Bahija Simou, la gardienne d’une mémoire collective

De génération en génération, nous avons besoin de renouer le fil avec le passé pour pouvoir se repérer et avancer. Pour cela, nous avons, avant tout, un devoir d’histoire et de rappel. Tant et si bien que si nous voulons vraiment être les acteurs de notre propre avenir et encore plus de notre présent, nous devons bien commencer par explorer le passé pour que nous puissions y puiser nos ressources, nous en imprégner, comprendre d’où nous venons et où nous allons. L’Histoire est le socle de ce que nous bâtissons. Quand nous comprenons le passé, il nous est plus aisé de nourrir l’explication du présent et d’agir sur le cours des événements. Cela Bahija Simou l’a bien saisi sachant que l’Histoire est, par essence, une constante et une science de la connaissance et que l’ignorer, nuirait au présent. Et car comme dirait François Mitterrand «Un peuple qui n’enseigne pas son histoire est un peuple qui perd son identité», elle en fait sa foi et se jure de rendre ses droits à l’Histoire en se faisant la mémoire marocaine pour une Histoire partagée.

Une femme au cœur de l’histoire militaire marocaine

Foisonnant d’Histoire, le parcours de Bahija Simou, qui n’a pas choisi la facilité, est peu commun pour une femme de défis qui a pu, non sans peine, s’imposer dans un milieu strictement restreint, masculin et viril où une place ténue est faite aux femmes. Après son baccalauréat, elle obtient une licence en Histoire de la faculté des Lettres et des Sciences humaines de Fès avant d’obtenir un DEA de l’Université Franche-Comté Besançon. Titulaire d’un doctorat d’Etat français en Histoire, à la Sorbonne et d’un deuxième doctorat d’Etat en Histoire à l’Université Mohammed V de Rabat, elle est professeur d’Histoire contemporaine à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de Mohammedia (1987-1996). Cette passion pour le livre et le savoir, Bahija Simou l’a certainement puisée dans son attachement à sa mère. Cette femme qui n’a jamais été à l’école mais qui a rêvé d’un avenir meilleur et lumineux pour sa fille. Un vœu dont la jeune fille fait le moteur d’un cursus empreint de savoir et de science. De l’Histoire de l’Armée marocaine, elle fait une gageure qu’elle honore avec passion, intelligence et talent. Lire, comprendre, analyser deviennent sa devise voire son mode de vie. Elle publie alors «Les réformes militaires au Maroc de 1844 à 1912», «Frères d’armes, mémoire marocaine d’une histoire partagée», «L’armée marocaine, traditions et ouverture». Aujourd’hui, disposant d’une brillante carrière dans le domaine de la recherche universitaire et dans la promotion des projets à caractère culturel et scientifique, cette historienne de renom, spécialiste de l’Histoire militaire marocaine, occupe la fonction de directrice des archives Royales entièrement numérisées depuis qu’elle est aux commandes. L’administration qu’elle dirige depuis 2008 avait vu le jour en 1975, année de la Marche Verte et du retour des provinces du Sud à la mère patrie. Mais Bahija Simou est également membre permanent de la Commission marocaine d’Histoire militaire et membre correspondant de l’Académie des Sciences d’Outre-mer. Son passage par la ville lumières et particulièrement le quartier latin imbriquera son empreinte dans sa vie et sa carrière.

Son ouverture sur ce monde nouveau orné de peintures, de sculptures et de musique qui ponctuaient ses journées, l’inspiraient et la poussaient à découvrir le patrimoine culturel et civilisationnel séculaire en citoyenne du monde avide de connaissance, de valeurs ancestrales en vue de faire de leur diversité et leur pluralité une richesse en partage.

Elle explore alors d’autres horizons dont la muséologie et le domaine archivistique. Plus tard, au Maroc, elle fera de sa vie, le prolongement de sa passion et son nom se fera l’écho du patrimoine. Au Musée Mohammed V ou à l’exposition «Mohammed V-De Gaulle, compagnons de la Libération» C’est son nom qui résonne. Au Musée des Invalides, à Paris, elle est Commissaire de l’exposition organisée dans le cadre du Temps du Maroc, sous le thème «L’Armée marocaine, traditions et ouverture». Par la suite, elle organise une autre exposition dédiée à «Leclerc au Maroc» au Musée Leclerc. «La Dame des Archives» multiplie missions et titres, elle est chef du groupe de recherche sur les relations maroco-italiennes à l’Université Hassan II de Mohammedia, membre de l’Association des historiens de la Méditerranée dont le siège est à Rome, membre de la bibliographie de la Commission internationale d’histoire militaire basée à Berne et chef de département de la recherche scientifique et historique à la Commission marocaine d’histoire militaire, domiciliée à Rabat.

Ecrire pour une mémoire historique commune

Nourrie de savoir et de connaissances denses et intarissables, puisés dans la mine d’information où elle évolue, riche d’études, de recherches et de manuscrits de valeur qui rythment ses journées, et armée d’engagement permanent et de rigueur scientifique, cette femme imbattable sur l’histoire du Maroc , gardienne d’une mémoire collective de tout un pays, ne pouvait garder ce trésor pour elle seule, surtout que l’écriture documentaire est l’une de ses forces multiples. Ainsi, elle gratifie le champ de l’édition historique de ses ouvrages, références phares dans l’Histoire militaire marocaine. Elle fait donc paraître un ouvrage, d’un millier de pages, en trois tomes haut de gamme, publié en arabe, intitulé «Le Sahara marocain à travers les archives Royales» où elle lègue des témoignages sans précédent à la valeur inestimable qui contribuent fortement à sceller la vérité sur les liens immuables et indissolubles entre le Maroc et son histoire qui retrouve ses sources dans les fins fonds des provinces sahariennes. Dans cette œuvre, outil précieux de référence, l’historienne ne raconte pas mais explique en apportant des preuves et des éléments historiques qui prouvent que la géographie et l’histoire sont liées. En caressant ses précieux documents, elle leur chuchote ses interrogations, les interpelle, fait parler l’Histoire et c’est ainsi qu’elle produit son ouvrage colossal. Ce livre apporte la preuve infrangible par des documents jamais explorés jusqu’à lors, des manuscrits et autres correspondances inédites de la marocanité du Sahara. Ses recherches et travaux font désormais autorité. Ses livres, à la fois scientifiques, historiques et savants, comme L’allégeance, un pacte éternel entre le Roi et le peuple (2011) et Le Sahara marocain à travers les archives royales (2012) constituent une matière scientifique de première importance, une documentation solennelle et riche pour les fins partisans de politique, de diplomatie et les chercheurs férus d’histoire, de droit, de jurisprudence en quête d’une connaissance complète de sur la question du Sahara dans sa profondeur, et documents à l’appui.

Traitant de l’étude historique du Sahara marocain, l’ouvrage confirme moyennant des preuves documentées et des éléments scientifiques la marocanité du Sahara comme réalité géographique et historique établissant ainsi les liens solides et multiples unissant, à travers les siècles, les provinces du Sud à l’ensemble du Royaume et à ses Souverains qui se sont succédés sur le trône.

Et donc le prolongement du Royaume et sa souveraineté sur les provinces sahariennes est incontournable puisque la Dynastie alaouite demeure attachée aux tribus sahraouies par des liens familiaux. D’ailleurs, dans «L’Allégeance, un pacte éternel entre le Roi et le peuple», ce livre, richement documenté, Bahija Simou scrute et analyse les fondements de la Baïâa, ce pacte continuellement renouvelé entre le Roi et le peuple, sa dimension et son évolution à travers le temps, autant historique que politique. Pour rappel, elle cite les actes d’allégeance adressés aux sultans et aux rois par les tribus sahraouies. En plus de la succession des dahirs relatifs à la nomination des caïds ou des magistrats au sein de ces tribus par les sultans. Et comme l’Histoire n’omet aucun détail, on ne peut ne pas mentionner les actes qui concernent l’organisation des campagnes militaires, l’édification de différentes bâtisses, la collecte des impôts, la sécurisation des routes commerciales et la commercialisation des marchandises.

Un cheminement reconnu et récompensé

Son parcours riche et impressionnant lui a valu de nombreuses distinctions prestigieuses, notamment au Maroc, au Portugal, en Italie et en France. En 1997, elle obtient « le Mérite National, Classe supérieure », en 2002, elle est faite Chevalier dans l’Ordre des Arts et des lettres de la République française avant d’être nommée au grade de «Al Merito della Republica italiana» en 2003. L’année 2006, lui rapportera le «Wissam Al Arch de l’Ordre de Chevalier» et quatre ans après, elle se voit décerner le grade de Chevalier de l’Ordre National du Mérite de la République française. Et ce n’est qu’un échantillon des distinctions et décorations qui couronnent le cheminement de cette femme grande dans sa simplicité et sa discrétion et humble dans sa puissance. Dotée d’une grande expérience en matière d’organisation d’activités culturelles, elle a souvent été désignée Commissaire de plusieurs manifestations culturelles, en France et au Maroc, qui laissent un écho architectural. On ne peut donc imaginer le cinquantenaire des Forces Armées Royales sans l’historienne. Entre étude, conception et scénographie, elle monte pas moins de 7 expositions pour retracer les 50 ans des FAR. Ses nombreuses contributions aux colloques lui font une renommée qui transperce les frontières. Ses publications, qu’elles soient dans la langue arabe ou française constituent une référence de taille dans l’Histoire du Royaume. Maroc médiéval, Sahara marocain, Baïâa, relations du Maroc avec les autres pays, réformes militaires, Armée marocaine, Garde Royale, ces thèmes qui préoccupent les citoyens marocains et toute personne s’intéressant à l’Histoire du pays, trouvent leurs réponses chez la première femme marocaine à être élue membre de l’Académie des Sciences d’Outre-mer à Paris et à être nommée Chevalier de l’Ordre des Arts et des lettres de la République française, elle qui interroge les documents.

Consciente de son pouvoir et de son devoir, celle qui préside aux destinées des archives Royales, dépoussière les archives, les remue, feuillette les pages de l’histoire, la restitue, pose des questions au passé pour aider à comprendre le présent, jette son faisceau de lumière sur les zones d’ombre, rafraîchit les mémoires et nous donne à voir l’histoire passée.

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