L’électeur, le grand absent de la table des négociations

 Par Mohammed Taleb 

Cela fait plus de trois mois que les Marocains assistent à des allers-retours entre les partis politiques en vue de mettre sur pied un gouvernement. Sur le fond des négociations entre le vainqueur et ses suiveurs, excepté son second (le PAM) qui a franchement choisi l’opposition, l’électeur est quasi-absent pour ne pas dire qu’il constitue le dernier des soucis des négociateurs.

Abdelilah Benkirane vient de déclarer la fin des négociations. Pour lui, il n’y a plus lieu de négocier avec le bloc constitué, ce week-end, par le RNI, l’UC, le MP et l’USFP, car il se dit qu’il est le chef du parti vainqueur qui a été désigné par le Roi et que les partis doivent s’adresser à lui lors des tractations et non à Aziz Akhannouch. Celui-ci affirme, quant à lui, que son parti est un parti de « position » et qu’il ne peut laisser tomber ses alliés. Les choses sont ce qu’elles sont et elles seront ce qu’elles seront, mais des questions demeurent légitimes : où est l’électeur dans toute cette polémique ? Quels sont les points de discorde entre les partis ? Et quelle place donne-t-on aux électeurs sur la table des négociations ?

On aurait aimé entendre un leader politique dire : « nous sommes contre la poursuite du démantèlement des subventions de la caisse de compensation, car les Marocains ne peuvent pas supporter plus de pression sur leur pouvoir d’achat ». Ou encore un autre qui s’attache à une révision de la réforme des retraites ou n’importe quels autres enjeux pour les électeurs. Mais rien de tout cela. Les « tractations  » entre les partis qui, dans un autre monde, devraient refléter le programme de chacune des formations en négociations et ses ambitions pour les Marocains, tournent essentiellement sur l’identité des partis et des personnes et non pas sur leurs programmes. Pis, alors que les tractations  donnaient l’air d’une discussion de salon où chacun restait sur son quant-à-soi et faisait en sorte de ne pas incommoder les autres, elles  ce sont transformées en une guerre de déclarations et de communiqués acerbes. Chose qui, faut-il le rappeler, ne reflète guère les traditions marocaines.

Loin de ce qui se passe et qui donne l’impression que nous sommes face à une guerre « égocentriste » d’intérêts partisans (portefeuilles), essayons d’appréhender la scène à l’image des expériences semblables dans une certaine mesure à la nôtre. Le cas de figure devant lequel nous sommes, ressemble à celui de l’Allemagne, en 2013, un pays qui a le même mode de scrutin (scrutin proportionnel avec un seuil (5%) pour l’entrée à l’Assemblée nationale (Bundestag)). Au lendemain de sa large victoire aux élections de septembre 2013, le parti de la chancelière Angela Merkel (le bloc chrétien-démocrate CDU-CSU), qui ne manquait que de cinq sièges pour avoir la majorité absolue (41,5% des voix et 311 élus au Bundestag), s’est lancé à la recherche de partenaires de coalition.

 A cette époque, privée de ses alliés traditionnels libéraux du FDP (évincés du Parlement faute de seuil de 5%), Angela Merkel n’est pas allée chercher le complément chez le parti de gauche Die Linke (64 élus) ou chez les Verts (63 élus), mais chez le troisième autre parti représenté au Bundestag, à savoir le SPD (192 élus) (arrivé deuxième). Le but pour la chancelière n’était pas d’affaiblir son rival politique (SPD) plutôt que d’offrir à son pays une majorité confortable avec ce qu’elle suppose comme preuve d’unité et de stabilité politique et économique. Chose qui est vite tombée, faut-il le noter, des calculs du PJD après que l’Istiqlal s’est trouvé hors cours. Désormais, il veut un gouvernement restreint à l’ancienne majorité. Loin de cela, la mission de la « Margaret Thatcher allemande » n’a pas été facile, car les sociaux-démocrates voulaient monnayer chèrement leur participation contre, certes, d’importants portefeuilles ministériels, mais surtout des concessions au profit de leurs électeurs, en l’occurrence,  sur le salaire minimum. Car, ils n’ont pas perdu de vue leur cheval de bataille lors de la campagne et ils ont tenu à ne pas faire fi à leurs promesses électorales. Ce qu’ils ont eu in fine.

Voilà une leçon venant d’une démocratie, pas aussi vieille que les autres démocraties européennes, pour nos politiques qui continuent de se chamailler pour autres considérations que les intérêts de leurs électeurs et de leur Mère-Patrie.

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