Dr. Hanane Chaibainou de Columbia University Medical Center : « La réforme du secteur de la Santé, un tournant décisif pour une société plus inclusive »

Entretien réalisé par Farida Moha

Dr Hanane Chaibainou,  membre fondateur de réseaux des compétences marocaines aux Etats-Unis est PDG de Biotessa SA Maroc et Dr DNP neurochirurgie au New York Presbyterian Columbia University Medical Center. Lors de la Première Journée Scientifique des Biosciences et Biotechnologies tenue le 28 mai 2022 à Casablanca par l’Université Mohammed 6 des Sciences de la Santé qui a coïncidé avec le lancement de l’Institut supérieur de biosciences et de biotechnologies, Dr Hanane Chaibainou,  originaire de Benguerrir et Adnane Remmal,  professeur de microbiologie et pharmacologie à la faculté des sciences Dar el Mahraz université SidI Mohamed Ben Abdellah de Fès ont reçu conjointement le prix d’Excellence pour leur contribution à l’entreprenariat , la recherche et l’innovation biotechnologique à l’échelle mondiale . Au-delà de cette consécration, quelle analyse fait-elle du grand chantier de la  réforme du secteur de la Santé lancé par le Souverain ? Entretien

-Maroc diplomatique : Lors de la 1ère Journée Scientifique des Biosciences et Biotechnologies tenue le 28 mai 2022 à Casablanca par l’Université Mohammed 6 des Sciences de la Santé, vous avez reçu avec le Dr Remmal le Prix d’Excellence. Quel effet cela vous fait-il, vous qui vivez et travaillez aux Etats-Unis ?

Dr. Hanane Chaibainou : J’ai vécu cet honneur avec beaucoup d’émotion d’autant qu’il intervient à un moment clef, celui d’un changement de cap, qui est en réalité une véritable révolution lancée par Sa Majesté le Roi  dans le domaine de la généralisation de la protection sociale. Celle-ci va concerner un public très large, les commerçants, artisans, professionnels et prestataires indépendants soumis au régime de la contribution professionnelle unique, au régime de l’auto entrepreneur ou au régime de la comptabilité, les artisans et professionnels de l’artisanat, les agriculteurs… C’est dire que la majorité des composantes de la société marocaine sont concernées, ce qui fait que ce chantier constitue un tournant pour notre pays et notre société qui sera plus inclusive, car la santé a toujours constitué avec l’éducation des sources d’inquiétudes pour des millions de citoyens. La crise liée à la pandémie de Covid-19 a joué le rôle de déclencheur de prise de conscience  de la  faiblesse  de la  protection sociale  des franges entières de la population en situation de grande précarité ou de vulnérabilité économique.

Ce qui concernerait en fait, une grande partie de la population. Ces chantiers viennent compléter le succès du modèle de gestion de la Covid-19 et des efforts d’implémentation d’une véritable industrie pharmaceutique. Je tiens au passage à réitérer mon engagement et celui de mon équipe à soutenir la Vision Royale qui vise à faire du Maroc un « hub » de Biotechnologies.

On mesure en même temps l’ampleur de la tâche et des moyens budgétaires à déployer dans un moment extrêmement contraint par les effets du changement climatique et le conflit aux portes de l’Europe. Le chantier appelle donc à une forte détermination et implication de l’ensemble des acteurs publics, privés mais aussi la diaspora. Nous avons, nous, membres de la diaspora enregistré avec une très grande satisfaction l’appel fait aux médecins de la diaspora qui équivaut à une reconnaissance du rôle important que pourrait jouer cette diaspora pour le développement du secteur et le développement de notre pays.

  • Que retenez-vous de la  de loi-cadre relative au système national de santé présentée récemment au dernier Conseil des ministres ?

Sans entrer dans les détails des différents piliers qui sous-tendent cette réforme, je dirai que des dimensions essentielles portent le projet de  l’Assurance maladie obligatoire, comme la mise à niveau de l’offre sanitaire portée par la digitalisation, la bonne gouvernance et la valorisation des ressources humaines. Ces décisions ont été prises après le constat fait du faible taux d’encadrement médical, de l’important déficit en ressources humaines et des problèmes de gouvernance. Dans le projet de loi-cadre relatif au système national de santé, connaissant les dysfonctionnements  et le déficit de l’offre de soins dans beaucoup de régions du Royaume, j’ai été personnellement sensible aux décisions prises relatives à la bonne gouvernance  et la planification territoriale et la digitalisation. La création de groupements sanitaires territoriaux, la répartition équitable des services hospitaliers à travers le territoire national, via la réhabilitation des structures sanitaires primaires, la mise à niveau des hôpitaux, la révision des missions et l’organisation de l’administration centrale sont autant de leviers qui contribueront à améliorer l’offre de santé aux citoyens  vivant dans les moyennes et petites villes, et dans le monde rural qui souvent doivent se déplacer à Rabat ou Casablanca. Une offre qui, demain compte tenu des évolutions technologiques pourrait évoluer avec la télémédecine.

  • Votre prix dites-vous est le résultat d’un travail fait en intelligence collective. Qu’entendez-vous par là ?

C’est le résultat de différentes circonstances et contextes. Par cercles concentriques je dédie ce prix  à ma mère, à mes filles, à la Femme marocaine, à la Femme Africaine ainsi qu’à toute l’équipe de Biotessia implantée au Maroc et aux USA et tous ceux qui nous ont soutenus depuis notre création. Je le dédie à toutes les femmes de la diaspora dont on ne mesurera jamais assez le courage, la détermination pour s’en sortir. L’émigration dans notre pays s’est fortement féminisée ces dernières décennies et on ne dira jamais assez l’importance de ce véritable capital humain et social. En temps de crise  comme  en temps normal ces femmes  n’auront jamais cessé de renforcer leurs liens avec le pays d’origine, d’aider leurs familles par des transferts de fonds quitte parfois à sacrifier leur bien être  personnel…

En tant que PDG et membre fondateur de Biotessia, je porte ma reconnaissance  à tout ce qui  contribue  à l’entrepreneuriat, à la recherche et l’innovation biotechnologique depuis l’étranger et en particulier depuis les Etats-Unis vers notre pays !

-Où en est le projet de Biotessa que vous pilotez avec une équipe composée de compétences au Maroc et aux Etats-Unis ?

Les projets avancent. Nous avons plusieurs volets et partenariats en cours de réalisation et concrétisation, aussi bien au niveau du dépistage précoce, de recherche et développement, de technologies innovantes ainsi que pour la formation continue. Encore une fois, notre vision a toujours été une vision inclusive avec nos pays frères africains. Cette vision renforce la Vision Royale qui reconnait le Maroc comme relais incontournable de l’Europe avec le Sud. Nous avons d’ailleurs identifié 4 pays africains avec lesquels nous allons collaborer. Notre but est de défier les challenges auxquels notre continent est confronté au niveau sanitaire, en se concentrant d’abord sur nos besoins, et particulièrement sur les maladies infectieuses, incluant bien sur le covid-19, la tuberculose, le VIH, les hépatites et la malaria.

  • Builders of Africa 2022 Récompense qui vous a consacrée avec d’autres lauréats du Continent synthétise cette impérieuse nécessité d’une vision inclusive à l’échelle du continent ?

Oui, j’ai l’immense honneur de faire partie des onze lauréats choisis, représentant 6 pays africains (Kenya, Ghana, Tanzanie, Uganda, Zambie et le Maroc) et de représenter notre Royaume au sein de l’ADN (African Diaspora Network) subventionné par le Programme USADF (United States African Development Foundation) et la Conrad H. Hilton Foundation. C’est un réel  honneur de faire partie des lauréats de 2022 et de représenter Biotessia et mon pays. Le but principal du programme est de mettre en place une plateforme, une formation, un mentorship et toutes les ressources essentielles pour que ces start-ups africaines se focalisant sur l’éducation, la santé, l’agriculture, les énergies renouvelables, réussissent et contribuent à l’essor de notre Continent.

  • Comment intéresser davantage des jeunes de la diaspora ? Quel message souhaitez-vous délivrer aux jeunes de  la Diaspora marocaine en particulier ?

En tant que membre de la Diaspora marocaine résidant aux USA, et fille de deux fonctionnaires de l’État marocain, j’ai toujours eu cette fibre patriotique et un attachement très fort pour mon pays. Certes, il y a des défis et des obstacles à surmonter, ils sont nombreux,  mais mon message à notre Diaspora, est de leur demander de continuer à renforcer les liens avec notre pays qui a plus que jamais besoin de ces compétences qu’il a, ne l’oublions jamais, contribué à former. Nous sommes aidés en cela par la forte considération et l’intérêt portés par Sa Majesté le Roi aux Marocains du Monde. Avec  persévérance et détermination comme notre équipe de Biotessa le fait, nous  relevons ces défis et contribuons ensemble au rayonnement de notre pays et au développement de l’Afrique de demain qui a possède toutes les richesses et les ressources humaines pour réussir son émancipation et son développement !

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