Hiba Khamlichi dans ses métamorphoses

 

Par Mustapha Saha

L’artiste prodige marocaine, Hiba Khamlichi, âgée de quinze ans, dont les oeuvres se trouvent déjà dans plusieurs musées et collections prestigieuses dans le monde, expose actuellement, du 22 avril au 22 mai 2016, à la galerie Menouar à Paris. Le sociologue, poète et artiste peintre Mustapha Saha lui consacre une analyse congruente, qui met en perspective la portée artistique et philosophique de ses créations.

L’art de Hiba Khamlichi est une peinture rhizomique où l’évidence parabolique dissimule un étrange hermétisme, où les caractères, les empreintes, les effigies en miroir, entretiennent des interconnexions indéfinissables. Une peinture médiumnique véhiculant, au-delà des messages intentionnels, des catachrèses divinatoires, des illuminations extralucides, des parénèses incantatoires. Les petits motifs juxtaposés évoquent les cryptogrammes indéchiffrables des talismans conjuratoires. La mythologie marocaine, toujours vivace,  dessine en filigrane l’estampille allusive.

Les représentations figuratives du code entropique de Fibonacci resteraient des jeux allégoriques si Hiba Khamlichi, traversée de fulgurances intuitives, ne les chargeait d’étranges entrelacements d’alphabets antiques, d’incarnations ataviques remontés des profondeurs du temps,  d’énigmatiques combinatoires puisées dans l’invisible. Le détournement sémiotique des lois numériques les transfigurent et les transcendent pour les restituer en oeuvres hallucinatoires. Le formalisme géométrique apparent sous-tend, dans ses asymétries déconcertantes, ses intrications déroutantes, ses alambications surprenantes,  une  déconstruction méthodique des logiques binaires. Cette esthétique détonante, parementée de références paradoxales, relève des transmutations alchimiques. Ses compositions algorithmiques puisent leur puissance hypnotique dans l’interaction secrète de figures sibyllines. Le vent soufi souffle dans son pinceau. Les atomes pellucides des sables chauds pigmentent les variations de ses couleurs. Les chevaux se dentellent d’arabesques cabalistiques surgis des raffinements andalous et de leurs inspirations mystiques. Des éclats de street art, révélateurs des soubresauts souterrains des mutations présentes, se superposent comme des effractions intempestives. L’artiste visionnaire est bien ancrée dans son temps. Sans avoir connu de l’intérieur l’aventure psychédélique, cette quête éperdue de liberté des soixante-huitards saturés d’abondance et d’absence d’absolu, Hiba Khamlichi la revisite avec une spontanéité confondante.

Devant chaque oeuvre, le regard captif erre dans le dédale des signes graphiques, parsemés de flèches déboussolantes. Les escargots s’apparentent à des soucoupes volantes en embouteillage dans l’espace. Leurs coquilles en spirale, couvertes de tatouages, transbahutent l’oeil curieux de leur minutie fragmentaire d’impasse en impasse. Chaos stylistique sans syntaxe transparente. Les sphères brisées enfermées dans des cases d’échiquier, agencées au hasard des lancers de dés, s’enchaînent ou se désenchaînent dans l’incertitude des probabilités. La dissymétrie devient,  par magie, déflagration de pétales. L’irrégularité se fait symphonie de géométries variables. L’amalgame des lignes serpentines, des cercles entaillés, des triangles zébrés, déclinent des galaxies entrecroisées, des voies tortueuses au coeur des étoiles, des ponts d’accès aux fulgurances satoriques. Archimède inspire la voûte azurée où s’activent des archanges mathématiciens. Les figures primaires se font carrefours inextricables dans leurs entrecroisements infinis. L’imprévisible mécanique démultiplie fausses pistes et  détours insoupçonnables. La peinture de Hiba Khamlichi est un art des labyrinthes.

Hiba Khamlichi matérialise dans ses créations les métamorphoses réparatrices des dérives planétaires, des métamorphoses aiguilleuses des énergies telluriques, des rayonnements cosmiques, des ressources psychiques, des métamorphoses régénératrices du sens de l’existence. Sa palette réfractaire capte sur le vif les convulsions du monde. Sa colombe horlogère restaure l’intemporalité contemplative dans la débâcle générale. Ses mandalas réimpriment l’allègre sagesse des sérénités vitales. Ses avatars robotisés s’infusent de stylistiques pariétales. Des bleus maillés de circuits électroniques, des rouges transpercés de rayons laser, surgissent  des masques mayas pour éblouir le spectateur médusé et le précipiter dans son propre royaume imaginaire.

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