Chronique d’une élection française

Par Abdellatif Mammeri

PARIS – Nous sommes le 24 avril 2022. Il est dix neuf heures cinquante-neuf minutes et quarante-cinq secondes… En famille, et devant l’écran de télévision, nous avons, d’une seule voix, compté à rebours les secondes qui nous séparent de l’heure fatidique, c’est-à-dire vingt heure…L’heure où les journalistes sur les différents plateaux sont autorités à annoncer les résultats du second tour de la présidentielle française.

L’enjeu est trop important, deux visions radicalement opposées se sont confrontées pendant des mois lors d’une campagne étriquée. D’un coté Emmanuel Macron, le président sortant et candidat à sa propre succession. De l’autre la présidente du Front National, parti d’extrême droite, récemment baptisé le Rassemblement National, un lifting de façade,  qui n’avait pour but que de cacher l’empreinte de Jean-Marie Le Pen père de la candidate et fondateur du parti xénophobe.

Au premier tour qui s’est déroulé le dimanche 10 avril, Marine Le Pen a recueilli 23.15% des voix exprimées, soit  8 136 360 devant Jean-Luc Mélenchon de La France Insoumise avec 21.95%. Tous les deux devancés par le président sortant 27.84%. L’extrême droite n’était plus qu’à un tour du pouvoir. Il faut l’avouer, et le lui reconnaitre, la candidate du Rassemblement National a fait l’une de ses campagnes électorales des plus efficaces et plus dynamiques à la fois. Alors qu’on l’attendait sur les thèmes classiques, l’immigration, l’islam et l’insécurité. MLP* a su s’adapter à l’arrivée sur la scène politique du journaliste, essayiste Éric Zemmour candidat de « Reconquête » récemment créé, et à la droite du RN*.

Un parti mono-produit. L’islam et les musulmans ont fait les frais d’une campagne nauséabonde. Le journaliste, après trois ans de dérapage dans l’émission « Face à l’info » sur  Cnews, fort d’un audimat sans précèdent pour la chaine d’information, a franchi le pas et a fait de ses téléspectateurs des électeurs en puissance. Après son entrée officielle dans l’arène de l’élection la plus importante du pays, il a été porté par une dynamique, siphonnant les électeurs traditionnels de l’extrême droite et séduisant une partie de la droite républicaine. E. Zemmour a réussi à rattraper la candidate RN dans les études d’opinion et à même dépassé Valérie Pécresse candidate « Les républicains » et Jean-Luc Mélenchon. Le candidat « Reconquête » a réussi le luxe de débaucher une partie des cadres du RN jusqu’à compter parmi ses soutiens la propre nièce de MLP. Consciente du danger Zemmour, Marine Le Pen a changé de braquet, a modifié sa communication, laissant le sale boulot (islam et immigration) au journaliste devenu homme politique et s’attelant sur les thèmes du pouvoir d’achat, l’emploi et la retraite, premières préoccupations des Français.  Pendant ce temps, E. Macron vaquait à ses occupations de Président de la République, « J’étais élu pour diriger le pays pendant cinq ans et je le ferai jusqu’au dernier moment » disait-il. Il a réussi ainsi à retarder son entrée en campagne et éviter toutes les attaques sur un bilan social mitigé.

→ Lire aussi : France: Emmanuel Macron investi pour un second mandat présidentiel

Le 24 février, soit deux mois avant le premier tour de l’élection présidentielle, la Russie de Poutine entame une opération militaire spéciale en Ukraine. Le président, qui n’est toujours pas candidat, confirme son statut de président de crises. Après les « Gilets jaunes »et la pandémie, le conflit russo-ukrainien bouscule le quinquennat et impacte la campagne électorale. Si Emmanuel Macron a bénéficié de son rôle favori de protecteur de la nation, les autres candidats ont payé cher le déclenchement de la guerre. Éric Zemmour a vu ressurgir toutes ses déclarations d’admiration pour le maitre du Kremlin. Marine Le Pen a dû gérer difficilement sa proximité avec la Russie et sa dépendance financière au régime Russe (Son parti doit 9 millions d’Euros à une banque proche de Vladimir Poutine). « Quand vous parlez à Poutine, vous vous adressez en réalité à votre banquier », avait retroqué E. Macron à Marine Le Pen lors du débat de l’entre tours.  Quant à Jean-Luc Mélenchon, il s’est trouvé handicapé par ses prises de position et sa complaisance réelle ou supposée avec Poutine.

Le président sortant a trouvé alors le moyen d’éviter de défendre son bilan et de s’impliquer dans la campagne avant le premier tour. Il a refusé tous les débats proposés par la presse, il a confié ce travail à ses ministres. Sa parole est devenue rare sauf pour s’adresser aux Français et parler de la crise. Bref,  le président sortant s’est donné le rôle gratifiant du président occupé à gérer une crise internationale pendant que ses adversaires débattaient de choses devenues subitement moins importantes aux yeux des Français. Entre un coup de fil à Biden et les autres dirigeants de ce monde, une visite au Kremlin et à Kiev, E. Macron était trois divisions au-dessus des autres candidats. Le capital électoral d’Éric Zemmour s’effrite, Marine Le Pen reprend malgré tout sa place de première opposante au président sortant, Jean-Luc Mélenchon fait plus que résister et les partis historiques, « Les républicains » et le Parti Socialiste, sombrent dans l’abîme.

…Il est 20 heures ce 24 avril, , et après un décompte de 15 secondes, c’est bien le portrait d’E. Macron qui s’affiche sur l’écran. Le président sortant remporte l’élection avec 58.55% des voix exprimées contre 41.45% pour Marine Le Pen.  Un ouf de soulagement, non seulement en France mais aussi en Europe. Reste que MLP a progressé de plus d’un million de voix par rapport à 2017, réduisant ainsi l’écart avec E. Macron. Forte de plus de 13 M de voix, Mariet que le président sortant a perdues , Il est maintenant certain que sans un quinquennat diffèrent premier et une prise en compte par le président réélu des peurs et des craintes de ceux qui ont boudé les urnes et de ceux qui ont voté extrême droite pour exprimer un malaise, Marine Le Pen peut crier victoire pour 2027.

En juin, les élections législatives viendront clôturer un cycle électoral qui a duré presque un an. Soit le président réélu trouve une majorité, bien qu’elle soit recomposée et baptisée « Renaissance » (La République en Marche (Parti du Président), le MODEM présidé par François Bayrou, et HORIZONS d’Edouard Philippe l’ancien premier ministre de E. Macron)), lui permettant d’appliquer son programme et d’imposer les reformes dont le pays a besoin, soit, la NUPES (Nouvelle Union Populaire, Ecologique et Sociale), coalition entre La France Insoumise, les verts, le Parti Communiste et le Parti Socialiste, et à sa tête Jean-Luc Mélenchon, rafle la majorité des députés à l’Assemblée nationale et réalise le rêve de Jean-Luc Mélenchon, celui de s’imposer à E. Macron comme premier ministre dans une nouvelle cohabitation que le pays n’a pas connu depuis 1997 (Chirac, Jospin). Cette tendance  résulte du vote de 2001, de l’inversion du calendrier électoral – l’élection présidentielle se tient juste avant les élections législatives et non l’inverse, afin de donner au président élu une majorité à l’Assemblée Nationale.

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