Géoterrorisme dans la Bande Sahel-Saharienne : Stratagèmes et facteurs géopolitiques

La région de la bande sahélo-saharienne est devient de plus en plus l’épicentre de terrorisme. Cette région, qui couvre plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, est confrontée à une menace terroriste croissante depuis les dernières décennies.

Les groupes terroristes tels que Boko Haram, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) ont arrivé d’établir des bases d’opérations dans cette zone, exploitant les vastes espaces désertiques, les faiblesses des institutions étatiques et les difficultés économiques et sociales qui caractérisent les pays de la région. En ce sens, plusieurs facteurs ont contribué à la prolifération des activités terroristes dans la bande sahélienne. La présence de vide géopolitique, l’instabilité politique, les conflits ethniques, la porosité des frontières, la circulation illicite d’armes et le trafic de drogue sont autant de problèmes qui se sont greffés à la pauvreté pour constituer une vraie poudrière prête à exploser.

La montée en puissance de la menace posée par Daech et AQMI a suscité des inquiétudes en croissement quant à l’instabilité non seulement dans la région du Sahel, mais aussi dans d’autres zones telles que le Maghreb et le golfe de Guinée. Ces préoccupations sont amplifiées par la prolifération d’armes qui se sont éparpillés dans toute la région après à la chute du régime de Kadhafi en Libye, ainsi que par la situation précaire prévalant au Soudan et dans la région du lac Tchad. Ces armes provenant des arsenaux libyens pillés, combinées à la présence d’acteurs non étatiques dans la région et la sous-région, ainsi qu’au déploiement de mercenaires expérimentés, ont considérablement renforcé les capacités de déstabilisation à long terme. Dans ce sens, le constat alarmant exige une réponse adéquate et appropriée pour lutter ou, au moins, stopper la métastase terroriste de se propager qui en se combinant avec d’autres variables d’ampleurs pourraient condamner la stabilité de tout un continent.

Pour ce faire, il est important de comprendre les facteurs géopolitiques qui contribuent à l’émergence et à la prolifération du terrorisme en Afrique et particulièrement la bande sahélo-saharienne. De prime, l’instabilité politique dans le continent africain provoquée par des transitions politiques chaotiques rend l’ensemble des régions plus vulnérables à la dissémination des zone grises contrôlées bien souvent par des seigneurs de guerre pratiquant le terrorisme en rentrant souvent en collusion avec des chefs djihadistes. Devant le manque des moyens financiers et l’absence des outils sécuritaires faute de ressources de ces pays, les groupes terroristes exploitent les failles politiques, sociopolitiques et les vides géopolitiques en établissant des bases et mener ainsi leurs activités.  En sus, la présence de plusieurs conflits régionaux en Afrique notamment la guerre en Libye, la crise soudanaise, le Mali, le Sahel, la Centrafrique, Somalie, Lac du Tchad et le conflit en République démocratique du Congo du mouvement M23 créent un terrain fertile aux développements des activités terroristes.  La porosité des frontières, faute d’instruments et d’approches entre les États de la région, donne aux jihadistes une facilité dans le déplacement et le ravitaillement en arme et même recruter de nouveaux membres. Les groupes terroristes tirent avantage des lacunes géopolitiques résultant de l’instabilité politique et des tensions interétatiques pour créer des espaces vacants ou profiter des zones de crise afin de consolider ou d’établir leurs bases.

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Ce phénomène peut être qualifié de « géo-terrorisme ». Ce concept nous permet de décrire comment des acteurs non étatiques ou des groupes terroristes utilisent le terrorisme afin de créer un environnement chaotique dans le but de poursuivre des objectifs géopolitiques. En d’autres termes, le « géo-terrorisme » révèle comment ces « forces » exploitent les situations de conflit pour atteindre des objectifs politiques plus larges en manipulant les dynamiques géopolitiques de la région. En ciblant des infrastructures, des institutions de l’État ou des ressources clés d’une région ou d’un pays à travers l’utilisation de la terreur et la violence, ces acteurs visent atteindre des objectifs politiques liés à la géographie, territoires, aux frontières, aux ressources naturelles et à la sécurité nationale.  D’ailleurs, la situation tumultueuse dans le Golfe de Guinée, du nord de mozambique et la bande sahélo-saharienne illustrent cette tactique bien connue chez les planificateurs de ces groupes. De surcroît, les groupes djihadistes s’établissent à proximité des zones où les différences culturelles, ethniques et religieuses (Peuls, Songhaï, Touarègues, Mandingues, etc.) sont présentes, ainsi que dans les régions marquées par des litiges territoriaux et frontaliers. Par ailleurs, la situation économique précaire dans les pays du Sahel contribue à une mauvaise gouvernance, ce qui renforce le sentiment de marginalisation, de frustration et de colère au sein des populations locales. Ces conditions difficiles favorisent le recrutement et l’adhésion à des groupes terroristes qui, en exploitant les inégalités socio-économiques et les rivalités entre les ethnies et les tribus, offrent une alternative à la vie quotidienne difficile.

Néanmoins, faudrait-t-il de le rappeler, les terroristes exploitent habilement les dynamiques géopolitiques de différentes régions du continent, profitant de la divergence de la communauté internationale quant à la meilleure lecture et approche à adopter pour contrer ces menaces. Entre l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Eurasie, le terrorisme a illustré toutes les ambivalences des relations internationales. Cela rend, hélas, plus difficile la coordination des efforts de lutte contre le terrorisme entre les pays voisins. En final, cet ensemble des facteurs géopolitiques contribuent à l’émergence et à l’enracinement du terrorisme en Afrique. Indubitablement, sans une appréhension approfondie de ces enjeux, il est impossible de concevoir les intrications complexes qui nourrissent le terrorisme et de formuler des stratégies préventives et combatives dûment efficaces.

Pour atteindre cet objectif, une approche multilatérale de lutte contre le terrorisme s’impose avec force. Le caractère transnational et transfrontalier du terrorisme avec les activités illicites qui fleurissent dans son sillage impose des mécanismes coordonnés impliquant tous les acteurs internationaux. D’ailleurs, le Maroc, pays avant-gardiste à l’échelle mondiale dans le domaine du combat contre les djihadistes est l’un des rares acteurs qui ne cesse de rappeler l’impératif multilatéral pour en faire face. In fine, une coopération internationale engageant des organisations internationales et les États dans une coopération étroite est la conduite judicieuse permettant un partage des informations, des renseignements et des bonnes pratiques dans le domaine. Outre le travail sur un cadre juridique commun pour criminaliser les actes terroristes et de renforcer la coopération judiciaire, des mécanismes multilatéraux doivent être élaborer pour imposer des sanctions ciblées contre les groupes et les États qui soutiennent les activités des groupes terroristes. C’est un secret bien connu, l’Iran et à travers des alliances avec des acteurs non-étatique et étatique, mène une stratégie hybride dans le continent africain et notamment la bande sahélo-saharienne pour assoir une vision pour promouvoir ses intérêts géopolitiques. A travers cette stratégie de « proxysation », dont l’un des pères fondateurs n’était que Kacem Soleimani, l’Iran a réussi à exercer une influence indirecte, voire directe, pour étendre son pouvoir régional tout en évitant une confrontation et une implication directe. Dans des pays tels que l’Irak, la Syrie, le Yémen et en Afrique, cette ingérence du Téhéran a procuré une certaine capacité de négociation et de dissuasion dans dossiers hautement stratégiques comme son programme nucléaire et le maintien de son soutien qu’il accorde à des groupes armés.

Cependant, selon Thomas Jefferson l’un des pères fondateurs des États-Unis qui fut connu pour son rôle majeur dans la rédaction de la Déclaration d’indépendance des États-Unis en 1776, la clé pour résoudre un problème réside dans la connaissance de ses causes. En cherchant à comprendre les origines de ce problème, il devient possible de mettre en évidence les facteurs qui se sont combinés pour le faire émerger. Ainsi, pour appréhender pleinement la complexité et la multitude de facettes de ce phénomène, il est essentiel de ne pas négliger les motivations des parties impliquées. En réalité, se concentrer uniquement sur les symptômes apparents du terrorisme ne permet, guère, de trouver des solutions durables. Cette idée est réaffirmée par le philosophe, penseur social et politique britannique, Bertrand Russell, lauréat du prix Nobel de la paix en 1950, lorsqu’il affirme que « La véritable compréhension d’un problème commence par une enquête minutieuse de ses origines ».

En adoptant cette approche, on se donne les moyens de remonter aux origines et aux facteurs qui ont contribué à la formation du terrorisme dans la région du Bande sahélo-Saharienne. Cela permet d’identifier les relations de cause à effet et les influences qui ont façonné la situation chaotique actuelle.

Il est de mise de souligner que parmi les groupes les plus périlleux présents au sein de la région du Maghreb et dans l’Afrique de l’Ouest, on peut compter aux côtés de Daech, Boko Haram et Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI). Ce dernier, tire ses origines du Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC), une entité islamiste armée établie en Algérie. Le GSPC, initialement formé durant les années 1990, période marquée par la guerre civile en Algérie, a vu le jour dans des circonstances équivoques et ambiguë.  Au fil du temps, cette entité a connu une transformation pour se muer en une branche régionale d’Al-Qaïda, en prêtant allégeance à Oussama Ben Laden en 2006. L’essor d’AQMI a généré des inquiétudes grandissantes quant à l’instabilité géopolitique et sécuritaire prévalant au sein de la région du Maghreb et du Sahel.

Depuis lors, les commandos d’Aqmi, sous la direction d’Abdelmalek Droukdal et Nabil Sahraoui, ont orchestré une série d’opérations, parmi lesquelles des enlèvements d’individus étrangers, le trafic illicite de véhicules et de cigarettes, ainsi que le commerce de drogue et d’armes. Parmi les éléments algériens qui ont contribué à la création d’Aqmi, on trouve notamment Jamal Okacha, dit Yahya Abou al-Hammam, qui a occupé le poste de chef de la brigade d’Al-Qaïda au Mali et au Niger.

En 2011, un autre groupe terroriste a émergé suite à une scission d’Aqmi : il s’agit du Mouvement pour l’Unité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). Ce mouvement adopte une rhétorique et des tactiques similaires à celles d’Al-Qaïda. Sous la codirection de Hamada Ould Mohamed Kheirou et Sultan Ould Bady, le MUJAO s’est activement déployé dans la région du Sahel, perpétrant des attaques contre les forces de sécurité et menant des enlèvements, notamment au Burkina Faso et dans la région des trois frontières appelée Lipatko-Gourma.

Dans la continuité de ces événements troublants, le Groupe de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) a émergé en 2015. Ce groupe a été créé par Adnan Abou Walid al-Sahraoui, ancien membre d’Aqmi et actif dans les milices du Polisario. Son objectif diffère : il s’agit de prêter allégeance à « l’État islamique » (Daech) et d’établir la première branche de l’organisation en Afrique de l’Ouest. Cette formation, combinée à l’émergence du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans, une alliance de plusieurs groupes djihadistes, a précipité toute une région dans le chaos.

Ce groupe EIGS, actif principalement dans les zones frontalières du Mali, du Niger et du Burkina Faso, est responsable d’une multitude d’attaques terroristes dans la bande sahélo-saharienne et le golfe de Guinée. Ses actions incluent des attaques contre les forces de sécurité locales, les civils et les intérêts occidentaux. Les conséquences de ces attaques sont considérables, avec des milliers de victimes, de déplacés et des répercussions significatives sur la stabilité régionale.

Cependant, la situation complexe dans la région du Sahel et dans l’Afrique de l’ouest s’est détériorée par la nature hybride de ces groupes terroristes, en particulier Aqmi, qui est désormais dirigé par l’Algérien Youssef Annabi.  Ce mouvement, il est important de le rappeler, se compose d’une cellule active en Kabylie et dans le nord du Mali, ainsi que de plusieurs cellules opérant au Sahel. Dans une certaine mesure, Aqmi reste profondément ancré dans sa dimension algérienne, à la fois dans sa nature et dans sa direction. Il a évolué en une insurrection régionale, trouvant des bases de soutien au sein des communautés locales, et bénéficiant du soutien à la fois d’éléments gouvernementaux et de sécurité, ainsi que de trafiquants de drogue, parmi lesquels se trouvent certains membres du Polisario et d’autres contrebandiers.

Selon les données de plusieurs centres internationaux tel que l’Armed Conflict Location and Event Data Project, la violence liée aux groupes islamistes qui sévissent en Afrique a connu une forte augmentation de 22% au cours des douze derniers mois, atteignant un total de 6 859 événements et attaques, ce qui constitue un record inédit de la violence extrémiste dans le monde.

Cette violence perpétrée par les islamistes militants en Afrique reste concentrée dans cinq principaux théâtres d’opérations : le Sahel, la Somalie, le bassin du Lac Tchad, le Mozambique et l’Afrique du Nord. Chacun de ces théâtres présente des acteurs locaux et des défis spécifiques liés à leur contexte.

Le Sahel et la Somalie sont les régions les plus touchées par la violence des islamistes militants, représentant à elles seules 77% des événements violents enregistrés en Afrique en 2022. En outre, l’ouest du Sahel, englobant le Burkina Faso, le Mali et l’ouest du Niger, a connu la plus forte augmentation des attaques terroristes en Afrique, avec une hausse de 36% et un total de 2 737 événements meurtrier.

Il est important de souligner que 40% de toute l’activité des groupes djihadistes en Afrique se concentre désormais dans la région du Sahel, ce qui en fait la zone la plus touchée par rapport aux autres régions du continent. Cette concentration de l’activité terroriste met en évidence l’importance cruciale de la situation au Sahel et l’urgence de trouver des solutions pour faire face à cette menace croissante.

En revanche, dans cette lutte menée par les pays d’Afrique de l’Ouest contre le terrorisme, l’Algérie a toujours cherché à compromettre les initiatives régionales, par crainte que ses partenaires n’agissent de manière indépendante, ce qui pourrait aller à l’encontre de ses propres intérêts et son stratagème. Cette attitude a maintes reprise entravé la coopération régionale et la coordination des efforts visant à contrer les groupes terroristes dans la région du Sahel. Une illustration flagrante de cette situation complexe réside dans le Comité opérationnel conjoint (CEMOC), établi par l’Algérie en collaboration avec plusieurs pays tels que le Mali, la Mauritanie et le Niger. Malheureusement, les promesses algériennes visant à renforcer les effectifs et les actions du CEMOC sont demeurées lettre morte. Cette ambivalence dans l’engagement de l’Algérie a engendré un brouillage des stratégies régionales, entraînant ainsi une fragmentation de la réponse collective. Plongés dans un dédale où l’ambivalence algérienne prévaut, les pays de la région et de la sous-région se sont trouvés impuissants face aux forces invisibles qui nourrissent le chaos, rendant ainsi la gestion de ces paramètres extrêmement difficile.

Par conséquent, en 2008, le président malien Amadou Toumani Touré a directement pointé du doigt son homologue algérien, l’accusant de manquer de contrôle effectif sur ses services de renseignement, qui mènent leur propre jeu au Sahel et contribuent ainsi à exacerber les tensions régionales. Cette interférence dans les affaires intérieures des États est une pratique historique de l’Algérie pour servir ses propres intérêts géopolitiques. Cela met en évidence une fois de plus la façon dont l’Algérie exploite la situation désastreuse au Sahel pour semer le chaos et mettre en œuvre ses stratagèmes de déstabilisation. En fin de compte, Alger a manifesté une réticence à s’engager pleinement dans la lutte contre le terrorisme au-delà de ses propres frontières, motivée par une perception opportuniste de la menace terroriste, utilisée comme un instrument de manipulation géostratégique.

C’est un secret Polichinelle, les autorités sécuritaires sahéliennes considèrent le terrorisme comme un héritage de l’Algérie, étant donné que la majorité des dirigeants d’AQMI et même de EIGS sont d’origine algérienne. Cette défiance découle des soupçons pesant sur le rôle joué par les services de renseignements algériens, notamment le Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), dans l’infiltration de certains groupes terroristes algériens dans les années 90, ainsi que dans l’exportation du terrorisme algérien sur leurs territoires respectifs. De plus, à la fin de décembre 2010, le président malien, animé par la crainte d’un renversement du gouvernement par un coup d’État, a pris la décision de remplacer les hauts commandants militaires responsables de la région nord du Mali, étant soupçonnés d’être sous l’influence de l’Algérie.

En fin de compte, dans une région ouest africaine avec des enjeux multiples, l’Algérie semble avoir choisi une approche bien différente dans sa lutte contre le terrorisme, mettant en avant ses intérêts géopolitiques au lieu de s’investir pleinement dans la lutte contre ce fléau à l’échelle régionale ou internationale. Sans aucun doute, et selon plusieurs observateurs, ces manœuvres opportunistes de la menace terroriste pourraient inclure la manipulation des groupes terroristes à des fins politiques et géopolitiques.

Cherkaoui Roudani

Expert en géostratégie et sécurité

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