Sommet de Kigali pour une ZLECA : Quand l’Afrique prend en main sa destinée pour accélérer son intégration économique
Par Othmane Semlali
Plusieurs dirigeants africains entre chefs d’Etat et chefs de gouvernement, ont fait le déplacement en ce début de semaine vers la capitale rwandaise, Kigali, pour prendre part au 10è Sommet extraordinaire de l’Union Africaine (UA). L’un des plus importants dans l’histoire de l’organisation panafricaine car, il devrait acter le lancement officiel des premiers jalons d’une Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECA), un pas indispensable pour l’accélération du processus d’intégration économique du Continent.
La rencontre de Kigali devrait être soldée par la signature du traité instituant cette Zone qui serait à terme, la plus grande à l’échelle planétaire, bien que pour nombre d’observateurs et experts avertis, le chemin à parcourir demeure encore long et planté de difficultés et de réticences. Ces derniers insistent, toutefois, sur l’impératif de mener un long combat pour parvenir à fédérer tous les Etats membres autour de ce projet pertinent, et à gagner la conviction et la confiance de certains pays qui se montrent plus « protectionnistes ».
Ce projet est d’autant plus pertinent qu’il s’inscrit aussi dans le cadre d’un processus qui devrait aboutir à la création d’un marché commun, et d’une union économique et monétaire en Afrique à l’horizon 2028. La zone de libre-échange continentale africaine, en chiffres, vise à augmenter le commerce intra-africain de 35 milliards de dollars par an pour atteindre les 52% en 10 ans. L’établissement de cette zone se traduira par la création d’un marché africain commun de biens et de services de 1,2 milliard de consommateurs et la réalisation d’un Produit intérieur brut (PIB) de 2,5 billions de dollars.
Autrement dit, la zone de libre échange continentale africaine est un projet phare de l’Agenda 2063, la vision à long terme de l’UA pour une Afrique intégrée, prospère et pacifique. Son aboutissement permettrait de transformer l’avenir de millions d’Africains en renforçant les relations économiques et commerciales entre les pays du continent.
Néanmoins, toute une difficulté persiste, celle de convaincre tous les pays africains et à leur tête le Nigéria, l’une des économies les plus attractives et dynamiques du Continent qui, par le biais de son président, Muhammadu Buhari a annoncé il y’a quelques jours, qu’il ne fera pas le déplacement à Kigali, et qu’il ne signera pas l’accord constitutif de cette Zone.
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Dans un communiqué de la présidence Nigériane publié dimanche 18 mars, il a été écrit que « le président du Nigéria ne voyagera plus vers Kigali pour cet événement parce que certains actionnaires nigérians ont fait savoir qu’ils n’ont pas été consultés ». Il s’agit en vérité, du Syndicat « Nigeria Labour Congress » (NLC) qui a émis des oppositions, craignant ainsi les effets négatifs de la ZLEC sur l’économie nationale. En effet, la présidence nigériane justifie cette décision par la volonté de permettre de donner plus du temps aux consultations.
Ce traité vise à intégrer les 54 pays africains dans une zone de libre-échanges commerciaux, et doit regrouper à terme les zones régionales commerciales (Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Sur la pertinence de ce projet, on estime que l’industrie naissante en Afrique devra bénéficier de manière progressive de l’élimination des droits de douane entre les pays membres de la ZLECA, ce qui ce répercutera sur la classe moyenne africaine. Aussi, à l’heure actuelle, seul 16% du commerce des pays africains s’effectue à l’intérieur du Continent, ce qui demeure nettement en deçà des opportunités et du potentiel de l’Afrique.
Des experts en économie mondiale estiment dans ce sens, que la mise en place de cette Zone peut aider les industries africaines et offrir au Continent une plateforme idoine pour négocier de meilleurs accords commerciaux avec l’extérieur. Aussi, le secteur industriel serait davantage diversifié, avec un marché potentiel de 1,2 milliard d’âmes.
Quid du Maroc… ?
Fidèle à ses principes d’ouverture et à son engagement pour une Afrique émancipée, intégrée, prospère et développée, le Maroc a répondu présent au Sommet de Kigali, avec une première participation déjà lundi 19 mars, à la réunion du Conseil Exécutif du Sommet extraordinaire de l’UA dédiée à la ZLECA. Le Royaume a été d’ailleurs fortement représenté à cette réunion, par le ministre délégué chargé de la coopération africaine auprès du ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération Internationale (MAECI), Mohcine Jazouli, accompagné d’une importante délégation du ministère de tutelle.
Cette réunion a été tenue sous le thème « tirer profit du pouvoir des entreprises pour stimuler l’intégration de l’Afrique », dans le but de préparer la signature par les pays africains du traité de la ZLECA. En effet, la position du Maroc sur cette question de la ZLECA et de l’intégration du Continent de manière générale, est claire concernant ce projet ambitieux, et tout succès de cette future zone demeure tributaire de l’implication aussi du secteur privé, comme l’a estimé, de son côté, Mme Miriem Bensaleh- Cheqroun, présidente de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM) lors du « Forum d’affaires » tenu lundi à Kigali, en prélude au 10è Sommet extraordinaire de l’UA.
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De l’avis de la présidente du Patronat marocain, pour que cet accord de libre-échange atteigne ses objectifs, il est primordial qu’il fournisse des mécanismes de renforcement des chaines de valeurs existantes et encourage l’investissement industriel et le transfert du savoir-faire à travers des règles flexibles pendant les premières années suivant sa signature. L’accord de libre-échange doit également participer à la modernisation de l’agriculture, l’un des piliers de l’économie africaine, faciliter l’entrepreneuriat et l’innovation et améliorer le doing business, a-t-elle insisté, déplorant le fait que « le commerce intra-africain atteint à peine 16%, contre 51% en Asie, 54% en Amérique du Nord et 70% en Europe ».
Cette situation est imputée à plusieurs facteurs, entre autres, la faiblesse de la connectivité des réseaux de distribution et de transport en Afrique, le manque d’industries de transformation et de ressources humaines qualifiées, et les grandes contraintes liées à la douane et à la faible connectivité digitale dans le Continent. En réalité, le Sommet de Kigali réuni à la demande du président de l’UA, Paul Kagame, sera pour beaucoup d’experts, un rendez-vous du Continent avec l’histoire surtout, s’il est à noter que le projet de la ZLECA est en gestation depuis plus de 40 ans, alors même que sa mise en œuvre, a été déjà tardée d’une année.
Ceci dit, si la mise en place de la ZLECA arriver à se concrétiser dans les faits, cela devrait permettre à terme, d’ériger l’Afrique en véritable union douanière, la plus grande au monde jamais réalisée depuis la création de l’OMC : Organisation Mondiale du Commerce. Le président rwandais a ainsi rappelé, dans sa lettre d’invitation aux chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA, que la mis en place de cet espace économique constitue « un pacte historique », dont la concrétisation représente une avancée majeure pour l’intégration et l’unité africaines.
Même son de cloche chez Moussa Faki Mahamat, qui estime que la ZLECA fera du Continent l’une des plus grandes économies du monde, et renforcera tant la position de l’Afrique dans le commerce international, que sa capacité à interagir sur un pied d’égalité avec les autres blocs économiques mondiaux.
Selon les estimations de la Banque Africaine de Développement (BAD), la zone de libre-échange continentale devra doper le PIB du Continent de plus de 35 milliards de dollars dans les cinq prochaines années, à la faveur de l’élimination progressive des obstacles tarifaires et non tarifaires au commerce des marchandises et la libéralisation graduelle du commerce des services.
La Commission économique pour l’Afrique des Nations Unies estime, pour sa part, que la concrétisation de cet ensemble économique contribuera à coup sûr à augmenter la part de l’Afrique dans le commerce mondial. Celle-ci étant encore dérisoire puisqu’elle n’en représente qu’environ 2 %. La ZLECA permettrait également, selon les experts, de réduire la dépendance de l’Afrique vis-à-vis de l’étranger avec une baisse des importations africaines de 10,2 milliards de dollars.
In fine, la ZLECA mérite un intérêt particulier en ce sens, qu’elle devra à terme être perçue par l’ensemble des pays africains comme une initiative en faveur d’une Afrique unie et réunie, une Afrique rassemblée et solidaire, une Afrique dotée d’un agenda commun, optimiste quant à son avenir et bien outillée pour relever les défis qui s’imposent, avec toute la sérénité et la confiance requises.