Industrie : MHE tente un passage au forceps

Par Zakaria Lahrach

La nouvelle stratégie industrielle prônée par Moulay Hafid Elalamy prend de la vitesse et donne ses premiers résultats, quitte à bousculer un peu de monde au passage et faire appel à certains vieux amis. Après deux décennies de tâtonnement industriel, cette fois-ci serait-elle la bonne ?

La stratégie d’industrialisation par substitution aux importations (ISI), prônée récemment par le ministère de l’Industrie, semble commencer à porter ses fruits. Dans une cérémonie de signatures tenue ce matin même à Rabat, Moulay Hafid Elalamy a tenu à mettre en avant les premiers projets à l’avoir suivi dans ce créneau. Au total, 13 conventions d’investissement et 4 mémorandums d’entente, d’un montant global de 857 millions de dirhams, ont été signés dans les secteurs de l’industrie agroalimentaire, le textile et l’habillement, la plasturgie et l’emballage ainsi que le câblage électrique. Ces projets permettront la création de plus de 3.000 emplois et générer 1,3 milliard de dirhams de chiffre d’affaires additionnel à horizon 2023.

Et ce n’est que le début, insiste MHE. Après avoir présenté sa stratégie, le ministre assure avoir reçu 413 propositions, dont 143 projets ont été retenus et accompagnés par son département. Ce qui représente déjà une substitution de 10,2 milliards de dirhams sur les 34 milliards fixés dans le cadre de l’ISI.

Les erreurs du passé

Un petit rappel s’impose ici. Dès le début des années 2000, le Maroc entrait de plain-pied dans la mondialisation et commence à s’intéresser aux métiers mondiaux dans une optique clairement orientée export. C’est dans ce contexte que le Plan émergence voit le jour en 2005 et ses objectifs sont très clairs : repositionner le tissu industriel national sur ces fameux métiers mondiaux du Maroc (MMM) qui devront représenter 70% de la croissance industrielle. Si l’artisanat et les métiers traditionnels sont inclus dans ces MMM, c’est surtout aux capitaux étrangers (IDE) que le Royaume fait réellement du gringue à l’heure où plusieurs secteurs industriels sont désertés par le capital marocain, tout occupé qu’il est par la nouvelle niche de l’immobilier qui lui offre des marges insolentes. D’ailleurs, c’est cet élan exportateur qui sera derrière la signature des différents ALE qui posent problème aujourd’hui alors qu’ils étaient demandés par les professionnels marocains. Neuf ans plus tard, après une deuxième mouture, le Plan émergence à montrer ses limites de l’aveu même de Moulay Hafid Elelamy qui reconnaît qu’il a abouti à une segmentation forte du tissu industriel marocain.

Au lieu de se reprendre en main, le département de l’Industrie continue sur la même lancée en décidant cette fois-ci de ne pas refaire les erreurs du passé et de ne pas être qu’un terreau de main-d’œuvre industrielle bon marché et de sous-traitance précaire. C’est ainsi qu’est lancé le Plan d’accélération industrielle (PAI) et les fameux écosystèmes, notamment automobile et aéronautique. Un ambitieux chiffre en termes de création d’emploi est avancé, ce qui nous vaudra d’ailleurs plusieurs joutes entre le ministre de l’Industrie et son collègue du HCP, ainsi qu’un non moins ambitieux chiffre de taux d’intégration afin de faire profiter l’économie nationale de la valeur ajoutée produite sur son sol.

Le HCP à la rescousse

Aujourd’hui, six ans sont passés depuis le lancement du PAI et les chiffres promis ne sont pas encore atteints ou difficilement après quelques entorses à la méthodologie de calcul. Crise de Covid (et vague de relocalisation) oblige, le Maroc se voit contraint de revoir ses cartes et de trouver un nouveau positionnement industriel. Le ministre de l’Industrie s’inspirera alors fortement d’une étude de ce même HCP dont il contestait les chiffres, elle-même inspirée d’une étude de Harvard qui s’intéresse à la notion de l’espace-produit dans le cadre de l’approche de l’économie complexe. Pour faire simple, chaque produit disponible sur le marché mondial a nécessité un certain nombre de savoirs, de connaissances technologiques et de dispositions de l’environnement social et institutionnel pour être fabriqué. C’est ce qu’on appelle les capabilités. Du niveau de complexité de ces capabilités dépendra le niveau de complexité d’une économie donnée.

C’est à l’aune de ces conclusions que le HCP a analysé l’offre exportable du Maroc ainsi que le potentiel de diversification que recèlent les différentes branches d’activité de son économie. Le département Lahlimi a alors identifié un lot de 593 produits qui ne sont pas exportés de manière significative par le Maroc, mais qui pourraient, si on parvenait à développer les capabilités requises pour les produire, apporter de grands avantages à l’économie nationale. Un peu plus de deux ans après ce travail du HCP, MHE s’empare de l’étude et établit des fiches pour 100 produits à fabriquer localement afin de les substituer aux importations. Le but étant d’arriver à se passer de 34 milliards de dirhams d’importations grâce à la production locale. Commence alors une véritable campagne de marketing et de communication auprès des hommes d’affaires, notamment à la CGEM où le ministre de l’Industrie présente ses fiches et annonce avoir prémâché le travail à l’organisation patronale.

Du neuf avec du vieux

Il faut dire que les équipes de Moulay Hafid Elalamy ont mis les bouchées doubles ces derniers temps pour atteindre les objectifs fixés. Et quand on connaît l’obsession de notre ministre pour ces jalons quantitatifs, on comprend mieux que les résultats soient au rendez-vous, quitte à bousculer un peu tout le monde. En effet, c’est dans une « war room » dédiée, comme se plaît à le rappeler MHE, et sous pression que les équipes du département de l’Industrie planchent sur les différents produits à mettre en avant et sur l’accompagnement des porteurs de projets. Pourtant, ces derniers ne bousculent pas au portillon ce qui poussera le ministre à faire jouer son carnet de contacts afin de donner l’exemple. C’est ainsi que des El Eulj, Loultiti et autre Bensalah, grands noms de l’industrie qui n’ont pourtant plus rien à prouver, ont fait le déplacement aujourd’hui pour signer, sous le feu des projecteurs, les premières conventions.

Comme à son habitude, le ministre de l’Industrie réussit ici un coup de maitre en récupérant et orchestrant une nouvelle stratégie industrielle. De là à ce que les résultats soient au rendez-vous et que le Maroc s’inscrive réellement dans une approche d’industrialisation par substitution efficace, il y a plusieurs pas qui ne pourront être franchis sans un changement profond du climat des affaires et de la mentalité du vieux patronat marocain.

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