Transition politique au Sénégal : pas de rupture, de la continuité éclairée

Hassan Hami

À l’occasion de la cérémonie de prestation de serment en tant que nouveau président du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye était flanqué de ses deux épouses, l’air serein et les pas déterminés. C’est cette image que des commentateurs européens, notamment Français, ont préféré retenir. Le moment solennel d’une passation de pouvoir pacifique à l’issue d’élections démocratiques n’aurait pas eu d’importance à leurs yeux.

Plutôt les clichés et le jugement à distance. Cela rappelle, encore une fois, le constat d’Osmane Sembene en 1963 selon lequel les Européens regardaient les Africains ‘’comme s’ils étaient des insectes.’’ Qu’en est-il de la spécificité de la culture sénégalaise ? Silence, radio.

Or, la spécificité de la culture politique sénégalaise devrait être perçue comme un cas d’école. Tout le monde se rappelle la réponse limpide du président Abdou Diouf  (mandat 1981- 2000) en 1983 auquel on reprochait d’avoir supprimé le poste de premier ministre à l’occasion d’une réforme constitutionnelle tirée par les cheveux. Il répondit qu’il était ‘’assez grand pour occuper les deux postes.’’

Abdou Diouf était arrivé au pouvoir en 1980, quand le président Léopold Sédar-Senghor avait jugé qu’il était temps de céder le pouvoir et d’aller se consacrer à sa passion d’écrivain et de poète hors-pair et de siéger à l’Académie française.

Abdou Diouf, lui-même, céda le pouvoir à Abdoulaye Wade en 2000 quand il s’est aperçu que s’y accrocher risquait de plonger le pays dans une impasse constitutionnelle dangereuse pour l’unité et la stabilité du pays. Inutile de rappeler la suite de la passation pacifique du pouvoir entre Abdoulaye Wade et Macky Sall, après une impasse politique de courte durée, dans un pays multiethnique auréolé par une histoire complexe, mais très riche quant à la pérennité du socle culturel et social du pays.

Un mois environ est passé depuis l’accession au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye. Quelle lecture peut-on faire de ce qui s’est passé quelques mois auparavant quand le pays allait succomber aux appels des fossoyeurs de tous bords ? Quelle signification donner à la transition pacifique du pouvoir dans ce pays ? Pourquoi la culture politique au Sénégal est singulière en termes de perception et d’impact ? Pourquoi la main de l’ancienne puissance coloniale a été si transparente, sinon absente ?

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Par ailleurs, quel lien cette transition a-t-elle avec les changements politiques violents dans la sous-région ? Quel lien avec la transformation de la géopolitique dans la sous-région ? Quel rôle les confréries religieuses sénégalaises ont-elles joué ou pas dans l’aboutissement heureux des transactions préalables à l’organisation des élections présidentielles selon le calendrier prévu ?

Enfin, y aurait-il un changement dans la conception de la politique étrangère sénégalaise par un président, disons-le néophyte en la matière, et quel rôle « l’État profond » va jouer pour que le nouveau pouvoir ne commette pas d’impairs ou provoque des secousses diplomatiques aux conséquences incalculables ?

Une transition pacifique du pouvoir politique

Déjà au lendemain de l’indépendance, le président Léopold Sédar-Senghor, chrétien, a été porté au pouvoir grâce, en partie, au soutien des confréries religieuses, appelées depuis toujours «grands électeurs’’. Bien que défenseur d’une certaine forme de laïcité, Léopold Sédar-Senghor a été proche de la confrérie Mouridiya. Son adversaire, Mamadou Dia, n’avait de choix que d’accepter le fait accompli. Mais il n’y avait pas seulement le poids de ces confréries, il y avait aussi l’influence de l’ancienne métropole qui a travaillé à placer dans la majorité de ses anciennes colonies des dirigeants qui avaient été ministres ou députés à l’Assemblée nationale française.

Ce fut le cas de Léopold Sédar-Senghor au Sénégal, de Félix Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire pour ne citer que ces deux pays. L’idée était d’éviter que des dirigeants à l’image d’Ahmed Sékou Touré en Guinée (1958-1984) et de Modibo Keita au Mali (1960-1968), n’arrivent au pouvoir et contrecarrent les intérêts de l’ancienne métropole. Au Mali, le président Modibo Keita a été renversé par un coup d’État perpétré par Moussa Traoré en 1968. En Guinée, la mainmise de Sékou Touré (vingt-quatre ans au pouvoir) n’avait pas été une source d’apaisement dans les esprits des planificateurs politiques et stratégiques dans l’ancienne métropole.

Le Sénégal, au contraire, a joué sur le temps pour construire des institutions solides. Quand le temps est venu, Léopold Sédar-Senghor a cédé le pouvoir à ‘’son poulain’’, Abdou Diouf. La transition, qui a suivi, a été, au début, laborieuse, mais le plus important, c’est qu’elle a eu lieu et a permis au pays de ne pas connaitre le sort de certains pays voisins.

Le Sénégal aurait pu se laisser tenter par la vague du ‘’chaos créatif’’, paradigme cher aux planificateurs politiques outre-mer, mais la sagesse l’a emporté en fin de compte. Cet épilogue n’est pas le fruit du hasard. Plusieurs explications peuvent être avancées. J’en citerai trois au moins.

Premièrement, la modération, dont se distingue la société sénégalaise qui la puise dans une histoire qui privilégie le dialogue et le débat pour résoudre les problèmes en suspens. La modération est renforcée par l’ascendant de l’arbitrage en tant que moyen d’apaisement des relations inter-sociétales tumultueuses.

Cette tradition s’étend au champ politique, comme ce fut le cas de l’arbitrage des confréries entre Léopold Sédar-Senghor et Mamadou Dia en 1960. Ce fut le cas de l’arbitrage pour résoudre les problèmes de succession au sein des confréries sénégalaises, notamment la Mouridiya, la Tijaniyya, la Hammaliyya et à un moindre degré, la Qadiriya. Un arbitrage sénégalo-sénégalais, mais aussi maroco-sénégalais grâce à l’audience des confréries-mères marocaines.

Deuxièmement, la neutralité de l’armée. Il n’a pas été enregistré une quelconque tentative de coup d’État sérieuse au Sénégal. Au plus clair de la tentation de s’emparer du pouvoir par l’armée dans les pays voisins, l’armée sénégalaise est restée calme. Les mauvaises langues diraient que le pouvoir au Sénégal a toujours su ménager la chèvre et le chou pour ne pas entrer en collusion avec les intérêts des acteurs intranationaux, dont les confréries religieuses, et les intérêts européens, dont ceux de la France.

Toujours est-il que l’institution militaire est restée loin de la politique. Même à un moment où le pays était menacé par le séparatisme en Casamance (1982-2014), l’armée n’a pas cherché à se substituer au pouvoir civil pour trancher sur la voie à suivre pour mettre fin à la rébellion.

D’ailleurs, à l’époque quand Ibrahima Fall se faisait le défenseur acharné du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, y compris au Sahara marocain, il se fit rappeler à l’ordre par l’État profond. Fall n’était pas n’importe qui. Il était respectivement doyen de la Faculté de droit de Dakar, puis ministre de l’enseignement supérieur et ministre des affaires étrangères. Il avait fait une thèse d’État sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il cherchait à faire voir son paradigme appliqué partout. La dissidence au Casamance le ramena à une meilleure disposition.

Certes, l’armée sénégalaise a joué un rôle déterminant à la suite de la création de la confédération Sénégambie (1981-1989), mais son intervention en Gambie pour mettre fin à la rébellion en Gambie était dictée aussi par le souci de mater la rébellion au Casamance.

 Par ailleurs, l’armée sénégalaise observait ce qui se passait dans les pays voisins et elle était convaincue que la succession des coups d’État n’apporterait jamais de réponses idoines aux attentes sociales.

Il en découle que l’armée sénégalaise s’est bien comportée quand le président Macky Sall a proposé fin 2023, le report des élections à une date ultérieure. D’aucuns y ont cru que les fossoyeurs de la démocratie sénégalaise allaient se manifester pour créer la zizanie. Il n’en fut rien. Les institutions ont réagi de manière sage et cohérente et la Cour constitutionnelle a rempli sa mission de belle manière.

Troisièmement, l’essoufflement des influenceurs européens, dont notamment ceux émanant de l’ancienne métropole. On n’exagère pas les choses ici. C’est juste rappeler que les temps où la détermination de la carte politique, y compris le choix de candidats à la magistrature suprême dans certains pays africains en concertation avec l’ancienne métropole, sont désormais révolus. Est-ce que cela signifie une rupture totale avec ce type de pratique ? L’avenir le dira sans nul doute.

Le lobbying pour les candidats est une pratique qui existe même dans les pays dits démocratiques. La saga des interventions dans les élections américaines, françaises, allemandes, indiennes et autres par des lobbyistes et des intérêts étrangers, a frayé la chronique depuis 2012. La nouveauté dans le cas sénégalais, c’est le fait que l’essoufflement de l’ascendant français coïncide avec le recentrage des alliances régionales et le cheminement vers une nouvelle géopolitique sans prédominance exclusive des anciens acteurs de la puissance.

Lifting diplomatique sans ébranler l’édifice

De la modération, à l’arbitrage, passant par la neutralité de l’armée et la maturité politique de la classe politique sénégalaise, le fait est que nouveau président sera jugé sur la base de l’approche diplomatique qu’il adoptera pour se faire une place parmi ses pairs africains.

Il a été intéressant de voir le président Bassirou Diomaye Faye entreprendre sa première visite à l’étranger, en Mauritanie. Pas surprenant pour les observateurs avérés, dans la mesure où dans le passé, des chefs d’État ou des chefs de gouvernement nouvellement arrivés au pouvoir ont cherché à marquer leur terrain par le geste de ne pas respecter la tradition d’effectuer la première visite à l’étranger à un partenaire traditionnel. Le geste est souvent destiné à l’échiquier intranational dans le but de se soustraire à l’influence des centres de décision traditionnels (ou à l’État profond).

L’un des exemples les plus intéressants a été la visite du président égyptien Mohamed Morsi en Iran en 2012. Si cette visite se justifiait par la participation de l’Egypte au Sommet des pays non-alignés, elle n’en demeurait pas moins un défi osé aux règles de la géopolitique de l’époque.

Téhéran avait rompu ses relations diplomatiques avec Le Caire au lendemain de l’instauration de la République islamique en signe de protestation contre la signature du traité de paix entre l’Egypte et Israël en 1979. La visite de Morsi a été une épée dans l’eau. L’Iran n’a pas changé de politique à l’égard de l’Egypte et Le Caire s’est embrouillé avec ses voisins arabes du Golfe.

 Un autre exemple est celui des deux présidents français Nicolas Sarkozy en 2007 et Emmanuel Macron en 2017 qui ont pris la décision de ne pas effectuer leur première visite hors Europe, au lendemain de leur élection, au Maroc. Ils ont préféré l’Algérie. Le chef de gouvernement espagnol Pedro Sánchez a fait de même en 2020, lors de son premier mandat.

Même au Maroc, au lendemain de la formation du premier gouvernement de coalition dirigé par le Parti de la Justice et du Développement, Saad Dine El Othmani, nouveau ministre des Affaires étrangères, a effectué sa première visite à l’étranger en Algérie en 2012.

C’était sans doute pour rappeler aux Algériens que le père spirituel du parti, le Dr. Abdelkrim Al-Khatib, était d’origine algérienne et qu’il était temps de tourner la page de leur hostilité à l’égard du Maroc. C’était un geste calculé et une manœuvre habile dans les deux sens : démontrer, encore une fois, la bonne foi du Maroc et acculer les décideurs algériens à sortir de leur double jeu.

Tous ces exemples démontrent que les néophytes en politique étrangère croient bien faire de bousculer les équilibres géopolitiques arrêtés et respectés par leurs prédécesseurs. Ils se font souvent rattraper par la réalité du terrain et par les contraintes de la Realpolitik.

Qu’en est-il dès lors du nouveau président Bassirou Diomaye Faye ? L’appréciation est la même, sauf que cette fois-ci, il aurait des arguments solides. Premièrement, à Nouakchott, le président Mohamed Ould Ghazouani a démontré, jusqu’à présent, qu’il est un homme d’Etat cohérent avec lui-même. Il fait preuve d’ouverture sur le plan diplomatique en maintenant son pays à l’abri des conflits et des litiges régionaux. Il se garde de porter un jugement sur la question des transitions politiques dans les pays voisins. Bien qu’issu de l’armée, il adopte un comportement modéré à l’égard des nouveaux dirigeants militaires au Mali, au Burkina Faso ou au Niger.

Deuxièmement, le chef de l’État mauritanien ne se laisse pas entrainer dans une politique d’axes stériles que l’Algérie tente désespérément de raviver dans le but d’exclure le Maroc et l’enterrement définitif de l’Union du Maghreb arabe. Il faut dire que cette politique d’axes est alimentée par une perception erronée des changements géopolitiques de la part de l’Algérie et, curieusement, de la part de la Tunisie. Le président Kais Saied devait effectuer une visite de travail à Nouakchott pour convaincre le président mauritanien de se joindre à cet axe mort-né. Devant le refus intelligemment communiqué, cette visite a été reportée, voire annulée.

Du reste, le président Ould Ghazouani a été le seul chef d’Etat du Maghreb présent à la tribune à l’occasion de la cérémonie de prestation de serment du président Bassirou Diomaye Faye. Le roi Mohammed VI, invité à la même cérémonie, a été représenté par le chef du gouvernement Aziz Akhnouch. Sauf inadvertance de notre part, il n’a pas été établi que les chefs d’État d’Algérie et de Tunisie aient reçu une invitation similaire.

Troisièmement, le nouveau président sénégalais serait conscient que l’équilibre de puissance au sein de la CEDEAO devient de plus en plus fragile. La Mauritanie a quitté la CEDEAO en 2000 et a réfléchi à la réintégrer quand le Maroc avait fait candidature pour rejoindre cette organisation en 2017. Il serait donc plus approprié de résoudre les problèmes en suspens entre le Sénégal et la Mauritanie – qui sont nombreux – dans un cadre bilatéral.

Quatrièmement, les deux pays ont beaucoup à construire ensemble sur le plan économique. Les découvertes importantes en gaz dans les deux pays les placent au-devant de la géopolitique de l’énergie régionale et mondiale. Ils sont parties prenantes dans le projet de gazoduc Afrique-Atlantique (gazoduc Nigéria-Maroc-Europe). La constitution d’un espace de prospérité commune est  donc possible.

Par ailleurs, l’espace Atlantique africain est promis à un développement sans précédent dans les deux décennies à venir. Il y a tout d’abord, l’ébauche d’une organisation des pays riverains de l’Océan atlantique à l’initiative du Maroc, regroupant vingt-trois pays. Il y a ensuite l’initiative du Maroc en direction des pays enclavés du Sahel pour leur permettre d’accéder à l’océan Atlantique. Il y a enfin l’initiative du ‘’partenariat pour l’Atlantique’’ lancée en 2023 par le  Maroc et les États-Unis à New York en marge de la 78e session de l’Assemblée générale des Nations unies pour couvrir, pour la première fois, le nord et le sud de l’Océan atlantique.

Des projets de partenariats ambitieux

Tout cela fait que le Sénégal et la Mauritanie ont leur mot à dire dans le remodelage de l’échiquier géostratégique régional. Ils l’ont d’autant plus qu’ils confirment leur volonté de s’inscrire dans des projets de développement régionaux avec le Maroc dans une approche de codéveloppement et de partenariat gagnant-gagnant.

Le Maroc a démontré qu’il a les idées claires en ce qui concerne la coopération triangulaire qui fait fi des partenariats basés sur l’asymétrie. L’équilibre de puissance dynamique et interdépendant est l’outil diplomatique que le Maroc a su jouer pour rebondir sur un échiquier géopolitique où il avait eu du fil à retordre pendant trois décennies au moins.

Dès lors, il n’est pas anodin de prétendre qu’un espace de coopération régional bénéfique est en train de se constituer englobant, du sud vers le nord, le Nigéria, la Côte d’Ivoire, le Sénégal, la Mauritanie et le Maroc. Cet espace est fédérateur dans la mesure où les pays enclavés du Sahel s’y joindront au fur et à mesure, dans la même logique que celle qui a propulsé au-devant de la scène le projet de gazoduc Nigéria-Maroc.

À un niveau encore plus fédérateur, mais basé sur l’idée de l’interdépendance complexe, l’Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni et des pays scandinaves peuvent être de la partie. C’est dire que les parties africaine et européenne de l’Atlantique peuvent être intégrées dans une vision d’ensemble dont l’économie est le moteur de propulsion par excellence.

On pourra aller encore plus loin en disant que cette dynamique pourrait relancer l’idée du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (2014) entre les États-Unis et l’Union européenne mis en veilleuse durant le mandat du président américain Donald Trump (2016-2017) dans la mesure où les États-Unis et le Maroc sont les initiateurs du ‘’partenariat pour l’Atlantique’’.

Certes, les relations entre les Etats-Unis et l’Union européenne connaissent des hauts et des bas, en raison des atermoiements de certains pays de l’UE vis-à-vis de la guerre entre l’Ukraine et la Russie. De même, Washington perçoit avec suspicion les relations de ces pays avec la Chine qu’il juge plus poussées que ce qui aurait été toléré.

Cependant, rien n’empêche une amélioration future qui résulterait de la lassitude des États-Unis et de l’Union européenne face à la persistance de l’impasse et à l’apparition de nouveaux défis nécessitant le retour, sans équivoque, à la coopération d’antan.

Reste la question fondamentale : Qu’en est-il de la France ? Il est indéniable que la France a son rôle à jouer. Pour cela, il est souhaitable qu’elle ajuste sa perception des réalités africaines. Ceux qui croient que le président Bassirou Diomaye Faye allait faire table rase pour être en phase avec  ses déclarations critiques à l’égard de Paris, il y a quelques mois, sont invités à mettre un peu d’eau dans leur vin.

La réalité de l’exercice du pouvoir n’a rien à voir avec les vœux pieux. Bassirou Diomaye Faye ne serait pas un président de la rupture ni par rapport aux équilibres socio-culturels intranationaux, ni par rapport aux choix diplomatiques stratégiques.

De même, ceux qui émettent l’espoir de voir l’épisode du bras de fer entre Léopold-Sédar-Senghor et Mamadou Dia, rivaux à la veille des élections présidentielles de 1960 et président et premier ministre au lendemain de ces élections, se répéter encore une fois encore au Sénégal, se doivent de tempérer leur ardeur.

En effet, l’idée véhiculée selon laquelle le président Bassirou Diomaye Faye ne serait que l’ombre de son mentor Ousmane Sonko, aurait pu être vérifiée si l’échiquier politique sénégalais était statique. Il ne l’est plus depuis que la classe politique sénégalaise a compris que le pays est appelé à un essor économique prometteur que seule la stabilité des institutions et la collaboration entre les nouveaux décideurs et les gardiens du temple peuvent accompagner et faire aboutir.

Si la France éprouve certaines difficultés à maintenir son ascendance dans les différents espaces géopolitiques régionaux, notamment en Afrique, c’est parce que certains centres de décisions refusent de lâcher du lest et d’accepter la logique de l’interdépendance bénéfique qui récuse désormais l’asymétrie de puissance classique qui n’a plus raison d’être. Les décideurs français sont conscients des choix douloureux qu’ils doivent faire pour assainir la situation chaotique que la France a créée durant la colonisation et entretenue depuis l’indépendance des États africains.

Il fut un temps où les observateurs des affaires africaines parlaient de l’existence d’axes asymétriques tels l’axe Paris-Rabat-Dakar. On faisait l’impasse sur Nouakchott en raison de son ambivalence politique et diplomatique, à l’époque. Aujourd’hui, la perception des relations africaines en termes d’axes n’est plus pertinente sinon exagérée.

Tout d’abord, parce que le Maroc récuse les rapports asymétriques entre États. Ensuite, la France peine à maintenir son statut d’acteur bénéficiaire dans tous les cas de figure. Les observateurs avertis sont conscients que Paris cherche à ne pas tout perdre au change au Maghreb, au Sahel et en Afrique de l’Ouest d’une façon générale. Enfin, le Sénégal nourrit des ambitions d’un acteur majeur qui a droit au chapitre dans la configuration géopolitique régionale en gestation.

Le Sénégal est un partenaire avec lequel il faudra compter. Le nouveau pouvoir inscrira sa politique dans la continuité. Il n’y aura pas de rupture dans le sens épistémologique, politique ou diplomatique du terme. Il y aura un nouveau style, mais les choix stratégiques ne seront pas bouleversés car le Sénégal, comme les autres pays africains, est intégré dans la logique de l’interdépendance Sud-Sud plus ouverte sur elle-même et plus aguerrie face autres formes de coopérations hégémoniques désormais inacceptables.

Dès lors, les médias de l’hexagone, qui se nourrissent des miettes de l’ethnologie militaire et  dans des pays qui constituent ‘’des démocraties d’opinions, des démocraties médiatiques’’ pour reprendre l’expression utilisée en 2015 par Philippe de Villepin, ancien premier ministre et ministre des affaires étrangères, se doivent de se faire une raison. Les populations africaines, y compris celles qui se déclarent francophones jusqu’à la moelle, se sont réveillées et ne les écoutent plus.

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