Hassane Saoudi : « La recette de la stratocratie algérienne a inhibé la résilience du système tunisien »

Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue

En recevant le chef du Polisario en grande pompe, le 26 août 2022, le président tunisien Kais Said a déclenché une grave crise diplomatique entre le Maroc et la Tunisie, en marge de la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique 2022 TICAD. Le Maroc a répondu le même jour en annulant sa participation au sommet de Tunis, accusant le Président et le gouvernement tunisiens d’ «hostilité» envers le Royaume. Dans le même temps, l’ambassadeur du Maroc à Tunis a été rappelé.

D’habitude très neutre sur le dossier du Sahara, l’Exécutif tunisien a totalement changé sa politique à l’égard du Maroc, et ce depuis l’arrivée de Kaïs Said au pouvoir, ce dernier préférant prendre une position radicale, s’aligner avec l’Algérie.

Dans un contexte régional très tendu avec l’autre crise provoquée par l’Algérie encore, mais avec l’Egypte, l’acte du Président Saïd a renforcé la délicatesse du paysage géopolitique maghrébin.

Hassane Saoudi, ancien Colonel de la Gendarmerie Royale, expert des questions sécuritaires et Directeur du cabinet de conseil Securi-Consulting, analyse dans cette interview accordée à Maroc diplomatiques les enjeux politiques de la décision du Président tunisien, mais aussi les ambitions du régime algérien dans la région.

Pour M. Saoudi, « la vieille recette de la stratocratie algérienne, qui se résume au concept anglo-saxon dit MICE, a pu en l’espèce inhiber la résilience d’un système tunisien aux abois dirigé par un Président en mal de repères, qui a cédé aux sirènes de ‘’la machine corruptive’’ machiavélique algérienne prompte à tout dès qu’il s’agit de nuire aux intérêts du Maroc. »

l  Maroc diplomatique : Quelles sont les clés de lecture de la crise née de la réception de Brahim Ghali en grande pompe par le Président tunisien Kaïs Said ? Qu’est-ce qui a poussé la diplomatie tunisienne à changer sa position de neutralité vis-à-vis du Sahara ?

– Hassane Saoudi : Je pense qu’il est d’abord important de rappeler que cet acte survient après le Discours royal à l’occasion de la célébration du 40e anniversaire de la révolution du Roi et du peuple, où il demande une clarification sans ambigüité des positions des partenaires traditionnels et nouveaux sur le Sahara marocain ‘’prisme à travers lequel le Maroc considérera son environnement international’’. C’est à l’occasion de la 8e TICAD, forum économique  dédié au développement entre le japon et l’Afrique et encadré que le Président tunisien dans un acte unilatéral prémédité est sorti du bois pour commettre l’irréparable ; Dans un scénario kafkaïen et ubuesque cafouilleux il a déroulé le tapis rouge au représentant d’une entité que son pays n’a jamais reconnue, et que son voisin algérien n’a jamais accordée à son rejeton. De l’inédit dans les usages diplomatiques qu’il n’a pas accordé aux chefs d’Etats en titre dont le Président en exercice de l’UA. Toutefois au-delà de la symbolique et d’un échange de ‘’bons procédés’’ monnayés à l’endroit du commanditaire, cet acte inconsidéré de rupture de neutralité n’a pas eu l’effet escompté bien au contraire. Pourquoi ? Eh bien, sur le plan intérieur,  des partis politiques, des syndicats des organisations de la société civile, un ancien chef d’Etat, des ex-ministres  et diplomates de renommée ont dénoncé cet acte irréfléchi d’un Président dépositaire de la souveraineté et de la dignité d’une nation dont il est le protecteur. Sur le plan extérieur, nous avions assisté à une véhémente réprobation du pays coorganisateur et des chefs d’Etats africains présents. Le Président bissau-guinéen, Président en exercice de la CEDEAO, avait quitté le forum en signe de protestation contre cette intrusion inattendue orchestrée par les pouvoirs algérien et tunisien qui ont réussi à en faire un non-événement.

En ce qui concerne les motivations du Président tunisien, la situation économique sous perfusion, la crise politique issue de la dernière réforme ‘’coup d’Etat constitutionnel’’, dérive autoritariste qui ont freiné la transition démocratique de 2014, la crise sociale ne devraient l’autoriser à brader unilatéralement la souveraineté et l’indépendance nationales qui n’ont pas de prix pour quelques dollars de plus.  J’ouvre une parenthèse sur cette constitution, pour la militarocratie, la transition en Tunisie et au Maroc constitue une menace existentielle  et un effet domino sur la population algérienne qu’il faudrait en tout état de cause faire avorter. Je ne suis pas loin de penser que la signature des services d’intelligence du pays voisin apparait dans les dispositions de la nouvelle constitution ou le palais Carthage est devenu l’épicentre du pouvoir.

l  Comment analysez-vous l’abstention de la Tunisie, lors du dernier vote de la Résolution de Conseil de sécurité de l’ONU, alignement comme la plupart des pays traditionnellement proches de l’Algérie ou du Polisario ?

– Il est important de relever des signaux avant- coureurs identifiés relatifs à ce revirement dans l’attitude du Président tunisien à l’endroit du Maroc ; J’en citerai ce manque de gratitude concernant la visite prolongée du Souverain en pleine emprise terroriste sur ce pays qui a donné un coup d’arrêt au tourisme tunisien, l’aide médicale apportée par notre pays à l’occasion de la Covid-19 au moment où d’autres pays avaient mis le pays sur la black liste de la pandémie. Par ailleurs le Président Kaiss Saied est le seul chef d’Etat  à ne pas avoir visité le Maroc à l’instar de ses prédécesseurs en dépit d’une invitation royale.  L’abstention tunisienne  que vous évoquez (dont l’adoption est un cinglant camouflet à la diplomatie tunisienne) ; La velléité de candidature concurrente à celle du Maroc au conseil « affaires politiques ,paix et sécurité de l’UA » ; En «service commandé»  il traduit la volonté de contrecarrer l’influence sans cesse grandissante du Maroc en Afrique. Abandonnée après le retrait de la Libye en faveur du Maroc   élu  pour trois ans comme représentant de l’Union du Grand Maghreb au sein de ce conseil « vrai cœur du réacteur de cette organisation continentale ». Enfin le dernier acte inamical de la Tunisie lors de la réunion ministérielle des pays de la Ligue arabe  dont le paragraphe  relatif à la TICAD a été tout simplement élagué au grand dam de son représentant en dit long sur des actes inamicaux d’un Président en mal de reconnaissance .

l  Est-ce que l’acte posé par Kaïs Saïd lors de la TICAD, n’est pas enfin le vrai visage de la Tunisie à l’endroit du Maroc, en rappelant que le Président Saïd n’a jamais répondu, même par correspondance, à l’invitation du Roi Mohammed VI, à visiter le Maroc sans compter qu’en 2017 l’échec de la commission mixte maroco-tunisienne qui s’est terminée sans déclaration conjointe ?

– Le Président tunisien vient de sortir du bois en rompant la neutralité de son pays affichée depuis feu Bourguiba ; Il vient aussi de débrancher l’Union du Grand Maghreb  déjà  en coma prolongé, et se prive d’une potentielle médiation constructive non désirée en réalité, (l’équilibrisme lui assurant le confort de jouer sur les deux tableaux) pour la réalisation d’une organisation régionale et emboiter le pas aux autres communautés économiques régionales qui ont atteint un degré avancé en termes d’intégration globale bénéfique à leurs populations.

Certes, la situation économique, politique, institutionnelle et sociale a atteint un seuil critique dont tous les indicateurs sont annonciateurs de banqueroute, mais ne justifie en aucun cas un renoncement au principe sacro-saint à la souveraineté dont il est constitutionnellement le garant. Par ailleurs le commanditaire dont la marque de fabrique est d’user de tous les subterfuges pour exercer le chantage sur les pays en crise aux fins de nuisance au Maroc quelque soit le prix. La vieille recette de la stratocratie algérienne  se résume au concept anglo-saxon dit MICE, acronyme qui signifie (money, idéologie, compromise /coercion and égo) que les services français appellent AICE (argent, idéologie, compromission/contraintes et égo). Il a pour finalité de manipuler  pour faire adopter une attitude ou exécuter une action. Cette méthode  a pu en l’espèce inhiber la résilience d’un système tunisien aux abois dirigé par un Président en mal de repères, qui a cédé aux sirènes de « la machine corruptive » machiavélique algérienne prompte à tout dés qu’il s’agit de nuire aux intérêts du Maroc.

 Pour quel dividende ? Je pense qu’en jargon mathématique c’est « Epsilon » dans la mesure où hormis un deal crapuleux qui ressemble à du saupoudrage, les conséquences sont autrement plus pernicieuses. Sur le plan interne, l’attitude à l’endroit du Maroc a accentué la réprobation des forces vives de la nation déjà clivée dont la dérive autocratique de Kais Saied restera comme un point noir dans l’histoire de ce pays. Sur le plan économique la crise aigüe que traverse le pays n’est pas prête de s’estomper car les organismes créanciers remettent en question l’octroi de crédits à cause de la mal- gouvernance ; L’exemple du Millenium Challenge Corporation (MCC)  de 500M $ d’aide américaine en est l’illustration.

Le rapport de la Commission européenne pour la démocratie par le droit dite commission de Venise qui a mis en exergue le recul démocratique induit par la réforme de la constitution en Tunisie,  elle a été déclarée persona non grata par le Président  contribuant ainsi à son isolement au sein de l’UE ; Son acte hostile à l’égard d’un pays voisin lors de la 8e TICAD l’a durablement discrédité au sein de beaucoup de pays africains et de la Ligue des pays arabes où sa diplomatie a encore une fois été désavouée. La ‘’diplomatie du chèque’’ dont use et abuse le pouvoir algérien a montré ses limites et qui  amuse la galerie, j’ai envie de dire tout ça pour ça !

l  Est-ce que la nouvelle position de la Tunisie à l’endroit du Maroc est une logique économique ou politique ? Quelles peuvent être les dividendes politiques pour le Président Saïd en Tunisie et même sur le plan international ?

– Vous savez, le recouvrement de l’intégrité territoriale du Maroc n’a jamais été digérée par le pays voisin, pourquoi? Eh bien la nouvelle configuration géostratégique le prive du leadership maghrébin auquel il aspire en pensant que la rente pétrolière, gazière et mémorielle est un blanc-seing pour y prétendre. Les attributs liés au leadership sont autrement plus complexes dont la géographie (têtue) bénédiction de la nature, la légitimité, la stabilité, la démocratie, le rayonnement, la capacité d’influence et de séduction entre ‘autres  que le voisin n’a pas. Ces paramètres dont le Maroc use à bon escient lui permettent encore d’engranger des succès diplomatiques relatifs à la reconnaissance de la légitimité de sa cause cardinale dont des grandes puissances et au sein de la communauté africaine et arabe. Aussi, il est dans ses provinces du Sud où il assure la théorie des 4D à savoir la défense, le développement, la démocratie et la diplomatie avec succès pour le bien être des populations. Les 27 consulats à Laàyoune et Dakhla et la dernière reconnaissance du Kenya  sont la  parfaite démonstration de l’efficacité de la politique Royale qui permettra à ces provinces de devenir un hub continental dans la profondeur stratégique africaine de notre pays.

L’Algérie continue son hostilité par l’entretien d’un rejeton sans perspectives d’avenir, compromet la construction du Grand Maghreb qui coute 2,5% du PIB aux citoyens de cette région ; elle s’est évertuée à exporter le terrorisme au Mali et dont l’expansion est entrain de déstabiliser tout le Sahel et le Golf de Guinée. Elle a autorisé l’intrusion de l’Iran Chiite dont les capacités hégémoniques et de déstabilisation sont la marque de fabrique dans son pays pour tout simplement nuire au Maroc et à tout le Maghreb.

Donc une reconfiguration du paysage géopolitique régional continental ou international ne pourrait se faire qu’à l’avantage du Maroc en dépit des gesticulations infructueuses entreprises, au moment où le citoyen algérien  souffre de la pénurie jusqu’aux produits de base. Drôle de performance pour un pays pétrolier et gazier qui se targue d’être une ‘’force de frappe’’ qui se frappe elle-même.

l  La tension entre le Maroc et l’Algérie sur le Sahara, une question plus que délicate dans le paysage géopolitique maghrébin, et plus largement mondial, peut-elle accélérer une reconfiguration des cartes diplomatiques en Afrique et dans le monde ?

– Je pense que l’affaire du Sahara marocain a été réglée quant au rôle exclusif des Nations Unies sur la question ; la résolution 693 de 2018 à Nouakchott a définitivement réaffirmé le soutien au processus de paix onusien en cours.  La Troïka  n’est ‘’qu’un moyen d’accompagnement aux efforts exclusifs de l’ONU’’ comme l’avait clairement signifié le ministre des Affaires étrangères de la coopération africaine et des résidents marocains à l’étranger. La première Troïka sous la présidence de l’Afrique du Sud dont l’hostilité au Maroc , de la RDC et du Sénégal n’a pas été d’un grand succès à cause de la tentative d’instrumentalisation improductive de cette structure restée une coquille vide. En 20022, il  est prévu une nouvelle Troïka composée de la RDC, du Sénégal et des iles Comores, et il faudrait suivre ses activités qui  devraient se consacrer au rôle initial assigné.

Pour les Communautés régionales, j’estime qu’ils ont compris l’obstination du pays voisin et ses égarements, la CEDEAO qui a déjà du pain sur la planche tant les défis sécuritaires et institutionnels nombreux  sont une priorité. De mon point, laisser le processus de règlement en l’état ne serait pas une mauvaise chose.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page