Prévention, dépistage et financement : Tout ce qu’il faut savoir sur la lutte contre le sida avec Pr. Hakima Himmich 

Le 1er décembre est la journée mondiale de lutte contre le sida. On parle pourtant beaucoup moins de cette maladie ces derniers mois alors qu’elle est toujours là et frappe encore. En effet, en 2019, le Maroc a enregistré 850 nouvelles infections au VIH, dont 34% concernaient les 15-24 ans. Le ministère de la Santé estime que 21.500 personnes vivent avec le VIH, parmi lesquelles 6.000 ne connaissent pas encore leur statut sérologique. Le risque qui se pose actuellement est qu’il se développe et que la transmission du virus reparte à la hausse. Où en est la maladie au Maroc ? À l’ère covid, quels sont les enjeux auxquels nous sommes confrontés dans cette lutte contre le sida, notamment en matière de dépistage, prévention et financement ? Pour y répondre, MAROC DIPLOMATIQUE a contacté Pr. Hakima Himmich, membre de l’Association de lutte contre le Sida (ALCS) et Présidente de Coalition PLUS.

MAROC DIPLOMATIQUE : Lors d’un passage radio, il y a quelque temps, vous avez dit que « si le financement consacré à la lutte contre le sida n’augmente pas, il y aura un rebond et nous perdrons les bénéfices que nous avons acquis jusqu’à présent ». Où en est-on par rapport à la question du financement aujourd’hui ?

Hakima Himmich : Dans tous les pays d’Afrique et chez nous aussi, une grande partie de la lutte contre le sida est financée par les bailleurs de fonds internationaux et ces financements sont aujourd’hui menacés, parce qu’il y a une baisse globale du financement au niveau international et une réorientation vers la santé globale et probablement vers la covid-19, ce qui représente une réelle menace. En ce qui concerne le Maroc, certes le traitement est acheté par le ministère de la Santé, mais tout ce qui est prévention et une bonne partie du dépistage aussi sont financés par le fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Ces financements sont destinés au ministère de la Santé qui reverse une partie aux associations. Quant à l’ALCS, une grande partie de son budget provient de ce fonds mondial, d’autres bailleurs de fonds internationaux et de Coalition Plus. Sans ces financements, il y aura certainement un recul dans la lutte contre le sida.

MD : Ces budgets ont-ils été réduits avec l’arrivée de la Covid ?

H.H : Pas encore. Les montants des budgets en cours ont été fixés avant la pandémie.

MD : Quid de l’efficacité des moyens de prévention et l’accès aux préservatifs pour limiter la propagation du sida au Maroc ?

H.H : Les préservatifs sont en vente libre dans les pharmacies au Maroc, mais le problème c’est que ce n’est pas à la portée de toutes les bourses. C’est pour cela que justement le ministère de la Santé s’occupe de l’achat des préservatifs et les associations se chargent de leur distribution. Nous sommes présents dans 18 villes et nous les mettons à disposition du public et particulièrement les populations les plus vulnérables au VIH.

MD : Est-ce suffisant pour toucher tout le public qui pourrait être concerné ?

H.H : Pour répondre à cette question, il faudrait faire une enquête approfondie pour savoir quel est le public que nous ne touchons pas. Pour l’instant, ceux qui ont les moyens peuvent les acheter en pharmacie et ceux qui connaissent nos locaux et d’autres associations savent qu’ils peuvent s’en procurer.

MD : L’accès au dépistage est encore plus difficile pour certaines personnes, notamment parmi les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, les travailleuses-eurs du sexe, les personnes transgenres, ou encore les personnes qui s’injectent des drogues. Comment pallier ce genre de problèmes ayant une forte dimension socioculturelle ?

H.H : Ce qui est certain, c’est qu’un ou une jeune travailleuse-eur du sexe aurait du mal à se présenter à un dispensaire pour faire un test. Je vois mal une personne parmi ces populations mentionnées se présenter dans une structure de santé publique, elle n’oserait pas et elle va encourir le risque de ne pas être très bien accueillie. C’est pour cela que ce n’est pas les structures officielles qui s’en chargent, mais plutôt les associations et particulièrement l’ALCS, qui réalise 80% des actions de dépistage et de prévention auprès de ces populations

MD : Est-ce que le traitement pré-exposition ou PrEPet post-exposition pourrait être une piste à envisager au Maroc ?

H.H : Il y a deux ou trois ans, nous avons fait avec le ministère de la Santé une étude d’acceptabilité de la PrEP, étude qui a été très concluante et aujourd’hui l’ALCS distribue le traitement pré-exposition dans tous ses locaux. Quant au traitement post-exposition, il est disponible et préconisé par le département de tutelle, il faut juste que la personne concernée se présente à un centre référent pour le VIH, où il y a un service qui prend en charge les personnes vivant avec le sida, qui dispose du traitement de trithérapie et qui peut le délivrer aux personnes concernées. Le problème c’est qu’il y a seulement 12 centres au Maroc, ce qui ne couvre pas toutes les villes du royaume.

MD : Le dépistage est le premier palier vers l’élimination du sida et des hépatites virales. Pourtant, nous sommes encore loin de l’objectif fixé par la communauté internationale. Pourquoi ce retard selon vous ?

H.H : Le Maroc a pu, entre 2010 et 2019, réduire de 31% les nouvelles infections par le VIH, sachant qu’aujourd’hui le nombre de personnes vivant avec le VIH est estimé à 21.500 dont 22% ignorent leur séropositivité. Je ne dis pas que c’est suffisant. Il faudrait que toute personne qui porte le VIH se fasse dépister le plus précocement possible. Il y a une série d’objectifs de l’ONUSIDA qui s’appelle la cascade et le premier pas de cette cascade est justement que plus de 90% des personnes qui sont séropositives connaissent leurs statuts. Cela dit, nous avons beaucoup progressé, mais nous n’avons pas encore complètement atteint cet objectif. Il y a encore des efforts à faire dans ce sens.

MD : Comment renforcer nos capacités de dépistage, notamment au niveau des associations ?

H.H : En matière de dépistage, notre association a introduit il y a très longtemps ce qu’on appelle les tests rapides d’orientation biologique (TROD), si la personne testée s’avère positive, elle est orientée vers un hôpital pour faire une confirmation. Par ailleurs, nous faisons appel à plusieurs moyens de dépistage. C’est ainsi que nous organisons à longueur d’année (sauf depuis la covid) des sorties pour faire du dépistage à travers 5 bus équipés qui sillonnent le Maroc. S’agissant d’un test d’orientation qui est aussi simple que celui que font les diabétiques à domicile, que nous avons introduit plus récemment et c’est une grande nouveauté : le dépistage communautaire. Nous avons plaidé auprès du ministère de la Santé pour mener une expérience pilote, pour voir si des jeunes non-médecins et non-infirmiers, et qui ont eu une formation extrêmement rigoureuse, pouvaient faire les TROD, surtout que nous sommes en manque de personnel soignant. À travers cette expérience, nous avons prouvé que le public faisait confiance à ces jeunes, parce qu’ils savent qu’il n’y a aucun risque qu’ils soient jugés par eux. Désormais, ce jeune peut prendre une mallette et s’installer dans une association de quartier et dépister tous ceux qui souhaitent se faire dépister. L’efficacité de ce dépistage communautaire est largement prouvée. Nous souhaitons aussi que d’autres associations s’y mettent. Jusqu’à présent l’ALCS est la seule à avoir une expertise dans ce domaine. Dès que le ministère organisera des formations dans ce sens, nous allons les assurer.

MD : Quid de la prise de conscience du citoyen lambda de ce que c’est le VIH/sida ?

H.H : J’essaie de ne répondre que par des choses prouvées scientifiquement. Comme nous n’avons pas effectué une étude pour apprécier le niveau de prise de conscience de nos compatriotes, parce qu’elle couterait extrêmement cher, je ne peux pas répondre à votre question. Par contre, nous faisons des formations dans les écoles et les lycées tout au long de l’année pour sensibiliser et il y aussi la campagne du Sidaction Maroc, qui dure pendant un mois du 1er au 30 décembre, où il y aura des émissions radio/télé, notamment la diffusion, le samedi 19 décembre 2020, sur les ondes de 2M et 2M Monde de la soirée télévisée, qui comportera des reportages, des témoignages de personnes vivant avec le VIH et des appels à dons.

MD : Un dernier mot…

H.H : J’invite tous les lecteurs à aller sur le site de l’ALCS et faire un don, que ce soit à travers une banque ou sur internet, parce que l’argent est le carburant de l’action et nous en avons besoin, les bailleurs de fonds ne paient pas tout, notamment les campagnes de sensibilisation, l’achat de médicaments autres que la trithérapie et d’autres choses que nous ne pouvons financer que grâce au Sidaction Maroc. Nous commençons d’ailleurs à envisager de l’organiser chaque année. C’est vraiment un moment très important d’information pour le grand public, mais qui reste tout de même insuffisant.

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