Trump tempère sa rhétorique contre l’iran et maintient ses menaces : Entre Apocalypse en Libye et « affolement du monde »

Par Hassan Alaoui

Catacombes et sépultures jonchent le champ de bataille que le général iranien Qassem Soulaimani et Donald Trump ont planté au Moyen Orient. L’assassinat vendredi 3 janvier 2020 en Irak, ordonné par le président des Etats-Unis, de celui que la presse internationale décrit comme le grand « architecte de l’expansionnisme iranien » dans la région, n’est pas seulement l’aboutissement tragique de la rivalité américano-iranienne, actée notamment depuis trois ans maintenant. Il ouvre une ère inédite dans le bras de fer sanglant qui oppose les deux pays, synonyme d’une boîte de Pandore où se conjuguent concomitamment et avec effroi orgueil de puissance, chez Trump notamment, irrédentisme expansionniste et machiavélisme de l’Iran et un contexte géopolitique digne du chaos total. La frappe des drones américains du 3 janvier n’est pas demeurée sans riposte, puisqu’en effet, le gouvernement de Téhéran a lancé, dans la nuit de mardi 7 au mercredi 8 janvier, quelque 22 missiles contre les bases irakiennes d’Al Assad et d’Erbil qui abritent les troupes américaines.

Vengeance et avertissement aussi ? Pour autant, les ardeurs guerrières ne se sont pas pour autant tempérées. Rien n’est moins sûr que cette relative désescalade.

 D’aucuns – en fait ils sont légion – n’en démordent pas pour affirmer que le chaos dans la région du Golfe est le résultat de la mégalomanie du président américain. La vérité est que celui-ci n’est pas à l’origine de ce contexte apocalyptique qui remonte à mars 2003, date à laquelle un illustre faucon républicain, dénommé Georges W. Bush , a envahi, détruit ensuite l’Irak et assassiné son président.

L’autre vérité est que la République islamique d’Iran, depuis sa fondation en 1979 par l’Ayatollah Khomeiny, met en place un projet d’expansion dans la région qui a poussé une année plus tard Saddam Hussein à lancer contre elle ce qu’on appelle la première guerre du Golfe, soldée huit ans plus tard par quelque 800 000 morts de part et d’autre.

La politique américaine à l’égard de l’Iran n’a jamais varié d’un iota depuis 1980, marquée au sceau de l’angélisme sous Jimmy Carter, d’un durcissement doctrinaire sous Ronald Reagan et George Bush père, comme aussi sous le démocrate Clinton, ou Georges Bush fils qui lui a succédé et même Barack Obama qui a cru jouer le conciliateur intrépide et réussi en revanche le pari de ramener les dirigeants iraniens à la table des négociations sur le nucléaire. Dans ces interstices, l’accord nucléaire signé en juillet 2015 entre l’Iran, les Etats- Unis et l’Union européenne a apporté une lueur d’espoir, fût-elle si infime – quant à l’engagement de la République islamique de réduire, à défaut de le détruire, son programme d’enrichissement de l’uranium. Demeuré fidèle à ses promesses préélectorales, Trump a dénoncé l’accord nucléaire en question et crée ainsi les conditions d’un affrontement avec l’Iran d’autant plus inévitable qu’il a assorti son désengagement de mesures d’embargo coercitives et de sanctions léonines contre Téhéran. Le retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire signé par Barack Obama, a constitué ni plus ni moins un casus belli. Tant et si bien que le gouvernement iranien, non content de démontrer au monde la mauvaise foi de Trump, exprime à la fois sa shadenfreude et, ouvertement sa décision de mener à terme son programme nucléaire à la barbe de la communauté internationale. C’est en effet le point nodal de l’inquiétude des gouvernements européens, notamment l’Allemagne, le Royaume Uni, la Russie, la Chine et la France, impliqués dans le processus des négociations nucléaires avec l’Iran. Non sans précaution, on peut espérer peu ou prou que le gouvernement de Téhéran ne cédera pas aux appels de ses populations qui réclament à cors et à cris une « vengeance exemplaire » de l’assassinat du général Qassem Soulaimani qui se traduira, à coup sûr, par une cataclysmique montée des violences inédites. Ce dernier, tout à son génie de stratège et, a-t-on dit, « d’architecte » de la mainmise méthodique de l’Iran sur le théâtre proche-oriental, na jamais été un saint aux mains blanches. Son titre militant et militaire – « patron des actions extérieures du groupe al- Qods des pasdaran – en dit long sur son parcours marqué au sceau à la fois de la violence, de la patiente conquête et de l’influence de l’Iran au Liban, en Irak, en Syrie et au Yemen… Il prend activement part à la Révolution de 1979 qui renverse le Chah d’Iran, Réda Pahlevi et soutient activement l’Ayatollah Khomeiny en devenant le fer de lance du mouvement des Pasdaran ( Gardiens de la Révolution), créé avec l’objectif de mener une répression féroce à tout ce qui s’oppose au régime islamiste et dont les opposants, regroupés dans le Toudeh feront cruellement les frais.

 En 2001, après les attentats perpétrés par al-Qaïda contre les tours jumelles de New York, Qassem Soulaimani est le tout premier à se prononcer pour une coopération avec le président Georges W. Bush pour attaquer l’Afghanistan et écraser le pouvoir taliban, séquence qui ne l’honore point. Dans la foulée, il se réjouit de la disparition sanglante de Saddam Hussein en 2003 et, fin négociateur au service de l’expansion idéologique de son pays, il contribue à imposer un pouvoir chîite à Bagdad à la dévotion de Téhéran. De la même manière, mais cynique cette fois-ci, il prête main forte aux combattants sunnites en Syrie pour combattre la présence américaine dans la région.

 Le contexte irano-américain n’illustre qu’une partie de l’équation conflictuelle aggravée dans la région, impliquant jusqu’à la Méditerranée orientale où se déroule une partie de poker autour d’un gisement gazier estimé à pas moins de 60 milliards de mètres cubes dans le large de Chypre, impliquant la Turquie, la Grèce, Israël… L’enchaînement des conflits et des crises, la spirale meurtrière des interventionnismes, d’ingérences aujourd’hui affichées et le lendemain opposées, autorise un sentiment de pessimisme ou, à tout le moins de scepticisme. La Libye est à feu et à sang, sa souveraineté et son intégrité territoriale volent en éclats sous la pression conjuguée d’une « guerre civile » déclarée en interne et des interventions des puissances régionales en externe.

Deux gouvernements et deux légitimités se font face en Libye, une nation déchirée et livrée aux appétits d’au moins huit puissances étrangères, réduite à une peau de léopard avec ses zones tribales, ses milices et mercenaires qui « squattent » son sol, des armées financées à tire-larigot par les pays voisins, tout cela en violation tranquille de l’embargo sur les ventes d’armes imposé par les Nations unies. L’éclatement de la Libye implique une aggravation du conflit digne d’une Apocalypse, il met en évidence la tentation chez les uns et les autres d’aiguiser les armes de toutes formes pour avancer leurs pions, à défaut d’agir directement. La diplomatie des drones se substitue aux vains langages. En définitive, l’escalade dans cette vaste région s’apparente à cette métaphore qu’un certain Thomas Gomart illustre dans son dernier livre, « L’affolement du monde, 10 enjeux géopolitiques » et qu’il a pertinemment présenté, mardi 7 janvier, au « Policy Center for the new south », à Rabat.

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