France-Maroc : Quelles perspectives pour le financement de la Recherche ?

Par Taoufiq Boudchiche ( Economiste)

Une rencontre organisée par la Trésorerie Générale du Royaume (TGR) et L’Association pour la Fondation Internationale des Finances Publiques (FONDAFIP)

Le présent article ne prétend aucunement ni à l’exhaustivité, ni à celui de rendre compte de la richesse exceptionnelle du débat engagé lors du colloque.  Il se propose simplement de donner un aperçu général des thèmes abordés par les échanges. Les organisateurs ayant en effet indiqué que les actes détaillés du colloque seront publiés ultérieurement pour mieux éclairer les lecteurs intéressés. On ne peut que s’en féliciter. 

Le financement de la recherche scientifique, un sujet complexe et à enjeu stratégique 

Ce colloque tenu par visioconférence  représente, selon les participants, une initiative innovante de la TGR et de la FONDAFIP en abordant, comme rappelé lors  des mots introductifs,  du Trésorier Général du Royaume, Monsieur Nourredine Bensouda et du Président de la FONDAFIP, le Professeur Philippe Bouvier, un sujet qui au regard de la crise sanitaire remet en perspective le rôle crucial de la Recherche.

Cette mise en relief de la Recherche sous l’angle de son financement par un croisement de points de vue « interdisciplinaires » entre financiers, enseignants et chercheurs aurait, de l’avis général des intervenants, un caractère stratégique. D’une part,  par rapport aux exigences de compétitivité dans un monde concurrentiel mondialisé et d’autre part, au vu de nouveaux enjeux révélés au grand jour par la pandémie mondiale : hausse des incertitudes économiques, fermeture des frontières,  restrictions sanitaires, réductions drastiques de la mobilité et des flux mondiaux,  souveraineté économique et industrielle, etc.

Dans un tel contexte, le Professeur Bouvier, a souligné l’importance de la « transdisciplinarité » comme étant l’une des leçons de la crise sanitaire pour développer des solutions de résilience aux crises et menaces mondiales.

Du côté marocain, le Ministre de l’Education et de l’Enseignement supérieur, M. Saïd Amzazi, a cité à cet égard en exemple, la saine réactivité du Royaume,  pour mettre en œuvre une production nationale de « respirateurs » et de « masques sanitaires » en mobilisant rapidement des ressources nationales. Et cela,   dés le début de la pandémie afin de répondre en urgence aux impératifs de la protection sanitaire des citoyens.

Le réinvestissement souhaité dans le domaine de la Recherche, a été également souligné du côté marocain, eu égard, notamment,  aux acquis et progrès du Royaume dans plusieurs secteurs socio-économiques et industriels (automobile, électronique, nouvelles technologies, téléphonie et communications, infrastructures, agriculture, environnement, énergies renouvelables, textile…) qui installent le Royaume dans les meilleurs classements au niveau africain et dans le monde arabe. Selon les intervenants marocains, il conviendrait de consolider et de faire fructifier ces acquis par une politique de promotion de la recherche au service d’un développement compétitif, durable et résilient. Le classement des universités marocaines ne seraient pas en reste en termes de meilleurs « rankings » au sein du continent  africain et du monde arabe.

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Du coté français, l’accent a été mis sur les différents dispositifs financiers incitatifs pour stimuler la Recherche afin de compenser la faiblesse des financements publics. Cette faiblesse fait peser, selon les experts français, le risque de voir la compétitivité et le rang industriels de la France prendre du retard par rapport aux autres pays européens. Ce risque se serait aggravé lors de la crise sanitaire, comme on a pu le constater dans le domaine de la recherche biomédicale et sanitaire, alors que la France jouit, selon les propos d’un intervenant, « d’un héritage et d’une réputation de prestige » dans le monde dans le domaine de la recherche scientifique, à préserver et à renforcer.

Diagnostic du financement de la Recherche, les limites du financement public

Partant du constat que le développement de la Recherche induit  un investissement coûteux sur le long terme aux résultats souvent  « aléatoires et imprévisibles »,  les experts marocains et français ont fondé leurs échanges sur un diagnostic qui est, à la base sans appel, à savoir,  les limites et l’insuffisance des fonds publics alloués à la recherche au Maroc et en France, qu’il serait nécessaire de corriger, par le biais de stratégies financières adaptées, pour faire face aux défis et enjeux cités plus haut,

Au Maroc, on estime que seulement 0,75 % du PIB est consacré à la recherche alors qu’il devrait se situer autour des 2 % pour correspondre aux normes internationales à même d’assurer un décollage industriel autonome, durable et compétitif. En France, le constat est similaire quant aux limites du financement public, où avec un taux de 2,2 % du PIB consacré actuellement aux dépenses de la recherche, lequel au demeurant aurait stagné depuis les années 1990, ne correspondrait pas à l’objectif de 3% qui devait être atteint en 2010, dans le cadre de la  stratégie actée au Sommet européen de Lisbonne, tenu en mars 2000.

En somme, selon les experts des deux rives de la méditerranée, la dimension et/ou le caractère « budgétivore » de la Recherche imposerait aux politiques publiques de financement, des objectifs multidimensionnels et complexes d’optimisation, de rationalisation, d’efficacité et d’innovation de la dépense publique.

Stratégies financières pour la Recherche,  développer des financements innovants

Dans son propos, mettant en évidence, les défis que représente  la mobilisation des ressources financières pour la recherche scientifique, le Trésorier Général du Royaume, Monsieur Bensouda, a souligné la nécessité de dépasser, l’approche traditionnelle, qui consisterait à s’appuyer sur le seul  financement public.

Celui-ci ne serait plus suffisant tant les défis et les besoins financiers de la Recherche sont à la fois importants et nécessaires au développement national. Le financement public doit jouer dans ces conditions un rôle de « régulateur et de catalyseur », dans le cadre d’une politique nationale de la Recherche.

Il conviendrait, selon lui, d’inciter le secteur privé et les entreprises à investir dans la recherche ainsi que de stimuler les financements innovants à l’instar du « crowdfunding ». Il a été rappelé à ce propos l’intérêt de la nouvelle loi 15-18 dite «Loi de financement collaboratif » adopté le 11 février 2020.

Dans plusieurs pays industrialisés comme les Etats-Unis, les Pays-Bas, l’Allemagne, etc. le « crowdfunding », pour désigner par son équivalent angliciste le financement collaboratif, est par exemple très utilisé dans la Recherche médicale et le secteur de la santé de manière générale. Certains intervenants ont également évoqué le recours aux financements à travers les fondations privées qui existe dans plusieurs pays dans le monde comme option à envisager.

Sur le registre des stratégies financières, les intervenants français, ont quant à eux, mis en évidence celles adoptées en France qui consisteraient pour l’essentiel, depuis au moins deux décennies, à combler le déficit de l’Etat en matière de financement de la recherche, selon un double principe d’action. Celui de la « complémentarité » avec le secteur privé et celui de la « subsidiarité » avec les niveaux infra-étatiques. Pour le premier, a été évoquée, la stratégie des« incitants fiscaux » (crédit d’impôt à la recherche). Pour le second, celui de l’accompagnement des financements concédés à la Recherche par les corps intermédiaires et les collectivités territoriales. L’objectif pour la France serait d’atteindre un taux de 3 % du PIB consacré à la Recherche.

Ce taux  de 3% resterait néanmoins, selon les exposés présentés, encore insuffisant comparé aux pays qui sont au haut des classements mondiaux de la Recherche comme la Corée du Sud ou Israël dont les ressources allouées se situeraient entre 4 et  5% du PIB. Ces pays, se présentent actuellement aux côtés des Etats-Unis, du Japon et de l’Allemagne, comme « des champions mondiaux de l’innovation ».

Par ailleurs pour le Maroc,  certains intervenants marocains ont évoqué l’ambition affichée par le rapport du « Nouveau Modèle de Développement » où il est suggéré d’atteindre le taux de 2% du PIB à l’horizon de 2035 pour le financement de la Recherche comme il a été soulevé la proposition de doter de 20 millions de DH chaque projet de recherche.

Gouvernance de la Recherche,  des impacts encore mitigés sur l’économie

La question de la gouvernance de la Recherche a également fait l’objet d’un échange croisé fort intéressant. Le constat est relativement identique du côté marocain et du côté français. Les experts marocains et français ont décrit un système de gouvernance fondé sur une forme de « mille-feuille » de dispositifs existants. Le Trésorier Général du Royaume a signalé dans son propos introductif, pour le Maroc,  un « éclatement du système national de la recherche ».

En effet, le Ministre de l’Education et de l’Enseignement supérieur ainsi que les autres intervenants marocains, ont décrit un système à plusieurs étages où des départements sectoriels  (Agriculture, Energie et Mines, Industrie…) développent des centres de formation et de recherche parallèlement à l’existence d’institutions et de structures transversales dédiées (Universités, CNRST, Académies, Ecoles d’ingénieurs…). Selon les intervenants marocains, un besoin de coordination se ferait sentir pour optimiser les dépenses de recherche et mutualiser les résultats dans le domaine de l’innovation.

Cette fragmentation des efforts dans le domaine de la Recherche au Maroc, a conduit Madame Jamila El Alami, Directrice du Centre National de la Recherche Scientifique et Technique  (CNRST) à souligner le faible impact de la Recherche sur le développement national. Selon La Directrice du CNRST, seulement 1% des brevets déposés au Maroc, passeraient au stade industriel.

A ce sujet,  le Président de l’Université Euro-Med,  a suggéré, le développement d’interfaces stimulant les synergies entre les découvertes réalisées dans les milieux de la recherche et celui de  l’innovation dans l’entreprise. Ces systèmes d’interface très populaires dans les pays anglo-saxons sous forme par exemple d’incubateurs pourraient être un « bon catalyseur d’innovations». Il s’agirait de promouvoir des modalités nouvelles de transition du stade de « l’invention à l’innovation ».

En France, l’impact de la Recherche sur le développement a été présenté par Monsieur Thyria, expert fiscaliste, à travers notamment certains résultats énoncés dans le rapport de 2020 du comité national d’évaluation des politiques d’innovation en France. Les travaux dudit comité tout en relevant les difficultés de mesures de l’impact de la Recherche sur l’économie, auraient démontré,  des résultats plutôt mitigés sur la productivité de l’économie. Par exemple,  au niveau micro-économique, l’introduction de nouveaux produits dans l’économie, aurait permis d’évaluer positivement l’impact de la Recherche. Cependant, selon Monsieur Thyria, l’impact de la Recherche serait limité au plan macro-économique, selon les indicateurs considérés, sur les « valeurs ajoutées globales » de l’économie.

La mobilisation des compétences et de la ressource humaine en matière de Recherche, un enjeu de réforme du cadre juridique au Maroc

Le Trésorier Général du Royaume a indiqué que du côté marocain, il y aurait en outre, un enjeu de mobilisation des compétences adossé à la question du financement et celle de la gouvernance de la Recherche. Il a souligné à cet égard, le réservoir de compétences qui existe chez les Marocains du Monde.

 Sur ce point précis, il y aurait, selon les autres intervenants marocains, un besoin de réformer les cadres juridiques et, en particulier,  celui des statuts de l’enseignant-chercheur au Maroc, pour le rendre attractif et ouvert aux compétences venant d’autres horizons sectoriels et professionnels ainsi qu’aux compétences en provenance de l’étranger.

Aussi, pour le Ministre Driss Aouicha et les deux Présidents d’Université présents au colloque (M.  Mustapha Bousmina, Président d’Euromed à Fès et M. Lhassan Hbib, Président de l’Université Caddi Ayad à Marrakech), il conviendrait  de repenser les cadres juridiques et statutaires du personnel de recherche dans les directions suivantes :

  • renforcer le statut d’enseignant-chercheur  et développer la mobilité des chercheurs au niveau national et international (années « sabbatiques » au Maroc et à l’étranger);
  • octroyer au chercheur le statut d’ordonnateur dotée d’une forme d’indépendance budgétaire avec évaluation à postériori ;
  • intégrer les compétences de l’étranger, notamment celles issues de la migration (marocains de l’étranger et étrangers visitant le Maroc) ;
  • ouvrir la recherche aux chercheurs praticiens qui exercent en dehors du secteur de l’enseignement (entrepreneurs, fonctionnaires…).

En conclusion de cet aperçu général, il y a lieu de noter l’effort conceptuel et de synthèse des intervenants comme  celui de la très haute qualité des interventions.  Le débat initié sur la Recherche par ce colloque sous l’angle particulier du financement constituera certainement une référence et enrichira sans nul doute les échanges à venir sur ce sujet.

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