Tourisme : Le projet de loi 30.20, un texte à « contre sens » des droits du consommateur

Depuis son adoption, le 30 avril, au conseil de gouvernement, le projet de loi 30.20, édictant des dispositions particulières relatives aux contrats de voyage, résidences touristiques et au transport aérien des voyageurs, suscite de vives controverses. Pointé du doigt par les juristes et les associations de protection du consommateur, ce texte ignore, selon eux, « les principes fondamentaux » du droit des contrats au Maroc, ainsi que des droits et intérêts des consommateurs.

Ce nouveau projet de loi présenté par la Ministre du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie sociale, vise à adopter des mesures permettant aux opérateurs touristiques, lourdement impactés par les conséquences de la crise sanitaire découlant de la pandémie de Covid-19, d’affronter les contraintes résultant de la non-exécution des contrats signés avec leurs clients, avant mars 2020.  

Le texte de loi constitue, selon la responsable du département du Tourisme, Nadia Fettah Alaoui, « un plan de sauvetage » pour les entreprises opérant dans le secteur touristique et le transport aérien, malgré le désaccord de certains parlementaires, qui ont défendu les dispositions de la loi 31.08 encadrant la protection des consommateurs, notamment, le député FGD Omar Balafrej, qui a jugé ce texte « inconstitutionnel ». D’ailleurs, il était le seul à avoir voté contre à la Chambre des représentants, le 13 mai. Ce texte est désormais entre les mains de la commission des secteurs productifs à la Chambre des Conseillers.

De son côté, la Fédération nationale des associations du consommateur (FNAC) a haussé le ton contre le gouvernement, dans un communiqué publié le 10 mai, expliquant que ledit projet « a balayé d’un revers de main tous les droits fondamentaux du consommateur à l’échelle mondiale et notamment la philosophie et l’esprit de la loi 31.08 édictant des mesures de protection du consommateur », tout en rappelant que « le consommateur ne peut en aucun cas être la banque des professionnels, et son droit au remboursement des montants avancés demeure un choix inconditionnel et inéluctable ».

Par ailleurs, la FNAC a demandé la révision de ce projet de loi en concertation avec les associations de défense des consommateurs, en précisant qu’ « il est primordial que le consommateur demande le remboursement de ses montants avancés et dans les délais prescrits par la loi 31.08 ».

Notons que ce projet de loi concerne les contrats de voyage, de résidence touristique et de transport aérien des voyageurs dont l’exécution devait intervenir courant la période allant du 1er mars à la date de la fin de l’état d’urgence sanitaire et ceux dont l’exécution devait intervenir courant la période allant du 1er mars au 30 septembre 2020, alors que les contrats relatifs aux opérations de pèlerinage à la Mecque, pour l’année en cours, sont formellement exclus du champ d’application de la nouvelle loi.

Juridiquement parlant, ce texte n’est pas à l’abri des critiques. Selon maître Hatim Elkhatib, avocat au barreau de Tanger,  » la mise en place de nouvelles mesures d’aide et d’accompagnement des opérateurs concernés ne peut ignorer les principes fondamentaux régissant le droit des contrats au Maroc, ainsi que les droits et intérêts des consommateurs ayant signé un contrat de prestation de services préalablement à la mise en place de l’état d’urgence sanitaire et dont les droits ne peuvent être remis en cause par le nouveau texte ».

Dans une analyse critique, maître Elkhatib, disposant d’une longue expérience dans l’accompagnement juridique des entreprises nationales et internationales, explique que « l’adoption du Projet et son entrée en vigueur se traduiront par une remise en cause forcée de la situation contractuelle des clients telle qu’ils l’ont acceptée à la date de signature du contrat ».

D’un point de vue constitutionnel, la loi ne peut avoir d’effet rétroactif.  D’après maître Elkhatib, « la rétroactivité de la loi n’est envisageable que dans la mesure où elle serait explicitement prévue par le législateur et qu’elle se traduirait par une amélioration de la situation et/ou des droits des parties concernées sans remise en cause des droits acquis ».

Et d’ajouter : « Or, les clients des Prestataires de services concernés par le Projet ont souscrit avec eux des contrats de prestations de services, et donné leur consentement sur la base des droits qui leur sont reconnus par la législation en vigueur, à la date de conclusion du contrat, en ce compris le droit à la rétrocession des avances remises au Prestataire de services en cas de résiliation des contrats ».

Par ailleurs, ces dispositions remettent en cause un principe fondamental du droit des contrats. « Les obligations contractuelles valablement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou dans les cas prévus par la loi », précise l’associé gérant du cabinet d’avocat d’affaires ‘ELKHATIB LAW FIRM’.

Parmi les conséquences de ces dispositions sur le client, « il ne peut demander au Prestataire de services, lui ayant notifié une offre d’utilisation du montant, qui lui a été avancé pour une nouvelle prestation, la restitution du montant suscité qu’après l’expiration du délai de quinze ( 15) mois prévu par l’article 12 du Projet ».

Selon la même source,  » tout en prononçant la résiliation de plein droit du contrat, le législateur prive le client de son droit de demander la répétition des montants avancés au Prestataire de services. Autrement dit, le contrat continue à produire ses effets juridiques pendant quinze (15) mois, nonobstant sa résiliation, chose incompatible avec les principes élémentaires du droit des contrats ».

Quant aux droits des consommateurs, « le Projet a  érigé des règles foncièrement incompatibles avec la loi n°31-08. Il est à contre sens de la loi édictant des mesures de protection du consommateur, tant au niveau de son esprit qu’au niveau des règles qu’il instaure ». Ainsi, conformément aux termes de l’article 18 de la loi n°31-08, sont considérées comme abusives les clauses ayant pour objet ou pour effet, « de résilier le contrat sans rétrocession des avances versées ou d’imposer de nouveaux termes du contrat… ».

Enfin, ce nouveau projet de loi, « ne constitue-t-il pas une atteinte à la sécurité juridique indispensable pour le développement des activités économiques, tous secteurs confondus ? », se demande maître Elkhatib. 

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