Des assises de la fiscalité et autres palinodies…
Rachid Boufous
Les troisièmes assises de la fiscalité sont très attendues. Le gouvernement a choisi Mohamed Berrada, ancien argentier du royaume (entre 1986 à 1992) comme président du comité scientifique de ces assises.
Cela dénote du sérieux que l’on accorde à cet événement qui accueillera toutes les forces vives de la nation à partir de la fin de cette semaine au palais des congrès de Skhirate. Cet événement arrive à point nommé, alors que la situation économique se trouve en quasi-stagnation, malgré des recettes fiscales en progression et une année agricole moyennement bonne.
Cette stagnation qui dure, depuis plus de trois ans déjà, est due à beaucoup de facteurs économiques autant extérieurs que locaux. Le Hirak, le boycott, la crise gouvernementale, la volte-face des investissements venus des pays du golfe, autant de facteurs qui ont crispé la situation économique locale. L’année dernière, toujours, les sorties médiatiques du directeur général des impôts, n’ont pas eu l’heur de rassurer les opérateurs économiques et les professions libérales qui ont eu le sentiment d’être spécialement visés par les opérations de contrôle visant, pourtant, à mettre de l’ordre dans certaines branches professionnelles.
Des assises pour calmer les esprits ?
Afin de calmer les esprits et surtout de rassurer les opérateurs sur la bonne foi des démarches entreprises, le gouvernement a décidé d’organiser ces assises, longtemps demandées par les intervenants. Alors il est prévisible d’assister à un grand raout médiatique, où toutes les corporations voudront exprimer leurs doléances et dire toute l’injustice fiscale à laquelle ils sont soumis au quotidien, en demandant bien sûr, avec force, la révision voire la baisse des impôts et charges les concernant.
Ils dénonceront aussi le fait que le secteur informel est laissé sans contrôle ni mise au pas pour qu’il intègre enfin le monde régulier de la citoyenneté fiscale. On pointera du doigt le secteur agricole, qui est toujours exonéré, alors que grâce au Plan Maroc Vert, l’Etat subventionne cette agriculture à coups de milliards de dirhams, sans voir de retour sur investissement.
De l’autre côté, le gouvernement pointera toutes les carottes et autres niches fiscales dont bénéficient les entreprises locales et étrangères : conventions d’investissements, exonérations d’IS, de TVA, d’IR qui coûtent énormément d’argent sans réelle contrepartie, en matière d’emplois ou de créations de richesses, promises ou attendues.
Les deux visions s’affronteront et les débats risquent d’être à la hauteur des attentes : chauds et bouillonnants…
Les théories économiques et les modèles de développement, vus ou vécus ailleurs, seront aussi exposés, afin de chercher un nouveau positionnement du « Produit Maroc« , dans le concert des « Best Practices » fiscales à travers le globe. On y parlera certainement aussi des bienfaits de la dématérialisation des procédures sociales, fiscales, administratives, comme le nouveau sésame d’une gouvernance 2.0.
Des assises de la fiscalité, mais encore ?
Les experts sortiront leurs études sur les bienfaits de la baisse de l’impôt sur les sociétés pour booster l’investissement, de la baisse de l’impôt sur le revenu pour booster la consommation des ménages et leur redonner du pouvoir d’achat, de la nécessaire harmonisation de la TVA pour que tous les secteurs soient assujettis aux mêmes taux, de la suppression de la cotisation minimale pour rendre l’impôt général plus juste et plus équitable. Les congressistes sortiront certainement avec de nouvelles idées et propositions que le gouvernement aura la tâche de transformer en dispositions dans les nouvelles lois de finances, pour les cinq années à venir.
Tout cela est bien et très encourageant, car dans ce pays, quand les choses ne marchent pas ou plus très bien, on a l’intelligence de s’asseoir pour discuter. Le Dialogue social vient d’aboutir à une augmentation des salaires de 500 dirhams étalée sur trois ans. On ne nous a pas dit comment les entreprises comptent financer cette augmentation. Ou peut-être si, car rien n’est cédé par le patronat sans contrepartie, et les assises de la fiscalité apporteront le début de réponse quant aux concessions faites à la CGEM par le gouvernement, en contrepartie de ce geste social.
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Au-delà de ce qui sera débattu lors de ces assises et des résultats qui seront affichés fièrement par les uns et les autres comme des victoires obtenues de hautes luttes, il n’en demeure pas moins que là ne réside pas le problème du développement économique du Maroc.
Si effectivement la pression fiscale, tous impôts confondus est de l’ordre de 26% au Maroc comparativement à la Turquie où elle n’est que de 19%, ce n’est pas suffisant pour conclure que la solution au développement réside uniquement dans la baisse des impôts.
Oxfam et les inégalités pointées
Une ONG, Oxfam, a produit cette semaine un rapport sur les inégalités au Maroc. Ce rapport indique que la croissance de l’économie marocaine a été dynamique ces vingt dernières années, passant 4,4 % par an en moyenne entre 2000 et 2017, ce qui a permis une réduction considérable du taux de pauvreté, passé de 15,3 % en 2001 à 8,9 % en 2007 et à 4,8 % en 2014. Mais cette croissance n’a pas profité à toutes les couches sociales, et les inégalités sont, elles, restées quasiment les mêmes. Ainsi le coefficient de Gini, une mesure internationale de calcul des inégalités, était de 39,9 en 1985 et de 39,5 en 2014.
Et au cœur de la machine inégalitaire, figure en bonne place le système éducatif, comme semble l’indiquer le même rapport d’Oxfam sur le Maroc, cité par le journal le Monde dans son édition d’aujourd’hui : « Un système inclusif et égalitaire permettrait d’atténuer les disparités sociales et de gommer en partie les différences liées au milieu d’origine. Or le Maroc a beau consacrer 21,5 % de son budget à ce secteur (bien plus que la moyenne de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, avec 13,9 %), son système éducatif est largement défaillant. La durée moyenne de scolarisation y est de 4,4 ans, soit deux années de moins que la moyenne des pays arabes. Et les résultats scolaires varient considérablement en fonction du milieu des élèves. Ces inégalités liées à l’éducation se prolongent sur le marché du travail, avec quatre caractéristiques fortes : Une part prépondérante de l’informel et de l’emploi précaire (80 % des emplois sont informels). Un chômage élevé des jeunes (42,8 % des 15-24 ans en 2017) ; le problème des « NEET », ces jeunes qui ne sont ni étudiants, ni employés, ni stagiaires (29,3 % des 15-24 ans, soit 2 millions)».
Aujourd’hui, plus que jamais ce phénomène des « NEET », inédit au Maroc est à prendre très au sérieux par les décideurs locaux. Ces deux millions de jeunes sans qualifications, hors du système scolaire constitueront dans le futur, la principale menace quant à la stabilité sociale dans le pays, car ils ne sont « intégrables » dans aucune politique publique à l’heure actuelle, et aucune mesure d’envergure ne semble être prise pour s’attaquer sérieusement à ce phénomène.
« Embauches sociales et salariés chômeurs »
Par ailleurs, si on traite du marché organisé de l’emploi, on décèle une grande défaillance en termes de rendements et qui réside principalement dans la mauvaise répartition du travail : les gens dans beaucoup de domaines et principalement dans l’administration ne sachant pas avec exactitude la portée de leurs tâches quotidiennes ni de la responsabilité qui en découle en cas de mauvaises pratiques. Le facteur humain n’est souvent pas pris en compte dans l’investissement qu’il soit public ou privé. On fait du bourrage de postes, juste pour diminuer le nombre de chômeurs, alors qu’on augmente ainsi le nombre de «salariés chômeurs» ne sachant pas quoi faire au travail. Promouvoir l’emploi c’est bien, mais pas pour favoriser des «embauches sociales», sans réelles compétences. On l’a vu avec les diplômés chômeurs, qui ne réussissent pas souvent leur intégration dans les entreprises, faute de qualifications réelles ou d’adaptabilité aux contraintes du secteur privé. Ils cherchent en masse un emploi dans le secteur public où on ne viendra pas contrôler leur travail, car justement personne ne leur dira quoi faire exactement dans ces emplois publics, la répartition et le contrôle du travail et des tâches y sont des concepts martiens…
Cette semaine le ministère de la fonction publique a reconnu l’existence de quelques 100.000 employés fictifs dans les administrations et collectivités locales, soit 1 fonctionnaire sur 8 est payé en pure perte par les contribuables. Ce qui est énorme et dangereux pour un pays comme le Maroc où les équilibres macroéconomiques tiennent justement grâce au maintient des différents déficits à des taux admissibles par les bailleurs de fonds internationaux. On bouche les gueules avec un morceau de pain, l’essentiel est qu’elles ne sortent pas gueuler dans la rue. On sort ainsi les gens de la misère, mais pas du sous-développement. Nés pour survivre…
Alors que faire ?
La réforme principale à entreprendre n’est certainement pas celle de la fiscalité qui demeure secondaire, à mes yeux, au vu des autres réformes plus urgentes et plus cruciales à entreprendre, comme celle de l’éducation, de l’administration et de l’emploi.
Il faut réformer en priorité l’administration, afin de permettre aux fonctionnaires de réaliser leurs tâches en toute connaissance, dans un climat serein, en leur permettant une ascension sociale et une promotion normales, gagées sur le mérite et la compétence. Je ne veux même pas aborder les questions de la reddition des comptes et la lutte contre la corruption, qui demeurent, jusqu’à présent, des vœux pieux…
Il faut réformer l’éducation, notamment publique par l’injection massive de moyens en terme de qualité et non en quantité. Il faut faire la promotion de la formation professionnelle, principalement de l’artisanat et des petits métiers, qui constituent le cœur de l’activité économique du pays et y intégrer massivement les « NEET », quitte à les subventionner massivement.
La réforme de l’emploi est primordiale aussi, car on ne peut être performant économiquement sans établir des règles claires de rendement au sein des usines, des administrations, des services. Et cela passe par l’instauration de la rigueur dans tous les actes professionnels. En cela, l’état doit avoir le courage de se délester des gens qui sont inactifs à leurs postes, non par manque de travail, mais par fainéantise, par copinage, par prévarication. L’emploi sûr, à vie, sans formation continue, sans évaluation draconienne et sans respect des engagements, ne doit plus avoir droit de cité.
Beaucoup voient dans les assises de la fiscalité, un moyen de faire pression sur le gouvernement pour obtenir plus d’avantages fiscaux et de là payer moins d’impôts.
À ce système de pensée égoïste, il faut réfléchir solidarité, engagement envers son pays. On ne peut pas continuer à se leurrer dans un système où une petite minorité s’enrichit outrageusement, alors que la majorité est laissée sur le bord de la route du développement.
La construction du Maroc de demain, doit être l’affaire de tous les partenaires sociaux, sans exclusive. Il faut inventer un nouveau modèle et non essayer de rafistoler le modèle actuel…
En cette journée commémorative du travail, il ne faut jamais oublier que c’est l’humain qui crée la richesse et l’impôt, et non l’inverse, au-delà de tout doute raisonnable…