Récit de vie : Gabriel BANON se raconte (3)

DE LA RUE DE TANGER À L'ELYSEE

EPISODE III

Gabriel BANON, un nom qui à lui seul constitue un pan de l’Histoire. La vie de ce grand enfant de Casablanca s’offre à nous sur plusieurs toiles de fond aussi luxuriantes les unes que les autres. Parler de Gabriel BANON n’est pas chose aisée quand bien même on serait son meilleur ami tellement sa vie est riche, passionnante et singulière. Enfant, il avait joué avec des princes. Adulte, il allait conseiller et chuchoter à l’oreille des grands de son époque allant du Roi de Suède, au Président russe en passant par Yasser Arafat et George Bush père. Comment pourrait-on donc raconter la vie de celui qui fut l’ami des grands de ce siècle comme Henry Kissinger ou encore l’ancien président Gerald Ford et bien d’autres sachant qu’on omettrait bien des chapitres palpitants d’une vie exceptionnelle à tous égards ? Gabriel BANON c’est aussi une carrière riche de rencontres de haut niveau que lui seul pourrait nous raconter. Pendant bien des années, tous ses amis et son entourage l’ont exhorté à écrire sa vie mais la modestie des grands l’en a toujours empêché. Peut-être aussi son sens de responsabilité et surtout de discrétion lui qui garde bien au fond de lui des secrets d’États. À mon grand bonheur, et je peux même m’en sentir fière, je l’ai convaincu de le faire par devoir de partage, lui qui a beaucoup de choses à nous apprendre. Dans ces épisodes que nous allons publier, au fil des éditions, Gabriel se confiera à nous, se racontera et nous embarquera dans un voyage savoureux dans les arcanes de son monde fabuleux mais bien des fois tumultueux.

 

                           *****            

« J’avais quatorze ans quand je quittais le lycée Lyautey, alors en classe de Première, pour me retrouver à Paris, confié à mon cousin Albert. Ce dernier y terminait ses études de médecine. Il habitait l’hôtel d’Angleterre, rue Montmartre, et me trouva une chambre en face de la sienne. Je passais mon bac ES de l’époque, au lycée Claude Bernard, véritable trotte de la rue Montmartre au Parc des Princes. Cette période passa très vite. Je choisis de continuer à Lyon, où je retrouvais les rares amis de Casablanca venue poursuivre leurs études. Certains en Chimie, d’autres en Droit ou aux Arts et Métiers. Le cursus de l’époque offrait la possibilité d’un échange d’étudiants avec l’École polytechnique d’Oslo, en Norvège. C’est ainsi que je passai, pratiquement, ma dernière année d’études, à Oslo. J’y eus mes premières rencontres exceptionnelles qui allaient émailler toute ma carrière. Fred Olsen, qui prendra la suite des affaires familiales : chantiers navals, transport maritime, Fred Olsen Cruise Line, plateformes de forage en mer, auxquels il ajoutera, plus tard, diverses industries, aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde, comme les montres Timex.

Un cercle privé, animé par des bénévoles, l’Alliance française, organisait des événements littéraires, artistiques ou simplement festifs, pour les étudiants francophones et les autres. C’est là qu’il m’a été donné de rencontrer le prince Olav et sa sœur, la princesse Ragnhild Alexandra, qui aimait se joindre, en toute simplicité, aux étudiants. Son frère deviendra le roi Olav V, connu pour sa simplicité. Il avait été surnommé « Folkekongen », le Roi du peuple.

A l’époque, la presse ne parlait que de ses exploits sportifs et s’inquiétait de le voir continuer à pratiquer le saut à ski, particulièrement du tremplin de saut de Holmenkollen, à Oslo. Il mourra en 1991 et sera élu, à titre posthume en 2003 : le Norvégien du siècle par 41% des voix.

La princesse avait une amie, Astrid N, dont je devins follement amoureux. La première fois que votre cœur s’enflamme, on croit dur comme fer, que c’est pour toujours. Mon retour à Lyon ne calma pas mes ardeurs pour Babette, ainsi surnommée par ses amis et la famille. Mon père trouva que l’on était bien jeunes et qu’une union entre une fille du Nord et un garçon du sud, était vouée à l’échec. Le temps fit son œuvre, mais nous restâmes amis pour toujours. Astrid se maria avec un Norvégien qui deviendra Ambassadeur de Norvège à Bruxelles, et eut deux filles aussi belles qu’elle. Plus tard, elle divorça, pourquoi ? Je ne lui ai jamais demandé. Mais, chaque fois qu’elle avait une décision à prendre, particulièrement pour ses filles, elle me demandait mon avis. Je me mariai à mon tour. Le jour où mon fils aîné voulut faire un séjour en Norvège, je demandai à Astrid de l’accueillir chez elle. Elle refusa, « je ne veux pas prendre le risque que l’histoire se répète avec une de mes filles » dit-elle. Elle s’occupa néanmoins de l’organisation de son séjour et veilla sur son déroulement.

Lors de ce séjour inoubliable, qui me marqua à plus d’un titre, je fis la connaissance d’un autre jeune norvégien, Hermann Von Der Lippe. Flegmatique comme seuls les Norvégiens peuvent l’être, il fallait percer la carapace. Chose faite, il devint un ami que l’absence et le temps n’effacent pas. Quelques années après ses études, il deviendra le directeur du Théâtre national d’Oslo.

Dois-je vous dire que j’ai appris le norvégien que je n’ai plus eu à pratiquer que plusieurs années après ?

C’est lors de ce séjour qu’eut la dramatique catastrophe aérienne d’Oslo. Des associations norvégiennes et juives avaient ouvert un camp de vacances dans les environs d’Oslo. De jeunes enfants juifs, filles et garçons, des quartiers miséreux de Tunis, étaient amenés en Norvège se refaire une santé, avant d’être acheminés vers Israël. Deux avions étaient partis d’Oslo pour amener un autre groupe d’enfants. Chaque avion transportait environ deux cents enfants et leurs accompagnateurs, la plupart, norvégiens, souvent des étudiants. Le premier revint en temps et en heure. Le deuxième, pour une raison inconnue à ce jour, alla percuter une colline des environs de l’aéroport d’Oslo. Des groupes de volontaires participaient aux recherches, espérant secourir quelques survivants. On demanda des volontaires parlant français et arabe, beaucoup de ces enfants ne parlaient qu’arabe. Des volontaires, j’étais le seul à parler arabe, l’arabe d’Afrique du nord. Il n’y eut qu’un seul survivant, un miracle pour beaucoup de monde. On me demanda de ne pas le quitter, il ne parlait qu’arabe. Le miraculé, comme la presse mondiale l’appelait, subit à l’hôpital les examens de contrôle nécessaires.

Deuxième miracle, aucune blessure, à l’exception d’une égratignure sur le nez. Toutes les télévisions du monde ont relayé son image sur son lit d’hôpital, moi à son chevet. Je reçus un énorme courrier, certains me demandaient si je croyais en Dieu, une bible accompagnant la missive. On l’avait retrouvé assis dans un siège, à la queue de l’appareil, non attaché. Toute la presse voulait connaître ses premières paroles. C’est ainsi que j’ai eu, pour la première fois, mon heure de gloire.

Gabriel Banon au chevet du seul rescapé du crash
Gabriel Banon au chevet du seul rescapé du crash

*****

À Lyon, ma vie fut avant tout laborieuse. Outre les cours, j’occupais mes vacances scolaires comme moniteur de colonies de vacances en été, et moniteur de ski, en hiver.  Il est vrai que les mensualités ne venaient pas toujours à l’heure, et parfois sautaient une échéance.

Je garde en mémoire une colonie de vacances, installée par un organisme social ou d’enseignement dont je ne me rappelle plus le nom. J’étais émerveillé par le site. C’était au Mont Ventoux, dans le Vaucluse et la chaîne des Alpes. Il y avait une quarantaine d’enfants venus de la région parisienne. La colonie était divisée en quatre groupes, j’étais responsable de l’un d’entre eux. Je prenais très au sérieux mon rôle de moniteur. Les quatre moniteurs étaient coiffés par un moniteur en chef. Ce dernier, dès les premiers jours, se sentit dépassé par les événements. Il demanda à partir et proposa à la direction que je le remplace. Cela aura été mon premier exercice d’autorité.

Mon stage intermédiaire, je le fis dans une entreprise de travaux publics, les Établissements Killery de Casablanca. C’est ainsi que je participai, très modestement, à l’édification du Stade d’Honneur, baptisé plus tard, Marcel Cerdan, et à l’Indépendance, Mohammed V. C’est à Lyon que j’effectue mon stage de fin d’études, en 1952, sur le pont de la Guillotière. Miné par les Allemands en déroute, il ne fut pas complètement détruit et devint un danger pour la navigation sur le Rhône. Le chantier était de parfaire sa destruction en conservant la navigation fluviale. Il sera reconstruit, reliant toujours la place Bellecour à la rive opposée, le quai Claude Bernard, où se trouvait la Faculté de droit. C’est ainsi que j’allais régulièrement à cette Fac, acheter chez l’appariteur, les polycopies des cours, que je ne pouvais suivre à temps complet. C’est en tant qu’ingénieur civil et licencié en droit, que je rentrais définitivement à Casablanca, pas pour longtemps. J’allais oublier, avec dans mes bagages, le manuscrit de mon premier livre, un livre d’essais que j’avais intitulé : Vaine Recherche.

À mon arrivée à l’aéroport de Casa-Nouaceur, au contrôle de police, je fus « invité » à me rendre immédiatement au commissariat central, « accompagné ». Le planton me demanda d’attendre l’arrivée du « Patron », le commissaire Voiron, chef de la police de Casablanca. Je le connaissais pour l’avoir vu une ou deux fois chez mon père. Ceci calma un peu mon angoisse naissante. « Te voilà, Gabriel ! Qu’as-tu fait à Lyon pour que les services me demandent de t’interroger sur ton action anti-française ? Tu fais maintenant des conférences contre la présence française au Maroc ? Tu conspires pour l’indépendance du Maroc ? »

Dans un cercle d’étudiants que je fréquentais, je participais à des causeries annoncées pompeusement : Conférences sur le Maroc. J’expliquais que le pays n’était pas une colonie mais un protectorat. La France s’honorerait de considérer que son action a été bénéfique pour le Maroc, et qu’il était temps de le laisser voler de ses propres ailes.

Voiron m’écouta en silence et me demanda si je me rendais compte de la situation où je m’étais mis. L’informateur qui avait signalé ce « terroriste » était en fait une informatrice, une petite amie, que j’avais quittée toujours peut-être sans ménagements. Sur ces entrefaites, mon père, accompagné de deux amis, arriva. Bensouda et Haj Adeslam Benjdia, apostrophèrent le commissaire Voiron : « C’est honteux ce que tu fais, terroriser un enfant ! Ce n’est pas sérieux ! »

Après une explication houleuse, -ils étaient tous amis-, on décida que la jeune femme avait agi par dépit et que rien ne justifiait tout ce cinéma. Je repartis avec mes sauveurs. J’avais senti le boulet passer très près, pour cette fois-ci. »

Lire Aussi :  EPISODE I et  EPISODE II

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