Addourous Alhassania, pilier d’une diplomatie religieuse de père en fils

CE QUE JE PENSE

« Addourouss Alhassania« , leçons religieuses emblématiques du Ramadan, incarnent une tradition profondément ancrée dans l’essence même de la culture et de la spiritualité marocaines. Initiées par le défunt Roi Hassan II et perpétuées sous le règne de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, elles reflètent la pérennité et la profondeur du legs religieux et intellectuel du Maroc.

Ces causeries, inaugurées à l’accession au trône de feu le Roi Hassan II au pouvoir, se distinguent comme un pilier de l’histoire spirituelle du Royaume, rassemblant oulémas, intellectuels et penseurs de divers horizons pour des dialogues enrichissants sur des thématiques islamiques, juridiques, philosophiques et sociales. Elles illustrent la détermination des monarques à nourrir le savoir et à tisser des liens étroits entre le trône et la communauté religieuse, dans le respect du rite malékite prédominant au Maroc.

Établies durant le mois sacré et héritées d’une tradition séculaire, ces séances d’enseignement, marquent un moment privilégié de réflexion et d’échange intellectuel sous la houlette royale, modernisées sous Mohammed VI pour intégrer des voix féminines et internationales, soulignant ainsi un renouveau significatif dans ce cercle d’érudition. Connues pour leur ambiance empreinte de bienséance et de sérénité, « Addourouss Alhassania » ont évolué en une véritable université itinérante, favorisant le  dialogue et la pensée islamique et consolidant le rôle du Maroc en tant que « Commanderie des Croyants« . Ce faisant, elles offrent une plateforme d’enrichissement intellectuel, ouverte sur le monde, et contribuent à la promotion du dialogue interculturel et à la compréhension mutuelle.

Causeries ramadanesques : Fusion de spiritualité, savoir et ouverture internationale

Dès leur instauration par le regretté Roi Hassan II, les causeries ramadanesques ont révolutionné la tradition marocaine en s’appuyant sur des hadiths pour enrichir la connaissance et prodiguer des enseignements de vie. Originellement tenues dans l’intimité du Mausolée du sultan Hassan 1er, ces rencontres se sont progressivement ouvertes à un auditoire plus large, accueillant des érudits du monde entier, témoignant ainsi de l’ambition du Souverain d’engager un dialogue global sur des thématiques universelles. Ce projet visionnaire visait à revivifier une coutume ancestrale remontant à l’époque des Mérinides, où la communauté se réunissait dans les mosquées pour s’imprégner de sagesse divine, se purifier spirituellement et s’élever durant le Ramadan. Par cette renaissance, feu le Roi Hassan II avait créé un forum d’échange ouvert et unificateur, invitant des intellectuels internationaux à débattre de sujets d’envergure mondiale dans un climat de réceptivité et de respect.

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L’année 1963, marquée par l’élection du premier Parlement marocain, a également vu la première de ces causeries, offrant une scène pour discuter des enjeux majeurs du pays dans une ambiance de dialogue constructif. Leur diffusion télévisée a élargi leur audience, rassemblant académiciens, dignitaires religieux, diplomates et personnalités diverses pour explorer des questions cruciales dans une atmosphère de tolérance et de respect mutuel. Ces discussions ont significativement contribué à la conciliation entre courants islamiques à une période de forte tension entre sunnites et chiites. Des personnalités influentes telles que Musa al-Sadr et Mohammed Metwali Al-Shaarawi ont participé à ces dialogues, incarnant l’engagement du Maroc envers l’unité islamique et la cohésion intercommunautaire.

Dès lors, cette initiative, sans pareil dans l’espace arabo-musulman, a émergé comme un véritable lien entre divers courants de pensée et peuples, se démarquant particulièrement à une époque où les tensions de la Guerre froide dominaient. Des figures emblématiques telles que le Cheikh égyptien Mohammed Metwali Al-Shaarawi, le leader libanais Moussa Assadr, et des érudits de l’Orient et de l’Afrique, ont contribué à la profondeur de ces dialogues, apportant librement leur expertise sur des thématiques choisies. Au cours des années 1966 et 1978, le Roi Hassan II avait lui-même animé deux sessions mémorables, soulignant l’importance capitale de ces rencontres dans le panorama spirituel. La première, articulée autour d’un hadith sur la rectitude des comportements, fut abordée sous trois perspectives : la responsabilité des gouvernants dans la correction active pour le bien-être des citoyens, le pouvoir de la parole à travers les médias pour éduquer et informer, et l’importance de l’intégrité personnelle en accord avec les valeurs morales et légales. L’éloquence de Hassan II dans l’articulation de ces principes a profondément marqué les esprits, enrichissant ainsi le dialogue entre cultures et religions. Sa seconde allocution, des années plus tard, s’est penchée sur un verset coranique relatif à l’Heure du Jugement, mettant en lumière les implications de ce concept sur les aspects sociaux et éthiques de l’existence humaine. Sous son égide, Addourouss Alhassania ont rayonné au-delà des frontières marocaines, portant l’interprétation éclairée de l’islam malékite et affirmant l’influence du Maroc dans le dialogue islamique mondial.

Il faut rappeler que le regretté Roi Hassan II trouvait un intérêt particulier dans les dialogues avec les oulémas lors des séances religieuses, appréciant la dynamique et l’enthousiasme des intervenants, malgré un protocole qui en imposait la modération. En tant qu’organisateur de ces rendez-vous, son geste emblématique fut d’installer la tribune du conférencier en hauteur, au-dessus de tous les présents, y compris le Roi, dans un geste soulignant son respect pour la connaissance et ceux qui la diffusent. Ces rencontres, généralement organisées après la prière d’Al-Ichae selon le calendrier royal, se sont imposées comme un temps fort, captant l’attention à travers le monde arabe pendant le Ramadan. Leur diffusion dans les années 1990 par MBC, une chaîne à capitaux saoudiens, a constitué un jalon important, reflétant leur prestige et leur portée internationale.

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Dans sa quête d’approfondir le débat sur des sujets sociétaux, feu le Roi Hassan II a convié des experts internationaux de divers horizons, y compris de pays non musulmans, pour explorer des thèmes variés comme l’écologie vue par l’islam, le développement ou les avancées scientifiques. Ces échanges, parfois dans un arabe imparfait mais authentique, illustrent l’ambition du Souverain d’encourager une conversation fructueuse transperçant les barrières religieuses et culturelles. Les causeries hassaniennes ont par ailleurs accueilli des dirigeants mondiaux et des figures éminentes, confirmant leur envergure internationale. En 1993, le Président des Maldives a participé aux discussions sur le rôle de la jurisprudence islamique dans le contexte moderne. En 1998, l’apparition de Mohamed Ali Clay, convié par le Roi Hassan II, a donné une ampleur inédite à ces échanges. À cette occasion, Ali Clay a reçu un Coran des mains du Roi, marquant un moment historique.            Toutefois les causeries religieuses hassaniennes, au-delà de leur sérieux et de leur portée spirituelle, étaient également le théâtre de moments plus légers, reflétant la personnalité multifacette de feu Hassan II et sa vision d’un Islam à la fois éclairé et ancré dans la réalité quotidienne. Ces séances, riches en enseignements, n’étaient pas exemptes d’éclats d’humour, rendant ces rendez-vous encore plus mémorables pour ceux qui y assistaient ou les suivaient à travers les médias.

Parmi les anecdotes marquantes de cette époque celle d’un psalmodieur marocain, surpris en plein récit par l’entrée inattendue du Souverain. Feu Hassan II, avec son autorité naturelle, l’interpela sur son style de récitation, lui recommandant d’utiliser sa propre lecture plutôt que d’imiter l’accent des pays du Machrek, un moment qui souligne l’importance accordée par le Roi à l’authenticité culturelle. Le souci du respect du temps, manifesté par les ajustements directs du Souverain sur la durée des interventions en fonction du timing du ftour, demandant parfois à un conférencier étranger de conclure plus tôt ou à un aalem marocain de prolonger son intervention, reflétait une requête royale qui pouvait troubler même les esprits les plus érudits, à l’instar de Mohamed Lazraq, dont la confusion devant le charisme imposant du Souverain avait suscité l’amusement de l’auditoire. Ces interventions royales, parfois surprenantes pour les conférenciers, démontraient la capacité de feu Hassan II à guider les débats avec une main ferme mais bienveillante.

Ces instants, précieusement gardés dans l’histoire des causeries hassaniennes, témoignent non seulement de l’humanité de feu le Roi Hassan II mais aussi de sa volonté de créer un espace où l’érudition islamique dialoguait avec la vie de tous les jours, renforçant ainsi l’image d’un Maroc où la foi s’accompagne d’ouverture d’esprit et de tolérance.

De Hassan II à Mohammed VI : Un engagement Royal pour l’érudition et l’inclusivité

Avec l’accession du Roi Mohammed VI au trône, la continuité de l’engagement Royal envers l’éducation et l’érudition religieuse a été affirmée, insufflant un élan nouveau aux Addourous Alhassania Arramadania. Ces leçons se sont adaptées pour intégrer des sujets actuels, répondant aux enjeux contemporains tout en restant fidèles aux préceptes de l’Islam. Cette adaptation symbolise l’approche du Roi Mohammed VI, mêlant habilement tradition et modernité, pilier de sa politique. L’intronisation de Mohammed VI a également marqué une étape significative vers l’inclusivité, avec la participation notable de Rajaa Mekkaoui en 2003, mettant en lumière la place essentielle des femmes dans le débat religieux et intellectuel. Cette ouverture s’est poursuivie avec la contribution d’autres érudites, comme Aïcha Hajjami, enrichissant le dialogue sur des sujets tels que la place des femmes dans l’islam.

Sur un autre volet, en 2006, l’ayatollah Muhammad Ali Al-Sukheiri s’est exprimé devant le Souverain, soulignant les efforts du Maroc pour encourager le dialogue inter-islamique. Cette initiative, pionnière dans le monde arabo-musulman, a non seulement renforcé le statut de médiateur du Maroc mais a aussi contribué à son choix comme siège de l’ISESCO, affirmant son influence en tant que phare de culture et de spiritualité. Ainsi, Addourouss Alhassania témoignent de l’évolution et de la pérennité des causeries religieuses marocaines, incarnant un engagement profond pour un dialogue constructif et inclusif. À travers ces efforts, le Maroc se positionne en avant-garde de la promotion d’un Islam compréhensif et harmonieux, prônant le respect mutuel et la coexistence pacifique au sein de la communauté musulmane internationale.

C’est dire que de l’ère de feu le Roi Hassan II à celle de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Addourous Alhassania Arramadania représentent une composante essentielle de l’identité marocaine, illustrant le lien séculaire entre la monarchie et la spiritualité. Tout en restant fidèles aux traditions, elles s’ouvrent aux questions actuelles de la société marocaine et aux enjeux internationaux, symbolisant ainsi un héritage dynamique, enraciné dans l’histoire mais résolument projeté vers l’avenir. Ce faisant, elles mettent en lumière un Maroc attaché à ses valeurs ancestrales tout en se montrant réceptif aux influences extérieures. Ces sessions supplantent leur aspect religieux initial pour incarner l’ouverture et l’unité, perpétuant la vision progressiste de feu le Roi Hassan II et poursuivie sous Sa Majesté Mohammed VI. Elles révèlent l’âme de la tradition marocaine de dialogue et de tolérance, marquant un engagement constant pour un débat intellectuel stimulant et diversifié, qui vise à enrichir tant sur le plan spirituel que dans la quête d’une entente mutuelle et d’une cohabitation harmonieuse.

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