Loi sur la grève : le bras de fer se durcit entre gouvernement et syndicats
Le Maroc est une nouvelle fois le théâtre de tensions sociales majeures, alors que les syndicats maintiennent la pression sur un gouvernement jugé sourd à leurs revendications. Une deuxième journée de grève nationale, ce jeudi, s’annonce sous haute tension après un premier jour de mobilisation ayant paralysé une grande partie des secteurs vitaux du pays. Cette action syndicale intervient dans un climat économique morose, marqué par une montée du chômage – passé de 13 % en 2023 à 13,3 % en 2024 – principalement imputable aux pertes massives d’emplois dans l’agriculture, secteur durement touché par des années consécutives de sécheresse.
L’appel à la grève lancé par quatre des principales confédérations syndicales du pays – l’Union marocaine du travail (UMT), la Confédération démocratique du travail (CDT), l’Organisation démocratique du travail (ODT) et la Fédération syndicale démocratique (FSD) – a trouvé un écho massif parmi les travailleurs. Selon les chiffres communiqués par l’UMT, le taux de participation à la grève a atteint 84,8 % à l’échelle nationale. Certains secteurs stratégiques, comme l’éducation et la santé, ont enregistré des taux de participation atteignant 100 %, limitant les soins aux seuls services d’urgence.
Cette mobilisation d’envergure s’inscrit dans le cadre d’un rejet collectif d’une série de réformes jugées régressives par les syndicats. Au cœur de la contestation : la récente adoption par le Parlement d’une nouvelle loi encadrant le droit de grève. Adoptée avec 84 voix pour et 20 contre, cette législation est défendue par le ministre de l’Inclusion économique, de la Petite Entreprise, de l’Emploi et des Compétences, Younes Sekkouri, comme une avancée, car elle reconnaît explicitement les grèves politiques et de solidarité, tout en étendant ce droit aux travailleurs domestiques et indépendants. Cependant, les leaders syndicaux dénoncent une loi « restrictive » qui, selon eux, affaiblit les libertés syndicales et introduit des sanctions disproportionnées contre les grévistes.
Les effets de la grève ont été immédiats et spectaculaires. Outre l’éducation et la santé, l’administration publique, la construction automobile, la logistique ainsi que des services névralgiques comme les impôts, les finances ou encore la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) ont vu leurs activités suspendues. La fusion projetée de cette dernière avec la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS), sans consultation préalable des partenaires sociaux, cristallise particulièrement les tensions.
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« Chaque jour, nous nous réveillons face à des hausses de prix incontrôlées, pendant que le gouvernement reste inactif, laissant les spéculateurs s’enrichir aux dépens des citoyens », s’est insurgé Miloud Moukharik, secrétaire général de l’UMT. Ce dernier a également souligné l’ampleur de la mobilisation, qualifiant cette grève de l’une des plus massives de l’histoire récente du Maroc.
Les banques, bien que partiellement touchées, ont vu une large majorité de leurs agences fermer leurs portes. Les bureaux de poste, quant à eux, ont cessé toute activité. La paralysie a aussi gagné les instituts de formation professionnelle, les sièges des administrations locales et les centres de services publics.
Un contexte économique volatile
Cette crise sociale survient alors que le Maroc fait face à des défis économiques sans précédent. L’inflation galopante, la stagnation des salaires et la perte continue du pouvoir d’achat plongent une large partie de la population dans la précarité. Le gouvernement a bien annoncé des mesures pour soutenir l’économie, notamment un plan d’investissement de plus de 14 milliards de dirhams destiné à stimuler l’emploi en appuyant les petites et moyennes entreprises. Mais ces annonces peinent à convaincre des syndicats qui dénoncent des initiatives « déconnectées des réalités du terrain ».
Le ministre de l’Inclusion économique, de la Petite Entreprise, de l’Emploi et des Compétences, Younes Sekkouri, a rappelé que la nouvelle loi prévoit des amendes pouvant atteindre 200 000 dirhams pour les employeurs qui empêcheraient l’exercice du droit de grève. Une disposition que les syndicats considèrent comme un écran de fumée visant à masquer le manque de dialogue avec les représentants des travailleurs.
La grève, qui devrait se prolonger jusqu’à jeudi soir, marque un tournant dans le dialogue social au Maroc. Les syndicats exigent non seulement le retrait immédiat de la nouvelle loi sur la grève, mais également des réformes structurelles visant à garantir des salaires décents, une protection sociale renforcée et le respect des droits fondamentaux des travailleurs.
Pour Miloud Moukharik, « il est urgent que le gouvernement prenne la mesure de la gravité de la situation et engage un dialogue sincère et constructif avec les partenaires sociaux ». En l’absence de réponse concrète de l’exécutif, les leaders syndicaux menacent déjà de prolonger le mouvement ou d’enclencher de nouvelles actions de plus grande envergure dans les semaines à venir.
Le gouvernement, de son côté, est désormais face à un choix décisif : écouter les revendications populaires et ajuster sa politique sociale, ou risquer de voir la crise s’enliser, avec des conséquences économiques et sociales potentiellement dévastatrices pour le pays.