Sainte-Sophie : une indignation sélective

La réaffectation des Lieux de culte est fort ancienne, par exemple de très nombreux temples païens furent annexés par l’Église lorsque l’Empire romain est passé au christianisme. Cette réaffectation a souvent suivi le déplacement des frontières politiques.

Dès lors on ne peut que s’étonner de l’indignation sélective qui a suivi la décision de la Turquie de rétablir le culte musulman à Ayasofya d’Istanbul. Pourtant, Sainte-Sophie, Ayasofya, n’est pas passée brusquement du rang de basilique orthodoxe à celui de musée. Ayasofya est devenue mosquée sous Mehmet II, à la suite de la chute de Constantinople (aujourd’hui Istanbul), en 1453. À cette époque, le bâtiment était très délabré et le sultan ordonna sa réparation. Il fut ensuite restauré à plusieurs reprises par les sultans, notamment au XVIe et au XIXe siècle. Ce n’est qu’en 1934 que Sainte-Sophie perdit son statut de lieu de culte pour devenir un musée, sur décision d’Atatürk, grand patriote turc, mais connu pour sa proximité avec les milieux maçonniques. Depuis 2012, plusieurs campagnes ont visé à demander que le musée redevienne un lieu de culte musulman. Le 10 juillet 2020, un décret du Conseil d’État a eu pour effet de rétablir le culte musulman dans la mosquée et, le 24 juillet 2020, jour du 97e anniversaire du Traité de Lausanne qui lave l’humiliation du traité de Sèvres et fixe les frontières de la Turquie moderne, la prière musulmane y fut célébrée en présence du président Recep Tayyip Erdogan. En même temps, le chef de l’État turc a précisé que Sainte-Sophie « restera ouverte à tous, Turcs et Étrangers, musulmans et non-musulmans ». En somme, très peu de choses changeront et on peut se demander si certains n’organisent pas une tempête dans un verre d’eau.

Par ailleurs, on peut également constater que le cas de Sainte-Sophie n’est pas unique. Ce lieu de culte n’est pas le seul à avoir changé d’affectation religieuse. La mosquée almohade de Séville, la fameuse Giralda, mosquée sœur de la Koutoubia de Marrakech et la Tour Hassan de Rabat, érigée au XIIe siècle par le sultan marocain Yacoub El Mansour, fut le monument central de l’Espagne musulmane, al Andalus. La Giralda de Séville fut transformée en église après que les troupes de Ferdinand de Castille eurent pris possession du site en 1248. La grande mosquée de Cordoue, qui a été édifiée par les califes omeyyades entre les VIIIe et XIe siècles, fut le monument le plus emblématique de l’art musulman des Omeyyades de Cordoue. La mosquée fut transformée en église au XIIIe siècle. La Commission islamique d’Espagne ainsi que la Ligue arabe réclament, depuis 2004, la levée de l’interdiction de pratiquer le culte musulman au sein de cette mosquée-cathédrale de Cordoue. Ne disons rien de la mosquée historique d’Al-Ahmar (la mosquée rouge), bâtie en 1276 en Palestine, à Safed (occupée en 1948), qui faisait partie du patrimoine de l’humanité, et qui a été transformée en bar par la municipalité en 2019 !

À vrai dire, il semble que les islamophobes et même certains milieux occidentaux perdent tout sens de la mesure quand il s’agit de l’islam en général, et de la Turquie en particulier. Souvenons-nous que le rôle de la France fut, de tout temps, d’être un médiateur entre les deux religions, un initiateur des deux mondes. Comme l’écrit Michelet, célébrant l’accord franco-turc conclu en 1536 entre le Roi François 1er et le Sultan Soliman le Magnifique : « Acceptons hautement, au nom de la Renaissance, le nom injurieux que Charles-Quint et Philippe II nous lancèrent tant de fois. La France, après Venise, fut le grand renégat, qui, le Turc aidant, défendit la chrétienté contre elle-même, la garda de l’Espagne et du roi de l’Inquisition. »

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