Yasmine Ouirhrane, une Italo-Marocaine qui bataille pour l’égalité et l’inclusion sociale en Europe

Malgré son jeune âge, elle a su se démarquer et faire entendre sa voix auprès des décideurs européens ! Connue par son discours féministe et anti-discriminations, Yasmine Ouirhrane est une jeune femme qui sort du lot ! Cette étudiante à Sciences po Bordeaux en Relations internationales, s’implique depuis plusieurs années dans des projets à l’échelle européenne et internationale. L’égalité hommes-femmes et les droits des migrants sont ses principaux chevaux de bataille.

Fille d’une mère italienne et d’un père marocain qui a immigré en Italie, Yasmine a déjà accompli de nombreuses réalisations et reçu plusieurs prix. Cette jeune activiste a été nommée en 2018  » jeune leader pour l’égalité hommes-femmes » par l’association Woman Deliver, basée à New York.

Elle est également lauréate du prix de « la jeune européenne de l’année 2019 », qui lui a été remis par Schwarzkopf Foundation Young Europe, œuvrant pour l’engagement des jeunes au niveau européen. Une reconnaissance qui vient couronner « son engagement en faveur de l’égalité hommes- femmes et de l’égalité des chances pour les migrants en Europe », selon le jury. L’annonce de sa récompense n’a pas plu aux élus de l’extrême-droite, notamment à Marine Le Pen qui a fait une polémique autour de son prix.

Aujourd’hui, elle s’identifie comme étant une experte en Paix et Sécurité par l’Union Européenne et l’Union Africaine.

Entretien.

MAROC DIPLOMATIQUE_ Pourriez-vous nous parler de vos expériences à l’international ? Qu’estce qu’elles ont changé en vous ?

Yasmine Ouirhrane_ J’ai commencé à voyager et à m’engager à l’international, à l’âge de 19 ans. Je me retrouvais à débattre sur des questions liées à la migration, l’égalité de chances et la justice sociale, souvent avec des personnes qui avaient des idées totalement différentes des miennes. J’ai donc pris conscience de l’importance de faire entendre ma voix auprès des institutions internationales, ce qui m’a amenée à m’exprimer aux sièges onusiens à New York et Nairobi, mais aussi d’être nommée jeune experte en Paix et Sécurité par l’Union Européenne et l’Union Africaine.

J’ai voulu démontrer que je ne suis pas juste une statistique que l’on cite quand on veut discuter d’inclusion et d’inégalités en Europe, mais que je peux aussi contribuer au débat public et délivrer des recommandations à des représentants des États sur des sujets qui me touchent en premier lieu, tout en étant écoutée.

MD _ Que représente pour vous le prix de la « Jeune européenne de l’année 2019 » ?

Y.O_ Le prix de la Fondation Schwarzkopf a été symbolique pour moi. C’était un message fort à ma génération, qui a envie de se sentir incluse et représentée et c’était aussi un rappel à mes concitoyens que mon existence, et celle de milliers de fils d’immigrés, est un fait indéniable dans nos sociétés européennes.

La reconnaissance de mon engagement, mais aussi la haine qui a suivi, ont davantage légitimé mon travail pour la paix et ils ont montré que le chemin est encore long pour garantir le respect et l’inclusion des nouvelles générations en Europe.

MD_ Sur Twitter, Marine Le Pen avait écrit, « l’Union européenne assume ses choix. Le 26 mai, c’est vous qui devrez choisir ! Pour nous, la promotion de l’islam radical, c’est non ». Cela fait presque un an depuis que vous avez reçu ce prix, que répondez-vous aujourd’hui à la présidente du Rassemblement National et à tous ceux qui vous ont envoyé des messages de haine?

Y.O_ Pour la première, j’ai répondu en portant plainte. Quant aux internautes, je continue d’être harcelée sur mon compte Twitter et ma réponse a été de créer la plateforme et podcast « We Belong », qui donne la parole aux « Nouvelles Filles d’Europe », dans le but de mettre en valeur les parcours de succès des femmes issues de l’immigration partout en Europe, mais aussi de partager dans chaque épisode des « clés », des programmes et des opportunités à l’international pour motiver d’autres femmes à entreprendre et à oser le leadership.

MD_ Est-il difficile d’être, à la fois, une jeune femme européenne inspirante et musulmane ?

Y.O_ Depuis le début de mon engagement social, j’ai toujours voulu laisser mes croyances dans la sphère privée. Certes, j’ai été critiquée pour mon apparence par des personnes qui ne s’arrêtent qu’à la forme, mais ceux qui ont cru en mon travail et mon sérieux professionnel ne se sont pas attardés sur mes convictions personnelles. Je pense notamment à la Commission Européenne qui m’a nommée Jeune Leader, mais aussi à Foreign Affairs Canada qui m’a sélectionnée pour débattre avec une vingtaine de ministres de l’égalité des genres à Vancouver, ou encore à UN Women Arabic qui m’a recrutée pour rejoindre leur « Gender Innovation Agora ».

MD_ Vous défendez bec et ongles « l’inclusion sociale de la deuxième génération de migrants », pourquoi est-ce si important pour vous ?

Y.O_ Depuis toute petite, on m’a toujours rappelé que j’étais différente, de par mon nom, mes origines, mon apparence. J’ai aussi vécu le dilemme d’avoir une mère italienne et un père marocain et de ne pas me sentir complètement ni l’un ni l’autre. Cette crise d’identité, qui revient souvent parmi mes invités dans mon podcast, est vécue par beaucoup de fils et filles d’immigrés. D’autant plus que les médias diffusent des informations majoritairement négatives sur les personnes issues de parents migrants, en faisant des raccourcis et des amalgames, ce qui exacerbe le sentiment d’exclusion.

C’est ainsi que la haine et la division gagnent et servent de propagande à la fois aux extrémistes d’ultra-droite et aux extrémistes religieux. C’est ce qui a poussé des terroristes à perpétrer des attentats en 2015 et 2016 à Paris.

Cet événement m’a profondément marquée et c’est le déclic qui m’a motivée à m’engager pour la paix, la justice et surtout la prévention de l’extrémisme violent à travers l’inclusion sociale en Europe. Mon engagement suit une stratégie pour laquelle je plaide depuis plusieurs années, une approche qui vise à chercher la source du problème au lieu de l’actuelle approche sécuritaire des États qui « contrent » le terrorisme sans vraiment le prévenir.

MD_ Quel était l’objet de votre rencontre avec Federica Mogherini, l’ex-cheffe de la diplomatie européenne ?

Y.O_ Je suis rentrée en contact avec le cabinet de Federica Mogherini en juin dernier, lorsqu’ils voulaient organiser un meeting de haut niveau avec de jeunes femmes qui travaillent pour la paix.

J’ai contribué à identifier les 10 femmes qui ont été invitées à ce meeting tenu à huis clos où l’on a pu délivrer nos recommandations à la Haute Représentante, qui prenait diligemment note. C’était un moment invraisemblable, j’étais l’unique ne vivant pas dans un pays en conflit mais j’ai pu justement parler du besoin de paix et d’inclusion en Europe et d’une stratégie d’insertion sociale et de représentation politique des minorités.

MD_ Vous maîtrisez l’anglais et l’italien et vous parlez aussi d’autres langues, notamment, le français, l’espagnol et le dialecte marocain. Votre polyglottisme joue-t-il un rôle dans votre combat pour l’éducation et l’inclusion des jeunes ?

Y.O_ Totalement. J’arrive à créer des ponts partout où je vais, et je me sens une véritable citoyenne du monde. Les langues me passionnent depuis mon enfance. Cette passion m’a permis de vivre dans trois continents et de m’adapter à de nouveaux contextes.

MD_ Que pensez-vous de la politique migratoire en Europe de façon générale et en Italie particulièrement ?

Y.O_  Une déception. L’Europe n’a pas su faire preuve de solidarité quand il s’agissait de coordonner la gestion des migrants de façon unie.

Les accords avec la Libye, ce pays instable, nous font honte. Et aujourd’hui, on témoigne de ce même manque de solidarité en termes de gestion de la crise du Covid-19, avec des États membres qui ne voulaient pas initialement aider l’Italie ou l’Espagne. C’est un moment crucial pour le futur de l’Europe: soit elle surmontera cette crise de façon unie ou bien elle périra.

MD_ Quelle est la prochaine étape pour Yasmine Ouirhrane ?

Y.O_ Je continuerai mon travail auprès des institutions et en parallèle mon podcast. Je suis aussi en train d’écrire un mémoire sur « l’intersectionnalité appliquée aux politiques publiques », la prochaine étape sera de promouvoir cette approche en Europe, pour garantir une plus juste représentation des fils d’immigrés.

MD_ Un dernier mot aux jeunes Marocains…

Y.O_ Mon messages aux Marocains, mais surtout aux Marocaines : osez et croyez en votre potentiel! Entreprenez des études ambitieuses, ne dites pas « ce n’est pas pour moi »! Toquez aux portes, postulez aux offres sans hésiter, ne soyez pas intimidé.e.s par le nombre de candidats, car vous n’avez rien à perdre en tentant, parce que vous avez votre place aussi!

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