Christophe Farnaud : « Malgré des signaux positifs, la crise en Libye reste préoccupante »

Propos recueillis par Hassan Alaoui

À l’heure où le dialogue inter-libyen se poursuit à Bouznika sous l’impulsion reconnue et saluée du Maroc, la France a dépêché l’un de ses plus éminents responsables des affaires étrangères pour une visite au Royaume. Christophe Farnaud, c’est lui dont il s’agit, a eu l’amabilité de répondre aux questions de MAROC DIPLOMATIQUE en sa qualité de Directeur du département Afrique du Nord et du Moyen-Orient du Quai d’Orsay.

MAROC DIPLOMATIQUE : Monsieur Farnaud, pouvez-vous s’il vous plaît nous définir l’objet de cette première visite officielle que vous effectuez au Maroc ?

Christophe Farnaud : Je me réjouis beaucoup d’être aujourd’hui au Maroc, pays que j’affectionne tout particulièrement, pour des consultations bilatérales qui sont régulières et nous permettent d’aborder différents sujets bilatéraux et régionaux. Cela se fait dans un esprit de grande confiance et d’amitié, à l’image des relations entre nos dirigeants, Sa Majesté le Roi Mohammed VI et le président de la République M. Emmanuel Macron.

Alors que la pandémie mondiale de Covid-19 a touché nos deux pays, mais aussi confirmé la profondeur de notre « partenariat d’exception », ces consultations nous permettent de faire le point sur l’ensemble de nos sujets bilatéraux et d’avancer dans un agenda de travail qui doit être à la hauteur des nouveaux défis posés.

La reprise dynamique de nos échanges se dessine aujourd’hui à haut niveau : outre les contacts très réguliers entre nos ministres chargés des affaires étrangères, M. Jean-Yves Le Drian et M. Nasser Bourita, je citerais les prochaines visites au Maroc du Ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, en charge du commerce extérieur et de l’attractivité, M. Franck Riester, du 11 au 12 octobre 2020, puis du ministre de l’Intérieur M. Gérald Darmanin, du 15 au 16 octobre 2020. Ces visites confirment la densité de notre relation bilatérale, excellente à tous les égards.

MD : La région du Maghreb et du Moyen-Orient connaît aujourd’hui des transformations liées à la pandémie de la COVID-19, mais aussi et surtout à la série de conflits qui la menace, je pense à la Libye, à la surenchère entre la Grèce et la Turquie. Quel est votre sentiment ? 

C.F : Face à tous les défis que vous citez, une chose est sûre : aucun pays ne peut répondre seul. C’est pourquoi il est important de se parler, de travailler ensemble. C’est pourquoi aussi le multilatéralisme est la seule réponse à ces crises, comme il l’est pour les questions économique, climatique ou technologique.

Sur les dossiers de crises internationales, la France et le Maroc partagent une grande convergence de vues. Nos positions sont marquées par ce fort attachement au multilatéralisme, qui nous permet d’agir ensemble, pour faire face à des dangers et des enjeux communs.

Vous évoquez la Libye. Malgré des signaux positifs, la crise reste préoccupante. Les ingérences étrangères, l’afflux de mercenaires et les violations de l’embargo sur les armes alimentent la dégradation de la situation et menacent la stabilité régionale. La France n’a cessé de rappeler son attachement à l’unité, à la souveraineté et à la stabilité de la Libye. Il n’y aura pas de solution militaire. Seule une solution politique inclusive, sous les auspices des Nations unies, permettra d’engager ce pays vers la stabilité. Cela passe par un cessez-le-feu durable et crédible, un processus politique fondé sur le dialogue inter-libyen et la mise en œuvre d’un mécanisme transparent de répartition des revenus pétroliers.

À cet égard, la France salue l’action des Nations unies en faveur du processus politique inter-libyen, qui doit conduire à la réunification des institutions, à une transition politique et à l’organisation d’élections dans le cadre des paramètres agréés par les Libyens. Elle salue également les efforts du Maroc, qui est à nos yeux un acteur majeur du dossier libyen et qui, en accueillant des pourparlers à Bouznika, contribue au dialogue inter-libyen.

Quant à la situation en Méditerranée orientale, notre ligne est claire. C’est une ligne de dialogue et de fermeté. Lorsque, par sa politique du fait accompli et ses violations du droit international en Méditerranée orientale, la Turquie remet en cause la souveraineté d’États membres de l’Union européenne – je pense à la Grèce et à Chypre – elle remet en cause la souveraineté de l’Union européenne. C’est ce qu’a une nouvelle fois rappelé le Conseil européen lors de sa dernière réunion, et la solidarité de l’Union européenne à l’égard de la Grèce et de Chypre est entière.

Mais c’est aussi une volonté de dialogue. Les signaux positifs envoyés par la Turquie ces dernières semaines en Méditerranée orientale sont encourageants, mais doivent être confirmés, en s’abstenant de nouvelle provocation à l’égard de la Grèce, mais aussi de Chypre.

MD : Un débat houleux se déroule aujourd’hui en France sur le séparatisme, que pourriez-vous nous dire à ce sujet ?

C.F :Le président de la République l’a dit sans ambiguïté aux Mureaux le 2 octobre dernier : notre capacité à vivre ensemble est aujourd’hui menacée et nous devons faire face les yeux ouverts au séparatisme islamiste. Il s’agit de nous opposer à un discours conscient, théorisé, politico-religieux, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République et se traduit souvent par la constitution d’une contre-société. Pour ce faire, cinq axes majeurs d’action ont été précisés, qui concernent le service public, les associations, l’école, l’organisation de l’islam en France et le déploiement concret, sur le terrain, de politiques publiques en matière notamment d’emploi, de logement et de lutte contre les discriminations.

Le défi est de lutter contre la dérive de certains au nom de la religion, en veillant à ce que ceux qui, tout simplement, pratiquent cette religion ne soient pas visés. Il ne s’agit aucunement de stigmatiser les Musulmans de France, mais, au contraire, de refuser l’amalgame entre l’islam et l’idéologie de l’islamisme radical.

Nous partageons avec le Maroc la même détermination à lutter contre toutes les formes de radicalisation et faire face à la menace de groupes extrémistes. Nous saluons l’engagement des autorités marocaines en faveur de la promotion d’un islam du « juste milieu » empreint des valeurs d’ouverture et de tolérance et respectueux de toutes les croyances.

MD : La politique française en Afrique prend-elle une autre forme, quelle est votre analyse ?

C.F :Le président Macron a été très clair dès 2017 dans son discours de Ouagadougou sur son engagement en faveur d’une relation profondément rénovée avec l’Afrique. Nous voulons soutenir la jeunesse africaine, l’innovation, la mobilité étudiante, l’entrepreneuriat en particulier des femmes et tout ce qui prépare l’Afrique de demain.

Nous sommes également attentifs à renforcer les échanges culturels. C’est l’objet de la saison Africa 2020, qui va débuter en décembre et dans le cadre de laquelle près de 200 événements se dérouleront dans notre pays. Notre engagement en Afrique aujourd’hui, c’est aussi de parler à tout le continent.

La France reste engagée pour la paix et la sécurité en Afrique et soutient notamment la lutte des États du Sahel contre le terrorisme, avec l’appui de la communauté internationale, qu’elle invite à s’investir plus encore dans cette région.

Dans ce contexte, la France salue l’engagement constant du royaume sur le continent africain, sous l’impulsion de Sa Majesté le Roi, aussi bien dans les domaines de la paix et de la sécurité, du développement économique et social ainsi que la lutte contre le réchauffement climatique. Cette solidarité avec le reste de l’Afrique, au cœur de l’action du Ministère des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, avec lequel je mène aujourd’hui ces consultations, s’est une nouvelle fois concrétisée par l’aide médicale apportée à plusieurs pays d’Afrique dans le cadre de la lutte contre la pandémie.

MD : La politique arabe de la France : comment voyez-vous les rapprochements de certains pays arabes avec Israël ?

C.F :La France s’est félicitée, dès leur annonce, de la normalisation des relations entre Israël et les Émirats arabes unis d’une part, et le Royaume du Bahreïn d’autre part.

La France soutient toute initiative qui contribue à la paix, la sécurité et la stabilité régionales. Ce que nous souhaitons, c’est que le mouvement engagé permette de créer une dynamique positive et de progresser vers la résolution du conflit israélo-palestinien.

Cela suppose de rétablir la confiance entre les parties pour permettre une reprise des discussions. Pour cela, des gestes sont nécessaires : la suspension de l’annexion, qui est une étape positive, doit devenir une mesure définitive. La perspective d’une solution à deux États dans le cadre du droit international et des paramètres agréés doit également être réaffirmée. Il s’agit là de la seule voie permettant de garantir une paix juste et durable dans la région. La nouvelle donne régionale doit nous permettre d’y parvenir.

À cet égard, la France et le Maroc partagent le même attachement à une paix juste et durable dans la région et à une résolution du conflit israélo-palestinien fondé sur la solution des deux États.

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