Les Etats-Unis de Biden et de Kamala Harris nourrissent-ils une autre vision du Sahara marocain ?

Par Hassan Alaoui

Au lendemain de l’annonce de la victoire électorale de Joseph Biden le 3 novembre 2020, une question pertinente et non des moindres est tout de suite venue tarauder les esprits des observateurs de la scène maghrébine : le nouveau président des Etats-Unis annulera-t-il la décision prise par son prédécesseur, Donald Trump, de reconnaître la souveraineté du Maroc sur son Sahara? Le champ reste nourri des rumeurs et des spéculations…

Aussi simple voire prosaïque, la question serait-elle à l’ordre du jour du calendrier prioritaire de Biden et Kamara ? D’aucuns s’étaient posé la question, et parmi eux une partie qui a jubilé même de l’hypothèse d’une révision de la position américaine sur le Sahara. D’autres, faisant montre de mesure, ont invoqué la raison voire la prudence quant à la difficulté du processus de retour à la case départ pour dire que rien n’est moins faisable et donc sûr dans l’immédiat que ce retour de manivelle.

Les derniers enfin, pêchant par un sentiment de pragmatisme, assurent que, quand bien même Joe Biden, voudrait retourner la roue, il s’opposerait à des difficultés de tous ordres. Et d’abord au temps, je veux dire la longueur et la lenteur de celui-ci. Une procédure de ce type n’est apparemment pas – sauf force majeure engageant la haute politique de l’Etat – prioritaire. L’Amérique est confrontée aujourd’hui à une série de problèmes majeurs, dont on ne citera que la lutte contre la pandémie de la Covid-19 qui ravage le pays, la réconciliation nationale à laquelle le nouveau président s’attache avec force, la stabilité institutionnelle suite aux violences et coups portés par les partisans de Donald Trump contre la démocratie un certain 6 janvier au Capitole, la normalisation avec le reste du monde, la Chine, etc…

En principe, Joe Biden, comme l’on dit, a d’autres « chats à fouetter » que de se pencher sur le retour d’une décision que son prédécesseur a prise souverainement, fût-elle si importante pour les pays de la région du Maghreb. Lors de sa visite au Maroc dans le cadre du Sommet de la COP 22, réuni en 2018 à Marrakech, Joe Biden s’était réjoui de la profondeur historique des relations exemplaires entre le Royaume du Maroc et les Etats-Unis d’Amérique. Il a mis en exergue leur poids, affirmant que « le Maroc a été le tout premier à reconnaître la jeune République dès 1777 », devenu par la suite, notamment lors des deux Guerres mondiales l’Allié incontestable. Dans ces conditions, la question lancinante depuis quelques semaines de savoir s’il va revenir sur la décision de son prédécesseur à la Maison Blanche ne sera pas a priori si grave au point de l’empêcher de dormir.

Le contexte maghrébin est, de toute évidence, si complexe de nos jours qu’il impose prudence et circonspection. Le Royaume du Maroc est à présent, hormis la Tunisie et la Mauritanie, le seul pays stable et sûr. Et, si l’on peut dire, « utile » pour les intérêts de la région, de l’Afrique voire des Etats-Unis « alliés » stratégiques. Ce n’est pas jeter l’opprobre sur nos voisins de l’est que de dire en l’occurrence, qu’ils sont dans une posture peu réjouissante après le basculement des rapports de force des dernières années. Le pétrole qui constituait la puissance assurée de l’Algérie ne représente plus rien sur le marché, les réserves en devises réduites, de ce fait, à l’état de plastron cachant mal la terrible hémorragie. Il est dit ici et là que les réserves de la banque centrale algérienne atteignaient il y a un an le montant insolent de plus de 200 Milliards de dollars, enfumés depuis, évaporés des caisses de l’Etat…Et que celles du Maroc – évidemment moins significatives – les dépassent aujourd’hui…La consommation du pétrole par personne ne cesse d’augmenter alors que les ressources ont tendance à cruellement s’amenuiser et que d’ici cinq ans, si l’on en croit les prévisionnistes , l’Algérie n’exportera plus de pétrole…

Est-ce à dire que les Etats-Unis qui n’ont jamais tablé sur l’Algérie, perçue depuis toujours comme l’allié de l’Union soviétique et de la Russie, n’ont aucune raison de changer de cap, encore moins d’en faire l’allié stratégique dans la région. Dans la décision à double détente prise par Donald Trump en décembre dernier, reconnaître le Sahara et faciliter la normalisation entre le Maroc et Israël, il est un premier gain essentiel qui est à la politique des Etats-Unis ce que le credo stratégique est à leur intime et historique conviction : donner à Israël les raisons de vivre, d’exister et d’être reconnu. Il est au principe de la politique américaine et de toute administration, fût-elle démocrate ou républicaine. Or, sur ce plan précis, les efforts que le Maroc a déployés et déploie relèvent d’un irréversible principe : contribuer à la paix au Moyen Orient, défendant également les droits du peuple palestinien, interagissant avec les bonnes volontés en Israël même, parvenir à l’établissement de deux Etats qui cohabitent.

On citera celui qui a joué un rôle fondamental ces dernières années en faveur de la paix, ancien ambassadeur d’Israël à Paris et aux Nations unies, natif de Bejâad, décoré en 2008 par le Roi Mohammed VI et qui n’est autre que Yehuda Lancry :  «  Ma joie, dit-il,  ne sera complète que lorsqu’une solution pour une paix durable sera trouvée, pour qu’une cohabitation en toute quiétude entre Palestiniens et Israéliens soit possible, insiste le diplomate. Et cela passera par le Maroc qui va désormais pouvoir agir de l’intérieur, et actionner des leviers en faveur de la paix. Avec ce rapprochement facilité par les États-Unis, les Américains ajoutent de la paix à la paix… car ils savent que le Maroc a des connaissances séculaires inouïes en matière de savoir-faire relationnel entre juifs et musulmans »

Tout président américain qui voudra changer une telle donne, on l’a compris depuis des lustres, aura du fil à retordre face à la puissante communauté juive des Etats-Unis. Ce que l’on appelle à tort ou à raison le « lobby juif », crédité d’un pouvoir souverain.  Joe Biden connaît ainsi les ressorts d’une dimension aussi implacable, il appartient à l’Etat profond d’une Amérique si enracinée dans la culture du pragmatisme pour ne pas dire de la Realpolitik. Joe Biden connait pour ainsi dire les rouages de son pays. Il reste que dans l’affaire du Sahara marocain qui occupe les esprits chagrins du pouvoir algérien, de ses médias et leurs partisans, rient n’est moins sûr que cette propension, élevée vulgairement au rang d’une hypothèse quasi automatique, à penser à la place du président américain élu, à jouer aux hypothécaires – antimarocains, cela va de soi -, à nous tourner à l’amphigouri…

A priori, Joe Biden, élu en qualité de réconciliateur de la nation américaine, n’a pas inscrit la question de la reconnaissance du Sahara marocain comme priorité urgentissime sur son agenda. Si tant est que l’on puisse imaginer qu’il le fera, nous en aurons l’avant-goût sans doute à la fin du mois d’avril prochain, lorsque le Conseil de sécurité des Nations unies s’emparera, comme à son habitude, du dossier. Autrement, il faudra attendre le 31 octobre prochain et les travaux de l’Assemblée générale de l’ONU. Moyennant quoi, de l’eau coulera dans le long fleuve…

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