UNE VIE EN VAUT UNE AUTRE : Second souffle pour les Nations unies et la Société civile

Par Patrice Barrat (*)

Ce texte s’inspire, grandement, d’un autre texte que j’avais publié, en 2006, dans THE UN CHRONICLE, la revue des Nations unies. Si le contexte a, forcément changé, je crois bien que les éléments d’analyse que je proposais alors, quant à eux, demeurent. 

«Une vie en vaut une autre » : pour que les Nations unies trouvent ou retrouvent une légitimité aux yeux des peuples, il faudrait qu’en émane cette idée toute simple que la vie d’un Arabe a la même valeur que celle d’un Israélien, que celle d’un Africain équivaut à celle d’un Américain ou celle d’un Indien égale celle d’un Européen. Parmi les malheurs de l’ONU, il y a, bien sûr, la confusion entre ses décisions et sa capacité propres, d’une part, et les faits et gestes de ce qu’on appelle la «communauté internationale», d’autre part. Aux yeux du plus grand nombre, peu importent la Charte et les Résolutions si, au bout du compte, c’est la loi du plus fort ou du plus riche qui prévaut. Alors que le monde fait face à des défis – écologique, socio-économique, militaire- qui engagent son intégrité, l’enjeu principal pour les Nations unies ne se situe peut-être pas dans la réforme de ses règles et procédures mais plutôt dans l’affirmation de la portée universelle de sa mission, de la signification symbolique de sa Raison d’Être.

Il manque à l’ONU l’ambition de parler directement au cœur et à la raison des habitants de la Planète. Par-delà les gouvernements et leurs marchandages, par-delà les entreprises et leur irresponsabilité politique, par-delà les religions et leur instrumentalisation. Il existe pourtant, au sein même des textes «sacrés» des Nations unies, de quoi mobiliser la Planète entière. Que l’on songe seulement à ce passage de la Charte qui dit : « Réaffirmer la croyance aux Droits Humains fondamentaux, à la Dignité et à la Valeur de la personne humaine, aux Droits égaux des Hommes et des Femmes et des Nations grandes et petites. » Se souvient-on que c’est en réinventant la Constitution américaine pour la rendre plus égalitaire qu’Abraham Lincoln parvint à mettre un terme à la guerre civile qui ravageait les Etats Unis ? À travers son discours de Gettysburg, le 19 novembre 1863, il a su créer une nouvelle vision pour la Nation toute entière, y compris les anciens esclaves, avec quelques mots justes prononcés au bon moment :  FOUR SCORES et 7 ans de cela, broughtforth sur ce continent, une nouvelle nation, conçue dans la Liberté  et dédiée à la proposition que «tous les hommes sont créés égaux». Bien sûr, les exégètes diront que Lincoln a, délibérément, exagéré mais c’est l’inspiration qui a marqué ce jour !

Part de rêve, part d’ombre et vide

Imaginons un instant qu’Antonio Gutteres, le nouveau Secrétaire Général de l’ONU s’adresse directement, par dessus les représentants des différents États, aux citoyens du monde entier et qu’il les invite solennellement à l’aider à faire respecter, par tous les moyens non-violents à leur disposition, l’application de Droits égaux pour tous… Et on peut l’imaginer si l’on considère qu’avant d’être Secrétaire Général des Nations unies, Antonio Gutteres, a été Haut-Commissaire pour les Réfugiés et qu’il a pu déclarer cet été à « UN News» : «Je crois que les Jeunes représentent exactement mon espoir, car ils sont beaucoup plus cosmopolites. Ils sont moins enclins à ces approches irrationnelles du nationalisme, de la xénophobie, du racisme; ils comprennent que la diversité est une richesse et non pas une menace. J’espère que les Jeunes vont pousser leurs sociétés, leurs communautés, leurs gouvernements à comprendre qu’ils ont besoin de mener des politiques de cohésion sociale, qu’ils ont besoin de politiques qui permettent à chacun de sentir que leurs identités sont respectées mais, qu’en même temps, ils appartiennent à la communauté comme à un tout.» Bon nombre des champs majeurs- environnement, économie, sécurité, éducation, santé, technologie- ne dépendent pas de la seule ONU ou de ses agences.

Mais il existe un domaine plus impalpable et pourtant essentiel où l’ONU peut avancer de manière relativement autonome : celui des rapports de force entre ce qu’il est convenu d’appeler les «acteurs» de la mondialisation et surtout la manière dont ces rapports impliquent ou non les citoyens de la planète… L’ONU peut se dégager des pressions auxquelles elle est soumise en tirant parti de l’énorme confusion qui l’entoure et du vide de projets, de solutions et donc d’espérances qui caractérisent notre situation. Dans un monde de communication globale, c’est davantage par la revendication assumée d’un système de valeurs qui lui serait propre que par l’identification acharnée à un système multilatéral dont la direction lui échappe qu’elle parviendra à survivre et à se développer.

Fins de règne

Conférences onusiennes, sommet du G8 plus ou moins élargis, campagnes institutionnelles, ne mobilisent guère que ceux qui les préparent, à peine ceux qui y assistent, et vaguement ceux qui essaient de mettre cela en chansons charitables. Du coup, la géopolitique du marchandage et le fossé entre gouvernants et gouvernés sont encore plus perceptibles. Du côté des pouvoirs, on assiste aujourd’hui à plusieurs fins de règne apparemment interminables : celle d’un empire américain dont l’illusion de toute-puissance est battue en brèche par  la réalité ; celle d’une architecture internationale héritée de la Seconde Guerre Mondiale et dont les institutions économiques et financières sont dans l’impasse ; celle enfin d’une mondialisation façonnée par une idéologie néolibérale – au profit d’intérêts privés toujours plus concentrés et toujours plus puissants- et  par une socialisation des pertes – externalités négatives, sociales et environnementales , dont le coût est toujours supporté par les mêmes. De toute évidence, Donald Trump et Vladimir Poutine et aussi, ce qu’on appelle les «nouveaux impérialismes», désignant ainsi par exemple la Chine, n’ont que faire des Nations unies ou d’institutions internationales lorsqu’elles ne servent pas leurs intérêts immédiats. Ne parlons pas d’Israël !

Le retrait de l’UNESCO, en marge de l’économie produite ainsi sur le non-paiement des contributions, témoigne de ce non-respect. De plus, la question des réfugiés et celle des migrations internationales donnent à sentir un repli dangereux et imbécile derrière des frontières physiques et mentales où fleurissent les peurs et les démons. Une réforme dans la conduite des affaires du monde semble désormais inévitable. Ce changement imminent a déjà eu de nombreuses conséquences, positives et négatives. Des « hyper-conflits » ont été générés par le terrorisme et la réponse qui lui est apportée ou par la pression américaine persistante contre l’existence d’un système véritablement multilatéral. On peut également invoquer d’autres facteurs comme la montée en puissance des économies chinoise, indienne, brésilienne, ou encore l’émergence de nouvelles alliances politiques en Amérique Latine. Qu’en est-il de l’émergence des sociétés civiles, des nouvelles formes de représentation citoyenne à côté des gouvernements ? Certes, les formes les plus visibles et les plus organisées de la société civile investissent, ponctuellement, l’espace public mais sans être, apparemment, en mesure de rendre visible une alternative, durablement, mobilisatrice. Encore faudrait-il qu’une sphère véritablement publique – c’est à-dire non confisquée par des intérêts particuliers, qu’ils soient mercantiles ou étatiques- existe.

Mais tout se passe comme si la dite société civile avait perdu ses ailes en côtoyant les pouvoirs établis et s’était noyée dans les méandres de ses divergences. Au moment donc où l’Humanité semble marcher sur la tête et conduire la Planète à sa propre perte, j’aimerais vous convaincre que loin de désespérer, il est important de se donner les uns les autres de l’ÉLAN. Pour ce faire, j’ai conçu une démarche peut-être nouvelle dans le sens où elle peut permettre à chaque personne, à chaque citoyen(ne) du monde, de se sentir écouté(e), respecté(e) et co-responsable de l’avenir. Cette démarche je l’ai appelée OPEN CHANGE ou LES OLYMPIADES DU CHANGEMENT. Et elle est adossée aux Jeux Olympiques de Paris en 2022.

Second souffle commun : saisir le Droit 

Un second souffle, tant pour l’Organisation des Nations unies que pour les forces de la société civile qui ont émergé, depuis les années 90, peut venir d’une alliance qui porterait sur des valeurs et des processus communs. Dans le domaine des valeurs, la glorification de l’«intérêt bien compris» et l’identification du citoyen au consommateur ont dominé la phase récente de la mondialisation. Une manière de remettre les questions éthiques de justice, d’équité, de solidarité et de démocratie au centre du débat consiste à rendre toute sa place à la notion de Droits. Entre les revendications du mouvement altermondialiste (ou plus récemment des mouvements de jeunesse qui ont surgi depuis avec les Indignés, Podemos, Syriza, Occupy Wall Street, Nuit Debout…) qui s’appuient toujours sur le respect des droits humains et une communauté mondiale qui voudrait pouvoir faire respecter l’esprit et la lettre d’une légalité internationale, il existe un point de rencontre.

Ce point correspond à une réactualisation de ce que les juristes du passé appelaient le «jus gentium», ou «droit des gens» en tant que personnes et en tant que peuples habitant une même Terre. Survenant maintenant, cette notion serait portée par une modernité, par une vision du citoyen en tant que  personne  à même de saisir ses droits individuels ainsi que ses devoirs. Pour en arriver là, les processus de rapprochement ne sauraient dépendre d’un Conseil de Sécurité ou  du système intergouvernemental. L’ONU ne doit pas se contenter de chercher à illustrer un message par tel ou tel ambassadeur de bonne volonté ou se limiter à consulter la société civile. Elle doit s’engager avec elle dans des constructions qui  tirent parti de la société en réseaux pour partager avec le plus grand nombre.

Rôles à jouer

Bien sûr, pareille dynamique devrait impliquer les autres acteurs qui frappent aussi à la porte de la gouvernance globale : les villes et les autorités publiques, vraiment engagées dans la gestion des affaires publiques et qui sont souvent plus ouvertes que les gouvernements nationaux, les chercheurs et les entreprises conscientes de leur responsabilité sociale et environnementale. Avant tout, cela serait une construction du bas vers le haut, qui permettrait d’éviter la tentation passée d’imposer à tous un modèle uniforme. De la même manière que la décolonisation a suivi la colonisation, une phase de «dé-mondialisation» doit maintenant avoir lieu. Cela ne signifie pas revenir au souverainisme et au nationalisme mais laisser surgir des réponses nouvelles et adaptées aux problèmes particuliers de la planète. Et sans imaginer que l’Occident et le Nord sont les mieux placés pour fournir le cadre de la réponse.

Il est probable, comme l’indique Laurence Tubiana, présidente de l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales, que de nouvelles approches viendront d’Asie pour la croissance et l’environnement d’Afrique pour la démocratie et d’Amérique Latine pour la gestion des ressources. Et l’Europe, un peu trop engoncée dans ses certitudes et ses blocages, elle pourrait, certes, figurer comme un lieu réel de pouvoirs et de contre-pouvoirs, un lieu de paix et de tolérance. Mais elle devrait surtout devenir un levier international pour encourager et cristalliser les forces de la réforme. Plutôt que de s’enfoncer dans les peurs et les dépendances (ou dans sa propre décomposition).

Espace public, Bien public, Obligations positives 

Un danger guette néanmoins qui pourrait empêcher toute évolution favorable. Il s’agit de la privatisation de l’Espace public, désormais, élargi à tout ce qui ressort de contenus ou de la formation de communautés par le biais des nouvelles technologies de la communication. On sait combien les moyens d’information traditionnels ont été progressivement concentrés entre quelques mains au détriment du pluralisme et parfois jusqu’à la propagande. Qu’adviendra-t-il des espaces publics nouveaux –internet notamment- s’ils ne sont contrôlés que par quelques grands opérateurs commerciaux qui semblent, pour l’instant, n’avoir aucune exigence quant à la nature des contenus qu’ils propagent ou génèrent ? Ou, pire, qui se mettent à la solde des plans d’espionnage et de contrôle de nos personnes ? Il est urgent et vital de considérer l’espace public – au même titre que l’eau- comme un bien public qui ne saurait être totalement privatisé.

Et qu’un certain nombre de règles devraient s’appliquer à lui. Les politiques poursuivies dans ce domaine ont, pour l’instant, à censurer ce qui était jugé par trop choquant. Ne faudrait-il pas, aujourd’hui, imaginer à l’échelle mondiale, des règles des «obligations positives» susceptibles d’être appliquées à ces quelques groupes qui contrôleront les réseaux ? Obligations de produire et/ou de diffuser des contenus qui garantissent une place à la pluralité des perspectives et des aspirations. L’ONU, la société civile, ne devraient-elles pas s’emparer à bras le corps de cet enjeu-là qui demain affectera tous les domaines de la vie et, en premier lieu, l’éducation ? Pour l’heure, les intérêts étatiques sont trop liés à ceux des  grands opérateurs pour leur laisser cette tâche. Comment éviter que le  lien social – local, national ou global-  ne se réduise à une connexion derrière un écran ou à un total délaissement ? Nous sommes loin d’avoir la réponse.

Mais nous voudrions malgré tout suggérer de combler le vide et, pour ce faire, de multiplier les propositions qui amèneraient à sentir que le monde de demain est ouvert à tous, y compris aux exclus, aux humiliés, aux laissés pour compte de tous bords. Et qui donneraient à penser que face à la menace nucléaire ou climatique, une révolution douce et colorée pourrait prendre le dessus. Car finalement, les forces dominantes peuvent  s’avérer relativement fragiles dans les années qui viennent. En ce sens, la création d’une plateforme OPEN CHANGE aurait vocation à devenir un Réseau social local et global indépendant de tous les pouvoirs.

L’ouverture permanente

En amenant les Jeunesses du monde à s’exprimer haut et fort, en fédérant les propositions construites par les composantes des sociétés civiles ou leurs alliances,  en formant des comités de sélection « multi-acteurs », il s’agit de donner ce souffle qui manque à des acteurs (institutions internationales, autorités publiques, secteur privé) de la gouvernance mondiale  peu à l’écoute de ce que vivent et subissent les peuples. Si l’on veut tous ensemble éviter les dangers qui guettent – notamment à la lumière des enjeux du Réchauffement climatique, des questions migratoires et identitaires, du Terrorisme et de la nature des réponses qui lui sont faites – OPEN CHANGE, c’est la possibilité pour chaque citoyen, pour toute instance, locale ou globale, de se mettre en mouvement et de sortir des sentiers battus. Il n’y a peut-être, aujourd’hui, plus qu’une seule manière d’avancer sainement pour nos sociétés malades.

Ce serait que les décisions émanent non pas de quelque instance politique mais résultent, le plus souvent, d’un processus participatif. A l’échelle du monde, d’un continent, d’un pays, d’une entité quelconque, toute décision prise à l’issue d’une concertation est, en général mieux portée collectivement et solidairement par les participants qu’une autre simplement décrétée. Et si ce groupe a fait fausse route, il est plus facile que de corriger le tir par le biais d’un processus en cours, d’une concertation et d’une ouverture permanente que de demander à quelqu’un qui s’est trompé – notamment à un leader non éclairé – de reconnaître et de changer. Un nouveau commencement, est possible. Il est devenu essentiel que les Nations unies, au XXIe siècle,  loin de disparaître, se transforment  en Organisation des peuples unis, prennent part à l’émergence de contre-pouvoirs assez fort pour contrebalancer les pouvoirs globaux et  contribuent à prouver que la vie de l’Un vaut vraiment celle d’un Autre.

(*) Fondateur et Délégué Général de Bridge Initiative International

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