Miloud Chaâbi ou la pionnière exception

Par Abdessamad Mouhieddine

Rarement homme aura forcé le destin et encore plus rare­ment Marocain aura bravé son mektoub comme l’a fait feu Miloud Chaâbi !

Chronique d’un jeune berger, membre d’une nombreuse fratrie et fils de pauvre, parti de son douar sans instruction, sans le sou, pour finir aux premières loges du capitalisme natio­nal comme de la philanthropie tous azimuts.

J’ai été présenté à feu Miloud Chaâ­bi, à Paris, par notre ami commun Has­san Abouyoub, alors ambassadeur du Royaume en France. Il me donna aus­sitôt rendez-vous à l’Hôtel Interconti­nental et, ce jour-là, je sus que j’étais en face d’un personnage majuscule. Durant une heure et demie, il déve­loppa sa conception de l’économie, de la politique, du monde et du…Maroc. Lorsque je commandai du vin pour ma seule envie, il me confia, comme pour me rassurer : « Moi, mon fils, je suis libéral. Je n’ai pas proscrit l’alcool dans mes hôtels (Mogador, NDLR) par dogmatisme religieux. D’ailleurs beaucoup de mes amis et partenaires marocains et étrangers consomment l’alcool en ma présence, mais, dans mes hôtels, je ne veux rien devoir à l’administration, surtout pas aux RG ! » A propos de son engagement politique qu’il concevait davantage comme une nécessité avant d’en faire une vertu, il me confia : « En vérité, la politique ne m’a jamais motivé. Mais, ma conception du bien public ne cesse de tarauder ma conscience depuis mon jeune âge. Après avoir longtemps aidé financièrement des hommes po­litiques que j’estimais animés par un véritable patriotisme et un sens élevé du bien commun, j’ai fini par des­cendre moi-même ainsi que deux de mes enfants dans l’arène partisane. D’autant que feu Hassan II avait, ex­pressément, incité les Marocains à se présenter sous la couleur d’un parti. Je suis un « Aroubi » (blédard) venu d’un douar perdu de Chaâba, d’une famille nombreuse et pauvre. J’ai prouvé que tout est possible quand on y engage les efforts nécessaires. L’engagement m’est donc aussi né­cessaire que l’eau et l’air ! »

Nous étions en 2003.

C’est dire le souci d’indépendance qui a toujours animé l’homme. Beau­coup de tolérance, donc. Mais que d’audace chez l’ancien berger auto­didacte qui a osé naguère défier le duo Hassan II/Driss Basri et qui a récidivé en 2007/2008 lorsqu’il claqua la porte de la Fédération nationale des promo­teurs immobiliers (FNPI) dont il était le président, non sans avoir exprimé sa colère à l’encontre du groupe immo­bilier Addoha et son Anas Séfrioui de président. Il ira même jusqu’à inviter publiquement le Roi à se soustraire des affaires ! Crime de lèse-majesté ? Miloud Chaâbi opposant ? Que nenni ! Ce « monarchiste jusqu’à la dernière goutte de sang », comme il se plaisait à se définir, exécrait les passe-droits et se prévalait de sérieux arguments dont celui de l’absurdité d’octroyer des ter­rains à des prix dérisoires et dans des conditions pour le moins douteuses à des affidés, tandis que lui, Haj Miloud, construisait ses lotissements sur des terrains qu’il a dûment payés au prix du marché !

Quel sacré caractère que celui d’un homme qui a construit son imposant groupe sans avoir jamais plié son échine par-devant les pouvoirs des pays où il a bâti des filiales indus­trieuses et dynamiques ! « Je n’ai au­cune ambition politique, parce que je considère que la politique n’est qu’un moyen destiné à améliorer le sort de mes compatriotes et certainement pas celui de s’enrichir indûment. Je suis un monarchiste viscéral et j’aime ce peuple dont je suis issu ; celui des gens de peu et des déshérités », me confia-t-il un jour.

C’est peut-être au nom de cette profession de foi qu’il fut bel et bien du rendez-vous du 20 février où il osa défiler, au premier rang aux côtés des jeunes !

Plus tard, quelques se­maines avant son décès, je lui rendis une dernière visite à l’Hôpital militaire de Rabat où il subit son opération de fémur brisé. J’y ai trouvé un faciès em­pli de grâce et de sérénité. La paix sortait de son re­gard où subsistait encore cette espèce de lumineuse acuité qui l’a accompagné durant son long parcours vers l’excellence.

Un parcours certes alambiqué à maints égards, mais ô combien dense et riche ! Feu Haj Miloud a connu des som­mités mondiales de la finance, de la politique, du business, de la diplomatie et même de la culture. Parmi les plus illustres, Américains, Orientaux, Afri­cains, Européens et autres Asiatiques ont défilé à la table de ce pionnier qu’un ancien ambassadeur américain a qualifié de « modèle valable même pour nombre de (mes) compatriotes qui ont épousé l’ « american dream ». Mais l’homme était par-dessus tout profondément fier de son pays et vis­céralement attaché à une monarchie qu’il voulait authentiquement consti­tutionnelle.

D’aucuns continuent à s’aventurer pourtant dans des delirium pour le moins malsains quant à l’origine de la fortune du défunt grand homme. Aux balivernes diffamatoires ont longtemps succédé des fables abra­cadabrantesques sur l’origine préten­dument « douteuse » des capitaux investis par Haj Miloud au Maroc. «Ecoute-moi bien mon fils ! Nous vi­vons dans un pays où la richesse est certes passionnément recherchée par tous, mais tout aussi passionnément détestée quand elle est détenue par l’autre. Telle est la « sunna d’Allah parmi sa créature ». Si seulement les gens pouvaient comprendre ce que j’ai dû baver durant plusieurs années à l’étranger pour construire la fortune que j’ai scrupuleusement rapatriée dans mon pays pour créer des milliers d’emplois ! Mais, je n’ai pas à me jus­tifier ! Je sais seulement que mes enne­mis jurés sont pour beaucoup dans la propagation de ce genre de bobards à mon encontre », m’avait-il confié en 2008, au lendemain de son clash avec l’organisation patronale (CGEM).

En vérité, feu Haj Miloud Chaâbi fut l’exception même. Combien d’em­plois a-t-il donc créés, permettant à ces mêmes emplois de faire vivre des dizaines de milliers de Marocains ? Combien de bénéficiaires des actions engagées par sa fondation ont pu ac­céder aux savoirs, à la formation ou encore aux soins médicaux ? N’est-ce pas là le modèle même du patriote authentique ?

 Bio-express

Petit berger, Miloud Chaâbi a vu mourir de faim l’un de ses petits frères et marier sa soeur à un cousin pour 16 brebis dont il avait la charge, avant de fuir sa tribu de Chaâba sur les hauteurs d’Essaouira, parce qu’un loup avait mangé une de ses brebis. Miloud Chaâbi vagabonde pendant plusieurs années, pendant lesquelles il enchaîne les petits métiers, avant de parvenir à Kénitra, où il devient ouvrier maçon.

C’est en 1948, à peine âgé de 18 ans, qu’il crée sa première entreprise de construction. Il est le fondateur et le patron d’Ynna Holding et est de­venu un incontournable du capitalisme marocain.

Il était affilié au Parti du Progrès et du Socia­lisme (sans jamais épouser l’idée du communisme) avec lequel, il a été élu député de la ville d’Essaoui­ra aux élections parlementaires de 2007 au Maroc.

Sa fortune est estimée par Forbes à environ 2,3 milliards de dollars, en 2013, faisant de lui la deu­xième plus grosse fortune au Maroc, après Oth­man Benjelloun (PDG de finance.com et BMCE Bank avec une fortune de 3,1 milliards de dollars) et devant Anas Sefrioui (PDG du groupe Addo­ha avec une fortune de 1,6 milliards de dollars).

Il meurt d’une crise cardiaque le 16 avril 2016, à l’âge de 86 ans. (wikipedia).

 

 YNNA… et ses soeurs

philanthropiques

A sa mort, l’homme a laissé derrière lui l’un des cinq plus grands groupes dont s’enorgueillit le Maroc et qui campe l’Industrie, le BTP, l’Immobilier, l’Agroalimentaire ou encore la Grande distribution. Un groupe qui compte pas moins d’une douzaine de filiales réparties sur les secteurs d’activités suivants : Adduction d’eau potable, Assainissement et Agriculture (Fibroci­ment) ; Agroalimentaire (Aïn Soltane) ; Câblages té­léphoniques et électriques (Afrique Câbles, Electra) ; Céramique (Super Cérame) ; Charpente métallique et chaudronnerie (SN, Sametal) ; Ciment (YNNA Asment) ; Energies renouvelables : (Ynna Bio Power) ; Génie civil et Travaux publics (Travaux Maroc) ; Grande distribution (Aswak Assalam) ; Hydrau­lique, Agriculture et Bâtiment (Dimatit) ; Industrie Ferroviaire (SCIF) ; Papier et Carton (GPC) ; Pé­trochimie (SNEP) ; Promotion immobilière (Chaa­bi Lil Iskane) ; Sidérurgie et Construction métal­lique (Ynna Steel) ; Tourisme (Ryad Mogador)…et j’en passe.

Très tôt, Miloud Chaâbi a lié son destin entre­preneurial à sa vocation philanthropique. Sa piété, conçue comme indissociable du soutien de son prochain, ne pouvait se limiter aux seuls rituels religieux.

Il a créé, dès 1965, la fondation qui porte son nom et qui campe des champs nombreux allant de l’éducation à la santé en passant par la lutte contre la grande pauvreté. Cultivant la solidarité tous azimuts, la Fondation Chaâbi compte déjà à son actif moult institutions mises au service des savoirs pour tous (Cité Universitaire, Institut supérieur de technologie, Indiana States University of Morocco, Dar Attalib, Dar Attaliba…etc.)

La Fondation soutient les personnes atteintes de maladies chroniques ou graves (diabète, cancer, pathologies rénales…etc.) et héberge les étudiants pauvres.

 

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page