Sans confiance, point de salut !
Par Souad Mekkaoui
La confiance n’est pas une illusion vide de sens. Le coup de gueule de Zouheir Chorfi, Secrétaire général du ministère de l’Economie et des Finances, lors des Assises de la fiscalité et les réactions virulentes du président de l’ANCP (Association nationale des cliniques privées du Maroc) ont rappelé, encore une fois, le climat de méfiance dans lequel nous autres Marocains, logés à la même enseigne, sommes condamnés de vivre. Entre les chiffres annoncés par l’un ou l’autre, le Marocain s’égare et perd toute vérité possible. Les accusations échangées entre les deux hommes ne font que confirmer que le malaise social est de règle, nourri par un ralentissement du pouvoir d’achat, des politiques publiques créatrices de déséquilibres économiques et sociaux, des services publics défaillants, un faible niveau de création d’emplois au moment où la population en âge de travailler augmente sensiblement. Ce qui souligne la défiance des citoyens envers les politiques et dépeint une société craintive, angoissée et fragmentée alors que le Maroc se retrouve face à des défis majeurs. Le désenchantement a succédé aux illusions qui ont été vendues aux citoyens et qu’ils se sont empressés d’acheter.
Confiance quand tu nous fuis
Manque de confiance en le gouvernement, malaise social, incivisme, marché de l’emploi verrouillé, stagnation des revenus, pression fiscale, accès au logement difficile, recours coûteux au secteur privé pour l’enseignement et la santé, tous les ingrédients sont là pour que le mal-être s’installe. Plus personne ne fait confiance à personne, c’est la cautèle généralisée. Le manque de fiabilité, de légitimité, de crédibilité des pouvoirs économique et politique déstabilise l’ensemble de la société et nous fait traverser une crise extrêmement grave. En effet, nous assistons à un moment de suspicion totale, non seulement à l’égard des représentants politiques dont le discours et les promesses n’ont plus de crédibilité mais également à l’égard de tous ceux qui prétendent s’exprimer en leur lieu et place : les syndicats, les acteurs économiques, les élites. Nos dirigeants politiques, toutes tendances confondues, les cadres des syndicats et des entreprises, les corps intermédiaires, les services publics … ne suscitent plus que scepticisme et méfiance. Il en ressort que même les statistiques nationales, les données chiffrées et les interprétations des indicateurs produites par ces institutions perdent de leur crédibilité face au doute croissant de la population.
Comment continuer à avoir confiance dans des discours et des politiques, aux leviers de commande, qui tendent à perpétuer un système de valeurs et un mode de fonctionnement dont tout démontre qu’ils sont complètement dépassés et inadaptés ? Qu’on pose une simple question à nos concitoyens : Qu’éprouvent-ils en pensant à la politique ? De la méfiance, n’hésiteront-ils pas à répondre. Chose qui n’est pas très étonnante compte tenu des nombreuses promesses non tenues du gouvernement et de l’incompréhension à voir des partis politiques passer de l’opposition à la majorité gouvernementale sans qu’on ne puisse assimiler le changement. Comment peut-on se fier à des politiciens qui n’ont pas vocation à collaborer ? Comment demander à des citoyens qui, au bout du rouleau, ont retiré leur confiance aux élus, aux médias, aux institutions et aux entreprises de s’en remettre à un gouvernement composé de personnes que tout sépare en dehors de l’intérêt personnel? Mais ce qui est encore plus désolant est que le manque de confiance s’étend presqu’à tous les domaines. Aujourd’hui, force est de constater que plusieurs secteurs vitaux qui impacte directement sur le quotidien des Marocains, sont en panne. Un enseignement en parfait déphasage avec les exigences du marché de l’emploi, un système de santé publique malade, une justice défaillante où les affaires traînent donnant aux citoyens l’impression d’une justice rapide et raide avec les pauvres, faible et lente avec les forts, une montée des inégalités sociales qui creusent le fossé et animent une rage sociale et une exaspération populaire, notamment chez les jeunes, en prise directe, qui n’attendent que la première occasion pour se manifester ayant perdu tout espoir de réussir…
Or, la confiance est l’une -voire la plus importante- des clés principales du vivre-ensemble et une société où la confiance n’existe plus perd ses bases. De fait, le lien social, le système de solidarité étatique, la société en réalité n’existent que si un minimum de confiance s’établit entre les citoyens et leurs représentants. Seulement, dans tout contrat de confiance, il y a une volonté de sécurité, ce qui nous fait le plus défaut à notre grand malheur.
Nous sommes dans une impasse
Peut-on alors reprocher aux citoyens cette suspicion qui conduit rapidement au discours du « tous pourris » ? Il y a désormais deux catégories de gens : les gagnants et les perdants. C’est-à-dire ceux qui sont capables de gérer seuls, de ne dépendre de personne, et les autres. Ces « autres » sont la classe moyenne, cette frange de la population censée être la colonne vertébrale de toute société mais qui est marginalisée et exclue des politiques publiques. Pourtant le Roi n’a eu de cesse d’appeler, dans ses discours, à lui donner une place et une assise au sein de l’architecture sociale marocaine, et appelé le gouvernement à veiller à ce que toutes les politiques publiques soient stratégiquement vouées à l’élargissement de cette classe. Il a aussi ordonné l’adoption d’un nouveau modèle de développement, équilibré et équitable, garant de la dignité de tous, générateur de revenus et d’emplois, d’assurer un enseignement de qualité, un accès digne à des services de santé d’un bon niveau, à une justice équitable et une administration au service du citoyen.
Mais rien n’y fait !
Force est de se demander pourquoi un tel décalage entre ce qu’entreprend le Roi et ce que fait le gouvernement déconnecté des préoccupations des citoyens.
Pourtant, cette classe moyenne croule sous le coût de la vie, de l’accès aux écoles et aux soins de santé qui se font, en grande partie, dans des établissements privés, compte tenu de l’état et de la qualité des services publics, de la pression fiscale puisque sur les 40 milliards d’impôts sur le revenu qu’encaisse l’Etat, chaque année, près de 74% sont payés par les salariés. Dès lors, peu confiantes quant à leur avenir, ces personnes, têtes de turc du gouvernement, se sentent abandonnées, perdent confiance en l’Etat. Le malaise ne vient pas tout seul, à coup sûr, car en faisant de l’individu une ressource, on finit par l’épuiser.
Le rêve de l’ailleurs
Tous ces facteurs et bien d’autres éveillent un sentiment de peur en l’avenir chez les Marocains, persuadés que les hommes politiques ne se préoccupent pas de leur sort, et engendrent un désamour pour le pays.
Aujourd’hui, la situation devient de plus en plus critique car cette perte de confiance a des conséquences fâcheuses puisqu’elle gangrène tout et sape le moral des citoyens qui estiment qu’ils n’ont plus rien à perdre et lorgnent l’ailleurs, prometteur d’un avenir meilleur. Selon une étude du site ReKrute.com sur la migration des talents marocains, neuf diplômés sur dix affirmeraient être prêts à s’expatrier si l’occasion se présente.
Ce qui est malheureux c’est que ce ne sont plus juste les jeunes qui quittent mais même des entrepreneurs et des hommes d’affaires, en quête de climat sain et sûr pour leurs projets, vont investir à l’étranger. Le Maroc se verra ainsi vider de ses vraies richesses à savoir son capital humain qui, il faut bien l’avouer, est en avance par rapport aux institutions.
On quitte parce que l’on est persuadé que ce sera mieux ailleurs.
La confiance ne se décrète pas, elle se construit
Pour sauver la mise, les classes dirigeantes ont intérêt à se poser des questions et revoir leur conception de gouvernance. Nous devons sortir de l’impasse, aussi nous faut-il réfléchir ensemble à agir de concert à ce qui pourrait fonder à nouveau notre lien afin de restaurer et de renforcer la fondation de base de toute société humaine qui est la confiance. Il est temps de revaloriser les aspirations du peuple, renforcer la suprématie de la loi, raffermir le caractère institutionnel de la relation Etat-Citoyens, lutter contre la société des relations, combattre la corruption, redonner confiance, recréer du lien social et favoriser le principe de corrélation entre la responsabilité et la reddition des comptes. En un mot, passer à la société de droit et de la méritocratie.
Sinon, tant que des individus se sentent au-dessus des lois parce qu’ils ont les moyens de tout payer, tant que la corruption gangrène, tant qu’il n’y a pas de vraie justice concrète et équitable, l’insécurité régnera et la confiance désertera à grandes enjambées. Il faut bien se le dire : aujourd’hui plus que jamais, le citoyen marocain qui a le sentiment de tomber en quenouille, a besoin de justice, de sécurité, de respect de ses droits et de sa dignité.
De facto, le changement ne peut s’opérer que par les urnes et les élections sauf que l’abstention se fait massive, en raison du décrochage net, dans une grande partie de la population, convaincue que son pouvoir de changement est nul et que son vote ne sert à rien. Epine dans le pied : la confiance justement …