ailleurs, l’Algérie connaît une grave crise du pouvoir politique qui a perdu toute crédibilité, notamment en maintenant au pouvoir un homme qui est manifestement incapable d’assumer ses fonctions, C’est insultant pour le peuple algérien. Au-delà de Bouteflika, ce qui est en cause, c’est un régime de type soviétique qui a ruiné le pays aussi bien économiquement que moralement et même politiquement en accentuant les clivages entre les citoyens. Un meilleur avenir des Algériens ne peut que passer par un changement de régime mais, s’il gouverne mal, ce régime sait se défendre et on peut craindre que dans l’hypothèse où ils soient menacés de perdre le pouvoir, ses caciques se précipitent dans de folles aventures…

Propos recueillis par Souad Mekkaoui

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