Parution : un roman historique signé par Mouna Hachim

Voilà un roman historique qui, bien que rigoureusement documenté, n’en est pas moins un écrit où l’on ressent la fluidité du style et la poésie des mots. Mouna Hachim nous propose, dans cet ouvrage, de suivre les pas de Mohamed Ben Toumert, figure aussi charismatique que redoutable de la secte almohade. Un récit palpitant à dimension politique, à portée spirituelle et profondément humain.

À propos du livre

L’empire des Almoravides voilés, qui couvrait les deux rives du détroit de Gibraltar avec Marrakech pour capitale, vacillait dans la première moitié du XIIe siècle sous le coup de la secte almohade dirigée par un prédicateur fanatisé et non moins redoutable penseur.

Son nom : Mohamed Ben Toumert.

Son titre : le Mahdi bien guidé, restaurateur de la foi au sommet de la montagne escarpée, véridique dans ses dires, unique en son temps.
C’est lui qu’annonce la conjonction des étoiles.
Lui, l’homme au dirham carré.
Lui qui fit résonner le tambour de la guerre…

Érudit et épique, ce roman historique fondé sur des événements et des personnages réels, suscite des interrogations contemporaines portant sur les ravages du dogmatisme en contextualisant le drame d’une foi défigurée par l’extrémisme.

Alors que certains personnages sont mus par la haine et la soif de pouvoir enrobée de considérations morales, d’autres tentent juste d’aimer et de survivre au milieu de la folie des hommes.

Dans cette fresque médiévale tantôt politique, intime ou spirituelle, dans ce tourbillon qui nous mène de Marrakech à Tinmel en passant par Zagora, les femmes, aussi présentes, jouent un rôle inattendu et bouleversant.

Quelques extraits

— Que signifie ce que l’on nous rapporte à votre sujet ?, dit le sultan à l’ascète.

Assis sur les talons, légèrement penché en avant, les doigts croisés sur les genoux, Ben Toumert prit son temps pour répondre, pas tant pour agencer ses propos que pour marquer les esprits et ménager son effet.

— Et que rapporte-t-on au juste ? Je suis un pauvre homme qui n’attend rien de ce bas monde et n’envisage rien d’autre que la vie éternelle. Je ne fais que recommander les bonnes actions et réprouver les mauvaises. Or vous êtes le premier à devoir ordonner le reconnu et défendre le méconnu. Il est de votre responsabilité de revivifier les principes de la loi immuable, de faire disparaître les innovations et les actions blâmables. Il vous en sera demandé compte le jour du Jugement dernier. Dieu, qu’Il soit exalté, condamne la conduite d’un peuple qui cesse de dénoncer les faits répréhensibles. Il a dit dans son Livre sacré : « Ils ne s’interdisaient pas mutuellement les fautes qu’ils commettaient ; combien étaient mauvaises leurs actions ! »

Ces paroles touchèrent comme autant de vérités le roi qui resta pensif un moment. Il se retourna ensuite vers ses docteurs de la loi qui emplissaient la salle, reconnaissables avec leurs couvre-chefs omniprésents.

— Mettez cet homme à l’épreuve et accueillons sa parole !, ordonna Ali. S’il est instruit de la Vérité, nous le suivrons ; dans le cas contraire, il sera chassé de céans.

La controverse pouvait commencer.

Pages 22 et 23

Depuis qu’il avait reçu l’ordre de quitter Marrakech, Ben Toumert s’était réfugié dans un cimetière hors de la ville. Outre la tranquillité recherchée, le spectacle de la mort devait renforcer, auprès des foules, les convictions sur les illusions d’une chimérique vie et lui ouvrir les apparences d’une voie de sagesse infinie.

Là, au milieu des tombeaux, il avait bâti une hutte où quelques curieux venaient le voir et entendre ses leçons, augmentant ses auditeurs en un temps impressionnant ; et, de là, le nombre de prosélytes disposés, en missionnaires dévoués, à propager sa parole, à lui jurer soumission absolue et à le soutenir, tel un bataillon sacré, les armes à la main. Dans un contexte d’inégalité foudroyante entre les élites et le petit peuple, de favoritisme tribal, de juridisme stérile, de voracité des gouverneurs des provinces et des fonctionnaires de cour, le terreau était assez fertile pour semer les germes de la révolte politique, enrobée de considérations morales.

Ben Toumert emprunta le portique de Ksar al-Hajar, centre du commandement abritant la Maison de la monnaie, la résidence royale et les demeures seigneuriales, alors que l’agglomération urbaine s’articulait un peu plus loin autour de la mosquée Ben Youssef.

On le fit attendre à dessein sous un soleil de plomb à son zénith, dans la cour au dallage blanc qui réverbère la lumière. Ce n’est que deux heures plus tard qu’il fut mandé de suivre deux gardes taciturnes armés de hallebardes.

Pages 34 et 35

La route empruntée était plus longue mais plus sûre, loin des sentiers escarpés aux dangereux lacets qui traversaient, pendant les premières étapes, les cols montagneux enneigés où siégeaient en maîtres les hommes du Mahdi. La caravane avait pris la direction du sud-ouest avant de bifurquer vers l’orient, marquant des haltes dans quelques relais et forteresses sous le contrôle des Almoravides où ses membres furent reçus à chaque étape avec les honneurs dus à leur rang.

Du haut de sa litière, bercée par la cadence du dromadaire, Mimouna voyait défiler, au gré des pérégrinations, de luxuriantes vallées ; des plateaux aux reliefs déchiquetés ; des étendues de champs de céréales ondoyant avec la légèreté aérienne du vent ; des plaines jalonnées de cactus, d’euphorbes et d’arbustes épineux qui se profilaient comme des êtres fabuleux ; des clairières tapissées de fleurs sauvages si lumineuses et gorgées de couleurs que l’on aurait dit semées par les mains d’un prodigieux jardinier… Mais elle voyait sans véritablement voir. Elle saisissait juste la complexité d’une réalité mouvante comme ces paysages contrastés ou ces ballets aériens de myriades d’oiseaux qui dessinaient dans le ciel de mystérieuses arabesques.

Page 109

Vers où la menait ce chemin tortueux, enserré sur plusieurs kilomètres entre des pentes raides, formé vers la fin, tel un escalier, de pièces de bois que l’on pouvait enlever pour couper l’accès à tout visiteur indésirable, reçu de plus pour blinder cet accès du sud-ouest, par une solide muraille flanquée de bastions ?

Situé au bord d’un précipice qui plongeait dans le vertige du vide et dans la terreur des insondables abîmes, le sentier était tellement étroit qu’on ne pouvait y passer à plus d’un cheval, tellement abrupt qu’il harassait une bête de somme, tellement terrifiant qu’en dira plus tard un fameux poète et vizir : « Même un djinn appréhenderait de s’y aventurer en plein rêve. »

Page 143

Mimouna jeta un regard par la fenêtre. Une muraille renforcée de tours carrées fermait la vallée. Mais là où il y avait la terreur, il y avait aussi la vie. Le soleil coulait à flots.

En quelconque lieu où la géographie le permettait, des hameaux étaient blottis au creux de vals verdoyants. Certaines maisons solitaires, en pisé couleur de terre, semblaient suspendues acrobatiquement aux aspérités des contreforts au-dessus de la vallée.

La moindre parcelle de terrain était plantée en terrasses, sur des pentes domestiquées, arrosée de rigoles et de canaux donnant à la campagne l’allure d’un paradisiaque verger. Et si ce n’était le tragique de sa situation, elle aurait assimilé ce lieu bucolique à un havre riant de sérénité avec ses cours d’eau, ses amandiers et ses oliviers entrecroisant leurs ombrages ; et toutes ces chèvres qui sautaient de rocher en rocher, défiant les lois de la pesanteur, en galopant et escaladant les flancs déchirés des coteaux. Vint l’heure de l’emmener devant Abdelmoumen.

Pages 150 et 151

 

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