SEM Robert Dölger, ambassadeur d’Allemagne à Rabat : « L’hydrogène vert revêt une importance particulière »

ENTRETIEN DIPLOMATIQUE

Réalisé par Souad Mekkaoui

Après une brouille de plusieurs mois, l’arrivée du nouvel ambassadeur allemand au Maroc, SEM Robert Dölger acte une nouvelle ère dans les relations bilatérales entre Rabat et Berlin qui datent de 1956 et ferme ainsi une crise diplomatique entre les deux pays. Connu pour être un fin connaisseur du continent africain, le nouvel ambassadeur a la lourde tâche de restaurer les liens et de relancer la coopération bilatérale.

Rappelons que suite à une réunion virtuelle en février dernier, le ministre marocain des Affaires étrangères, M. Nasser Bourita et son homologue allemande Mme Annalena Baerbock ont ​​exprimé leur intérêt à travailler sur une « grande et étroite relation, afin de lancer un nouveau dialogue visant à surmonter le malentendu précédent ». Par ailleurs, les deux ministres des Affaires étrangères des deux pays avaient signé une déclaration commune pour coopérer dans divers domaines. Parmi ces projets de coopération, l’investissement dans le développement de l’hydrogène vert se distingue. Aujourd’hui, Rabat et Berlin œuvrent de concert pour un partenariat multidimensionnel tourné vers l’avenir et les relations sont au beau fixe. Pour comprendre les nouvelles orientations stratégiques et la nouvelle dynamique de la coopération bilatérale, SEM Robert Dölger, ambassadeur de la République fédérale allemande a bien voulu répondre à nos questions.

MAROC DIPLOMATIQUE : Votre nomination a tourné définitivement la page de la crise diplomatique qui avait entaché, pendant presque l’année 2021, les relations entre le Maroc et l’Allemagne et marque une nouvelle phase des relations bilatérales qui datent de 1956. Excellence, comment se portent aujourd’hui les relations entre les deux pays ?

– SEM Robert Dölger : Les derniers sept mois étaient pour moi une expérience professionnelle et personnelle extraordinaire. L’accueil au Maroc était très chaleureux. Mon épouse et moi, nous nous sommes tout de suite sentis « chez nous ». À la fin de l’année, nous avons vécu une expérience toute particulière : le privilège de vivre et de célébrer les magnifiques succès des Lions de l’Atlas avec nos collègues et amis marocains.

Professionnellement, je me réjouis de la diversité et du dynamisme des relations qui lient nos deux pays depuis des décennies. Il y a une multitude d’acteurs les plus divers de la politique, de l’économie et de la société civile qui font croître et prospérer les relations entre le Maroc et l’Allemagne de diverses manières et à tous les niveaux. C’était le cas, si je puis dire, même pendant la crise.

En ce qui concerne nos relations intergouvernementales, elles sont au beau fixe : la visite de notre ministre des Affaires étrangères, Mme Annalena Baerbock, et la conférence de presse commune avec son homologue, SEM Nasser Bourita, ont ouvert un nouveau chapitre. La déclaration conjointe réaffirme la volonté partagée d’approfondir davantage nos relations en vue d’établir un partenariat renforcé, tourné vers l’avenir. Notre dialogue stratégique sera exhaustif et portera sur toutes les questions bilatérales et internationales d’intérêt commun.

Vous avez été chef de la Direction du Moyen-Orient au sein du ministère des Affaires étrangères avant d’assurer la charge de Directeur de la Région de l’Afrique subsaharienne et du Sahel, poste que vous avez d’ailleurs occupé jusqu’à votre arrivée au Maroc. Votre nomination au lieu de Thomas Zahneisen est due au fait que vous soyez un fin connaisseur de l’Afrique ?

– J’ai passé une bonne partie des dernières décennies à traiter des sujets touchant au Monde Arabe et à l’Afrique, d’abord en tant que coopérant et ensuite en tant que diplomate. Ce sont des régions qui me tiennent à cœur et pour lesquelles j’espère pouvoir apporter une petite contribution pour le développement de nos relations. C’était donc un grand honneur pour moi d’avoir été nommé par Mme la Ministre Baerbock pour le poste d’Ambassadeur au Maroc. Je la remercie pour la confiance qu’elle a placée en moi.

Vous avez la lourde tâche de raffermir les relations entre les deux pays, de faciliter le dialogue et de relancer la coopération bilatérale à tous les niveaux. Quelles sont vos orientations dans ce sens et surtout vos priorités ?

– Le Maroc et l’Allemagne vont renforcer leur partenariat, basé sur une relation d’égal à égal et fondé sur des intérêts communs ainsi que des objectifs stratégiques. Dans le cadre des négociations intergouvernementales entre le Maroc et l’Allemagne, fin octobre à Berlin, nous avons défini nos priorités de travail communes. Un rôle important pour orienter à moyen et à long terme la coopération revient au « Nouveau Modèle de Développement », présenté en mai 2021. En mettant l’accent sur une croissance économique durable et inclusive et sur la cohésion sociale, il présente également des parallèles avec les priorités de travail du gouvernement fédéral. La coopération se focalisera donc sur deux thèmes cruciaux qui sont « le climat et I’énergie » d’une part et « le développement économique durable, la formation et l’emploi » de l’autre. Pour ce qui est du deuxième thème, nous voulons accompagner nos partenaires marocains dans la création de plus demplois et de possibilités de revenus, notamment pour la population jeune. Laccent sera mis sur les très petites, les petites et les moyennes entreprises (TPME) qui constituent lépine dorsale de léconomie marocaine. Nous voulons aussi contribuer à renforcer le rôle économique des femmes. Une plus grande égalité entre les sexes est un thème qui est présent dans tous nos projets. Je crois qu’avec ce programme, notre coopération est parfaitement alignée avec la vision royale.

Le Maroc et l’Allemagne font passer leur coopération énergétique à la vitesse supérieure. Le gouvernement allemand, déterminé à réduire le CO2, souligne que cela devrait se faire à travers l’importation d’électricité verte d’Afrique du Nord comme précisé par le ministère des Affaires économiques. Quels projets sont prévus avec le Maroc ?

– Le Maroc s’est fixé des objectifs ambitieux pour réduire les émissions de carbone dans les activités économiques et atteindre ses objectifs climatiques. Votre pays est un pionnier sur le continent africain en matière de développement des énergies renouvelables. Nous considérons le Maroc comme un allié important dans la lutte globale contre le changement climatique. Dès le début, l’Allemagne a accompagné et soutenu la transition énergétique au Maroc. Un bon exemple est le complexe solaire à Ouarzazate, un des plus grands du monde.

Dans la coopération énergétique, nous voyons d’une part, le dialogue politique et la recherche, tel que soutenu et développé par le partenariat énergétique bilatéral du ministère fédéral de l’Économie et de la Protection du climat et le ministère marocain de la transition énergétique et du développement durable. Il vise également à impliquer davantage le secteur privé des deux pays et à générer des investissements et des partenariats fructueux, comme la production d’énergie renouvelable sous ses différentes formes, le transport, mais aussi et surtout l’utilisation ici au Maroc et finalement l’exportation vers l’Europe et l’Allemagne. Nous voyons ici de nombreuses manifestations d’intérêt importantes de la part d’entreprises allemandes, que ce soit dans le domaine de la technologie et de l’ingénierie, du transport et de la logistique, ou encore de la part des grands consommateurs d’énergie, tel que l’industrie lourde allemande.

Outre le développement des énergies renouvelables et l’amélioration de l’efficacité énergétique, l’hydrogène vert revêt d’une importance particulière. Dans ce contexte, les préparatifs pour un projet de construction d’une installation industrielle de référence pour la production d’hydrogène vert sont en cours. Cette installation serait la première de son genre sur le continent africain. Cependant, nous traitons également les questions de la mobilité durable et d’un système de transport respectueux du climat, compte tenu qu’environ un tiers des émissions de gaz à effet de serre du Maroc sont imputables au transport.

Le sujet des « green jobs » est également très important dans ce contexte. Les domaines des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique ont un grand potentiel pour créer de nombreux emplois supplémentaires orientés vers l’avenir. Tout récemment, par exemple, j’ai visité l’Institut de Formation aux Métiers des Énergies Renouvelables et de l’Efficacité Énergétique, IFMEREE, à Oujda, qui forme des spécialistes qualifiés en énergie solaire et éolienne et en efficacité énergétique. L’Agence de Coopération Internationale Allemande GIZ a soutenu le développement de ces cours de formation.

En plus de votre expérience dans la diplomatie, vous possédez une expérience significative dans le domaine économique grâce à laquelle vous avez dirigé la région Moyen-Orient et Afrique à la Fédération de l’Industrie allemande. À votre avis, comment impulser la coopération économique entre Rabat et Berlin ?

– De mon point de vue, notre Ambassade devrait jouer un rôle d’accompagnement et de soutien systématique dans le renforcement des relations économiques: la première tâche consiste à procéder à une analyse profonde pour la meilleure connaissance du Maroc, ses marchés et les opportunités qui en résultent. Le Maroc en offre une multitude, comme dans les secteurs de l’énergie, de l’agroalimentaire, de la logistique et des services, d’automobile ainsi que des produits pharmaceutiques.

Le deuxième pas consiste à informer les acteurs économiques privés et à attirer leur attention sur les opportunités qui se présentent. En troisième lieu, il va falloir les accompagner dans leur installation au Maroc et leur offrir des services de contact et de suivi. Je suis heureux qu’avec la Chambre Allemande de Commerce et d’Industrie à Casablanca, l’Ambassade dispose d’un partenaire fort et très dynamique.

Lors de la déclaration conjointe adoptée le 25 août, à l’issue des entretiens à Rabat entre le ministre des Affaires étrangères, M. Nasser Bourita et la ministre allemande des Affaires étrangères, Mme Annalena Baerbock, celle-ci a réaffirmé la place du Maroc comme partenaire essentiel de l’Union européenne et de l’Allemagne en Afrique du Nord et en Afrique en général et comme un lien entre le Nord et le Sud. L’Allemagne a par ailleurs exprimé son soutien au renforcement du Partenariat stratégique Maroc-UE. Pouvez-vous nous expliquer comment la République fédérale compte-t-elle procéder ?

– Comme je l’ai expliqué ailleurs, le Maroc est un partenaire central de l’Allemagne dans la région. Le Maroc bénéficie d’un partenariat privilégié dans le cadre de la politique de voisinage de l’UE, fondé sur l’adhésion mutuelle à des valeurs et des objectifs communs. L’Allemagne a toujours soutenu et contribué à l’approfondissement des relations avec le Maroc, y compris au niveau de l’UE. Nous continuerons à le faire à l’avenir. Dans ce contexte, le lancement du Conseil d’association UE-Maroc, prévue pour 2023, est une étape importante et positive pour intensifier le dialogue politique d’égal à égal au niveau européen.

L’UE et le Maroc ont lancé le premier partenariat vert sur l’énergie, le climat et l’environnement dans la perspective de la COP 27, à l’occasion de la visite du Vice-Président Exécutif de la Commission européenne, Frans Timmermans, au Maroc les 18 et 19 octobre 2022. C’est la première initiative de ce type de l’UE avec un pays partenaire dans le cadre de la dimension extérieure du pacte vert pour l’Europe. Comment cela profitera aux deux parties ?

– Le partenariat vert entre l’UE et le Maroc permettra de progresser dans la poursuite des objectifs communs en matière d’énergie, de la lutte contre le changement climatique, de la protection de l’environnement et de l’économie verte au niveau bilatéral, régional et multilatéral. Il s’agit désormais de décliner ces objectifs à différents niveaux afin d’accélérer la transition écologique et tirer parti des possibilités et avantages qu’une transition verte peut offrir en termes de croissance économique, de création de nouveaux emplois, de développement humain durable et inclusif et d’investissement et de commerce pour les partenaires en Europe et au Maroc. L’établissement de ce partenariat unique au monde a déjà posé les jalons pour atteindre ces objectifs. En outre, les « Team Europe Initiatives TEI », notamment le TEI Partenariat Vert, le TEI Genre pour la promotion et protection de l’égalité entre hommes et femmes ainsi que la TEI Migration ont déjà été lancés pour contribuer à la réalisation d’engagements communs.

Fin octobre, les négociations intergouvernementales entre le Maroc et l’Allemagne se sont achevées à Berlin, traçant ainsi une véritable feuille de route de coopération entre les deux pays, sur des chantiers majeurs au Maroc. Lesquels selon vous ?

– Nos chantiers communs s’articulent autour des grands axes thématiques, comme déjà mentionné en haut, identifiés par le Nouveau Modèle de Développement ayant comme objectif de promouvoir une économie diversifiée et résiliente, promouvoir des opportunités d’inclusion pour tous les Marocains et Marocaines, notamment avec la généralisation de la protection sociale et de renforcer le capital humain. En plus, la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine a engendré une crise énergique mondiale menant à une accélération de la transition vers une économie verte et une forte demande de développement des énergies renouvelables.

En outre, l’Allemagne soutient les efforts et l’ambition du gouvernement marocain d’accélérer l’inclusion numérique des petites et moyennes entreprises (PME) marocaines, un sujet hautement stratégique et ancré également dans le NMD. À Berlin, l’Allemagne s’est aussi engagé à appuyer la mise en œuvre par le Maroc de la feuille de route de la transition numérique pour la réforme de l’administration et des services publics.

Nous avons aussi décidé d’approfondir notre coopération dans le domaine de la régionalisation en promouvant la bonne gouvernance. Très important, nous nous penchons ensemble sur différents aspects de la migration. L’Allemagne reconnaît le rôle positif du Maroc dans l’organisation d’une migration régulière.

Le Maroc étant devenu une puissance régionale importante en Afrique, continent qui constitue justement votre grande spécialité. Votre mission à Rabat va certainement vous permettre de mettre en œuvre de façon efficace la nouvelle politique diplomatique de l’Allemagne en Afrique, dont un des piliers doit être le Maroc ?

– Je suis convaincu que le Maroc est un acteur très important en Afrique. Et en particulier en Afrique de l’Ouest, non seulement sur le plan économique, politique ou médiatique, mais aussi au regard des relations culturelles et religieuses qui se sont développées au fil des siècles. Du point de vue allemand, le Maroc est un partenaire poursuivant des intérêts congruents avec les nôtres en Afrique.

La déclaration commune du mois d’août 2022 va justement dans ce sens lorsqu’il est question d’une coopération trilatérale Allemagne-Maroc-Afrique. Et elle ne manque pas d’idées : les énergies renouvelables, le climat, le contre-terrorisme, la dé-radicalisation ainsi que la migration. Naturellement, la bonne intention doit être concrétisée et mise en pratique. En tant qu’ambassadeur, je m’efforcerai pour qu’une coopération concrète se réalise. Je me félicite que les premières mesures soient en préparation.

En tant que Représentant de la République fédérale d’Allemagne, quelles sont les opportunités d’investissements que le Maroc pourrait offrir aux investisseurs allemands ?

– Depuis quelques années, le Maroc est devenu un lieu d’investissement de plus en plus attractif pour les entreprises allemandes. Les investissements directs allemands dans le Royaume ont augmenté de 640 % depuis 2010. En raison des défis géopolitiques, le Maroc est de plus en plus intéressant en tant que lieu d’implantation dans le cadre de ce que l’on appelle le « near-shoring », c›est-à-dire la diversification des chaînes d›approvisionnement et de création de valeur et la minimisation des risques de la logistique.

Les secteurs que nous voyons ici sont d’abord l’automobile, y compris l’ingénierie et la recherche et le développement, l’électrotechnique, l’industrie chimique, le textile et l’industrie de transformation alimentaire. L’offre marocaine est caractérisée par une excellente qualité de production industrielle, des infrastructures modernes, la disponibilité d’une main d’œuvre qualifiée, et enfin par une politique économique favorable avec des incitations intéressantes à l’investissement.

Tout cela offre d’énormes opportunités de coopération à nos acteurs économiques. Les efforts actuels du Maroc pour créer un cadre d’investissement attractif et fiable sont particulièrement importants à cet égard.

On vous présente comme l’un des vétérans du corps diplomatique allemand. Quels sont d’après vous les questions revêtant un intérêt commun qui faciliteraient le rapprochement entre les deux pays et les outils à mettre en œuvre afin d’établir un partenariat multidimensionnel tourné vers l’avenir entre Rabat et Berlin ?

– À mon avis, ce sont moins les sujets spécifiques qui sont au centre de l’amitié entre nos pays, bien qu’ils soient importants. Pour moi, ces sont plutôt les valeurs partagées, la confiance, le respect mutuel, le sens d’un destin ou des objectifs communs, et la volonté de travailler ensemble pour arriver à des résultats concrets, qui font la qualité de notre partenariat. À la base de tout ceci doit se trouver un dialogue stratégique, bien structuré et régulier de haut niveau, comme celui mené par nos deux ministres des Affaires étrangères en août.

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