Malgré le soutien de l’Egypte et des Émirats, Haftar n’a pas réussi à prendre Tripoli

Par notre correspondant Olivier Stevens

Le maréchal Haftar n’a pas réussi à prendre Tripoli et cela, en dépit de ses annonces de victoire et des aides massives reçues de l’Egypte et des Emirats arabes unis. Ces dernières semaines, il a également subi de sérieux revers militaires en perdant la position stratégique de Gharyan et la base aérienne de Watiya en Tripolitaine.

Il y a quatre raisons à ces échecs :
1) Le maréchal Haftar ne dispose pas d’infanterie, ses seuls véritables combattants au sol étant des mercenaires, essentiellement soudanais, appuyés par des contractants russes de faible valeur militaire. Ces derniers viennent de se replier du front de Tripoli après avoir subi des pertes sérieuses face aux forces spéciales turques.
2) Les milices de Zintan dont il espérait le soutien se sont ralliées aux turco-tripolitains.
3) L’intervention militaire de la Turquie a renversé le rapport de forces au profit du GNA (Gouvernement d’Union Nationale) de Tripoli.
4) La Russie qui n’a jamais engagé son armée considère qu’il n’est plus l’homme de la situation.

Quatre questions se posent donc :
– Quelle est la ligne rouge tracée à la Turquie par la Russie ?
– Qui pour succéder au maréchal Haftar à Benghazi ?
– Quelle solution politique est-elle possible ?
– Quelles conséquences pour le président Déby dont les opposants sont installés au Fezzan ?

1) Où se situe la ligne rouge tracée par la Russie ?

Après avoir soutenu le maréchal Haftar, Moscou a compris qu’il était incapable de prendre le pouvoir à Tripoli. Les Russes savent également que le maréchal est détesté en Tripolitaine où ceux qui ont renversé le régime du colonel Kadhafi le considèrent, à tort ou à raison, comme son successeur. Voilà pourquoi ils semblent l’avoir lâché, mais tout en fixant une ligne rouge à la Turquie. Où passe-t-elle? Là est toute la question.
Pour Moscou, la priorité est de figer la situation sur le terrain, dans l’attente de trouver un successeur au maréchal Haftar, ce qui implique une évolution des positions de l’Egypte, et surtout des Emirats arabes unis qui soutiennent encore ce dernier. Militairement, et d’après ce qu’il est possible de savoir, Moscou aurait décidé de sanctuariser le front à l’ouest de Syrte.
Dans ce contexte, l’annonce américaine d’envoi d’avions russes ultra-modernes au général Haftar relève de la désinformation car, dans l’état actuel de ce que nous savons, ces aéronefs « modernes » sont en réalité au nombre de quatre appareils de seconde main qui, dans tous les cas ne changeront pas le rapport des forces sur le terrain.

2) Qui pour succéder au maréchal Haftar ?

Plusieurs noms sont avancés. Parmi eux, les « impétrants » les plus sérieux semblent être :
– Le général Abderrazak Nadhouri, l’actuel chef d’état-major, mais dont l’étoile a pâli depuis les défaites subies en Tripolitaine face aux forces turco-misraties.
– Le général Ahmed Aoun, de la tribu des Ferjan de la région de Syrte. Si cet ancien général de Mouammar Kadhafi, populaire dans l’armée du maréchal Haftar, est naturellement en mesure de rallier les kadhafistes de Tripolitaine, qu’en serait-il en revanche avec ceux qui ont renversé l’ancien régime, notamment les puissants zintani ?
– Aguila Salah, le président de la Chambre des Représentants qui siège à Tobrouk serait le poulain de l’Egypte. L’homme s’oppose au maréchal Haftar depuis que, conscient de l’impasse militaire dans laquelle s’était engouffré ce dernier, il avait proposé un plan de sortie de crise autour de la reformation d’un conseil présidentiel tripartite à base régionale (Tripolitaine, Cyrénaïque et Fezzan).

3) Les solutions politiques

La question s’expose simplement :
– La Turquie étant militairement engagée aux côtés du GNA, le général Haftar ne prendra pas Tripoli.
– La Russie sanctuarisant la Cyrénaïque, le GNA ne s’imposera pas à Benghazi.
Conclusion : la négociation peut donc reprendre. Mais sur des bases différentes de celles, irréalistes car uniquement électorales, de la « communauté internationale ». Ainsi :
1) Lors de la conférence de Berlin au mois de janvier dernier, le partage du pouvoir avait quasiment été acté, le commandement de l’armée revenant à la Cyrénaïque et la présidence à la Tripolitaine. Cependant, les négociations avaient buté sur la place à accorder au général Haftar qui, poussé par les Emirati, avait adopté une position maximaliste, ce qui avait déplu à la Russie.
2) Fayez el Sarraj, le chef du GNA (Gouvernement d’union nationale) installé à Tripoli pourrait démissionner. Qui le remplacerait alors ? Le Misrati Fahti Bachaga faisant l’unanimité de tous ceux qui redoutent la domination de la cité-Etat de Misrata sur la Tripolitaine, une option plus consensuelle serait celle du Zentani Oussama Jouli. D’autant plus que ce dernier a rallié à sa personne la fraction des Zintani jusque-là alliée au général Haftar, ce qui a permis aux forces turco-GNA de reprendre la base aérienne de Watiya le 12 mai dernier. Il est important de noter que, lors de la guerre contre le colonel Kadhafi, les forces spéciales françaises avaient appuyé les troupes d’Oussama Jouli.
L’on s’acheminerait ainsi, en quelque sorte, vers un large fédéralisme. Resterait à régler la question du partage des hydrocarbures, ce qui, compte tenu des positions géographiques des gisements permettrait de trouver facilement un équilibre territorial.

4) Les conséquences pour le Tchad

Les forces Misrata-GNA-Turquie ayant actuellement l’avantage, les tribus du Fezzan vont donc probablement se rallier à elles. Si tel était le cas, les conséquences régionales seraient alors importantes car la Turquie qui soutient déjà les groupes armés terroristes dans la BSS, serait donc directement au contact de la zone, contraignant ainsi Barkane à se repositionner à Madama.
En réalité, le général Haftar n’a jamais véritablement contrôlé le Fezzan, ses seuls appuis à peu près fiables y étant certaines tribus arabes dont les chefs sont achetés. Pour le reste, les Toubou qui détestent les Arabes se vendent au plus offrant, quant aux Touareg, ils penchent du côté de Tripoli.
Or, ce Fezzan où les tribus définissent leurs alliances en fonction des rapports de force à Tripoli et à Benghazi, est la base arrière des opposants au président Déby. Pour mémoire, en 2019, leur dernière offensive qui était en passe d’arriver jusqu’à N’Djamena n’a été bloquée que par l’intervention de l’aviation française.

Parmi ces opposants, celui qui paraît être actuellement le plus dangereux militairement pour le président Déby est le Toubou-Gorane Mahamat Mahdi Ali qui est à la tête du FACT (Front pour l’alternance et la concorde au Tchad). Ce dernier qui prétend disposer de 4000 combattants, sait qu’il peut compter sur le réservoir ethnique s’étendant sur les régions du Borkou, de l’Ennedi et du Kanem. Pour le moment, ses forces sont stationnées dans le centre de la Libye, à une soixantaine de kilomètres de Jufra, dans la région du jebel Sawad (Source : Fezzan Consultation). L’effondrement du général Haftar ouvrirait donc à Mahamat Mahdi Ali, une « fenêtre de tir » qu’il ne manquerait pas d’exploiter.

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