La Chaise du concierge
Bahaa Trabelsi, Le Fennec
Trois ans après la parution de son recueil de nouvelles « Parlez-moi d’amour », Prix Ivoire de la francophonie 2014, Bahaa Trabelsi revient en force avec son cinquième roman happant de par son registre. Cette foisci, l’auteure surprend son lectorat par un polar où se réunissent tous les ingrédients d’un film policier. Le personnage central est un serial killer qui fait de Casablanca grande ville où modernité et conservatisme se côtoient dans le tiraillement, le théâtre de ses crimes qu’il signe de versets de Coran. Animé par une obsession diabolique, ce solitaire psychopathe est convaincu qu’il est porteur d’une volonté divine qui l’engage à épurer la ville de ses « mécréants ».
Arrivé du Sud profond et fort de sa foi, il nourrit une haine qui le ronge à l’égard d’ « impies » qui, selon lui, souillent le monde. Et c’est posté sur son mirador, dans un quartier cossu de la métropole, un thé à la main, que le concierge a les « porteurs de vice » en ligne de mire pour agir, après, en « nettoyeur d’Allah ». Ce tueur en série a bien de quoi s’occuper puisque « Hommes corrompus, femmes adultères, voleurs, pêcheurs, Casablanca est la Sodome et Gomorrhe du vingt et unième siècle ». Dans La Chaise du concierge, ce tueur en série sévit, obnubilé par un devoir de purification dont il se croit détenteur désigné par Dieu. L’enquête est menée par un commissaire alcoolique et dépressif cultivant un net penchant pour les atmosphères glauques. Ce dernier trouvera-t-il la rédemption auprès de Rita la journaliste ? Femme émancipée, riche d’une double culture, occidentale et marocaine, n’est-t-elle pas une cible idéale pour le fou de Dieu ? Le danger rôde dans ce thriller où trois perceptions du monde s’entrechoquent, se contredisent, exprimant tour à tour leurs certitudes et leurs tourments. Trois personnages dont les destins seront à jamais scellés. Tableau de la société casablancaise avec ses contrastes, ses paradoxes et ses codes, cette fiction, à la fois documentée et réaliste, est une lecture sociologique de personnages représentatifs d’une violence sociale que Bahaa Trabelsi, en intimiste aguerrie, décortique pour en détecter les origines et les motifs. Ce roman à trois voix est une peinture de vies murées. La narration faite à la première personne et ponctuée de suspense prend en otage le lecteur qui se voit, insensiblement, impliqué dans les pensées des personnages dont on décrit, avec subtilité et pertinence, la perte de repères et l’égarement qui mène à l’obscurantisme.
En journaliste à la fibre entrepreneuriale, dynamique à la plume alerte, Bahaa Trabelsi, connue pour ses grands dossiers et enquêtes sur des sujets sensibles tels que la vie dans les prisons marocaines, l’homosexualité ou la prostitution, sort son arsenal pour scalper les vies, les pensées, les sentiments et les tenants et aboutissants de ses personnages, surtout le héros, tueur en série qui se veut justicier.
Avec La Chaise du concierge, l’auteure marque son empreinte dans un autre genre d’écriture et gratifie le champ littéraire de ce roman policier où il n’y a pas de mot qui ne soit pas significatif. Le lecteur, lui, n’a qu’à se laisser mener dans les labyrinthes du suspense.