Intelligence artificielle et géopolitique

L’intelligence artificielle et l’ére numérique ont impacté la géopolitique en multipliant les outils à la disposition des analystes.

 L’IA a accéléré la transformation de la géopolitique en un outil de gouvernance plus accessible à un grand nombre d’utilisateurs.

 Mais qu’est-ce que l’intelligence artificielle ?

L’IA n’a pas de définition universellement admise.

L’intelligence artificielle (IA) est un processus d’imitation de l’intelligence humaine qui repose sur la création et l’application d’algorithmes exécutés dans un environnement informatique dynamique.

Visant à simuler l’intelligence humaine, l’intelligence artificielle émerge depuis le début des années 2010. Les assistants personnels intelligents sont l’une de ses applications concrètes.

L’IA correspond à un ensemble de concepts et de technologies plus qu’à une discipline autonome constituée. Certaines instances, notamment la  CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) de France relevant le peu de précision dans la définition de l’IA, introduisent ce sujet comme «le grand mythe de notre temps».

Souvent classée dans le groupe des sciences cognitives, par extension elle désigne, dans le langage courant, les dispositifs imitant ou remplaçant l’homme dans certaines mises en œuvre de ses fonctions cognitives.

L’ambition des chercheurs en la matière est de permettre à des ordinateurs de penser et d’agir comme des êtres humains.

Si l’intelligence humaine est caractérisée par des aptitudes, surtout cognitives, qui permettent à l’individu d’apprendre puis de former des concepts et de comprendre, toutes ces aptitudes sont dans les possibilités actuelles ou futures de l’intelligence artificielle (IA). Ce qui semble différencier l’Homme de l’intelligence artificielle est le sentiment, la compassion, l’expression de la joie et de la colère, la tentation, la notion du bien et du mal, bref ce que d’aucuns appellent l’Humanisme.

Stuart Russell, professeur à Berkeley, plus connu comme co-auteur du manuel de référence : «Intelligence artificielle : une approche moderne» définit l’IA comme «l’étude des méthodes permettant aux ordinateurs de se comporter intelligemment».

L’IA serait-elle un terme générique ? L’imaginaire collectif y projette espoirs et peurs. Les technologies de l’IA incluent : la machine learning, la vision par ordinateur, la robotique intelligente, la biométrie, l’intelligence d’essaimage, les agents virtuels, la génération de langage naturel et la technologie sémantique.

Contrairement aux humains, l’intelligence artificielle ne peut pas être améliorée avec l’expérience. Par contre, elle peut stocker un nombre de données bien plus élevé que ne peut enregistrer une mémoire humaine. La manière dont on peut y accéder et les utiliser est très différente de l’intelligence humaine.

L’intelligence artificielle est-elle une opportunité ou un danger potentiel ? On peut légitimement se poser la question.

Bien entendu, ces nouveaux outils technologiques ne pourront jamais remplacer complétement l’interaction humaine.

L’intelligence artificielle trouve sa place dans un nombre grandissant de domaines, particulièrement, dans celui de la vie quotidienne. Si l’IA représente de nombreux avantages, elle n’est pas exempte de dangers, surtout quand l’industrie de l’armement s’en empare. L’intelligence artificielle surpasse l’homme dans sa rapidité d’analyse et par sa capacité de synthèse.

Les assistants linguistiques basés sur l’IA éliminent les obstacles que certaines personnes peuvent rencontrer au quotidien. On dispose pour cela de Siri, Alexa, Google Assistant, Cortana ou même l’un des innombrables chatbots (Robot qui dialogue par le biais d’un service de conversations automatiques), tous basés sur l’IA. La vie quotidienne de nombreuses personnes ne s’en trouve que plus facilitée, confortable et agréable. Le projet Euphoria de Google qui aide les personnes handicapées, n’est devenu possible que grâce à l’IA.

Comme il est dit plus haut, les sentiments et l’émotion sont étrangers à l’intelligence artificielle. L’avantage, un ordinateur est incorruptible et ne réagit que selon les règles et les spécifications strictes données par son programme.

 On est ainsi certain que la corruption, les états d’âme et l’instabilité personnelle, n’ont pas place dans l’action de l’IA.

Le célèbre historien, Yuval Noah Harari, a dit un jour qu’il avait plus peur de la stupidité humaine que de l’intelligence artificielle.

 On l’imagine souvent, omniprésente, capable d’interpréter les émotions et anticiper dans l’action. Bref, on l’imagine disposant et exerçant un pouvoir absolu. On en est heureusement très loin, même si déjà elle fait partie de notre vie quotidienne. Elle est déjà omniprésente dans nos smartphones, nos ordinateurs et tous nos objets connectés.

On peut citer nombre d’avantages concrets de l’intelligence artificielle, par exemple :

1/ L’intelligence artificielle trie les données, la puissance de l’intelligence artificielle permet le traitement des flux d’actualité sur Facebook, l’algorithme prédictif sur le tarif des billets d’avion, les recommandations de Netflix ou les activités d’Amazon.

2/ Ses capacités de stocker un nombre incalculable de données permettent l’organisation, le tri et l’interprétation des informations collectées. Aucun système ne peut arriver à un tel niveau de performance aujourd’hui, sans l’IA.

 3/ Elle améliore les performances industrielles grâce à l’interconnexion des programmes avec les machines. Elle est essentielle en matière de domotique et d’IoT (utilisation d’Internet en domotique). Elle permet la communication inter-machines, analyse le mode de travail, les comportements et adapte les programmes.

4/ L’intelligence artificielle s’active dans le domaine médical. L’IA est de plus en plus utilisée à des fins d’analyse, particulièrement dans l’imagerie médicale.

5/ Elle améliore nos conditions de transport. Elle est omniprésente dans la voiture autonome. À terme, c’est l’IA qui pilotera les voitures dans un cadre de sécurité que ne peut égaler l’homme. C’est l’assurance d’un trafic routier plus sûr et plus fluide.

6/ L’intelligence artificielle est plus inclusive. Elle permet aux personnes handicapées d’interagir avec leur environnement, elle ne juge pas. Elle est un domaine passionnant et un défi à nos habitudes et routines. C’est la technologie du futur qui est en train d’envahir inévitablement notre vie de tous les jours.

II

Ce futur est une guerre dont les fantassins sont des chercheurs avec comme arme, leur matière grise. Nous entrons dans l’ère de la suprématie technologique, instrument ultime de la puissance qui va rebattre les cartes de l’ordre mondial, et arbitrer les rivalités internationales. Pour la politique, l’économie et la science, l’IA est l’enjeu majeur, car elle est l’instrument de la prochaine révolution industrielle, économique, sociale et politique.

Inévitablement, l’industrie de l’armement s’est saisie de l’IA. Deux puissances font la course en tête, les États-Unis et la Chine. L’Europe et quelques pays suivent, largement distancés.

 Son intrusion dans le domaine militaire pose problème à beaucoup de penseurs, philosophes et pas seulement. Certains des grands spécialistes de l’IA tirent, eux-mêmes la sonnette d’alarme.

En janvier 2019, Patrice Caine, Président-directeur général du groupe technologique français Thales, appelait à interdire les «robots-tueurs» équipés de l’intelligence artificielle. Vu l’opposition des militaires, la communauté internationale n’est jamais parvenue, à ce jour, à se doter d’un cadre réglementaire fort pour proscrire la création de «robot-tueurs» autonomes.

Les Nations unies ont noyé le sujet dans le flot des argumentaires des uns et des autres, dans des commissions ‘ad hoc’ qui se succèdent d’année en année.

Il y a des années déjà, Yoshua Bengio, pionnier canadien de l’IA, avait relayé l’appel de Patrice Caine en précisant : «Il y a deux aspects à considérer à propos de l’intelligence artificielle appliquée aux armes létales autonomes, certaines surnommées les «robots-tueurs» et qui n’ont rien d’un film, mais constituent au contraire un enjeu actuel pour les armées, il y a l’aspect moral et l’aspect sécuritaire. D’un côté, les machines ne comprennent pas et ne comprendront pas dans un futur proche, le contexte moral, et de l’autre, poursuit Yoshua Bengio, si ces armes deviennent faciles à acheter, car beaucoup d’entreprises les fabriqueront, pensez aux drones construits avec ces armes, dotés de la reconnaissance faciale : vous aurez alors des assassinats ciblés visant des groupes de population en particulier. La reconnaissance faciale ne devrait pas être utilisée à l’échelle d’un pays.»

La campagne internationale lancée dès 2013 contre les robots tueurs par Human Rights Watch, qui regroupe plus de soixante-dix ONG dont Amnesty International, illustre cette crainte.

Hans Uszkoreit, chercheur allemand, directeur scientifique du centre de recherche allemand sur l’intelligence artificielle (DFKI) a analysé la situation aux États-Unis, en Europe et en Chine. Il écrit: «En quelques années, la Chine a réussi à rattraper les pays les plus avancés en IA et a même commencé à les dépasser dans certains secteurs.»  

Elle réussit particulièrement bien dans les services basés sur Internet, la reconnaissance faciale, l’analyse de scènes vidéo ; en robotique, elle n’a pas encore de position dominante, mais, avec d’énormes budgets de recherche et la commercialisation de milliers de start-up, elle peut y songer.

Dans la recherche fondamentale sur l’IA, note-t-il, «le financement massif en Chine, supérieur aux montants observés aux États-Unis et en Europe, commence à porter ses fruits, pas seulement en quantité, mais également en qualité».

L’intelligence artificielle, par sa progression exponentielle, est en passe de devenir un véritable instrument de puissance, aussi bien pour le hard power (applications militaires) que pour le soft power (impact économique, culturelle, etc.) Ce sont les États-Unis et la Chine qui dominent, pour le moment, ce marché et imposent logiquement leur pouvoir. L’Europe est loin, à la traine et a plutôt une attitude défensive en émettant de nouvelles réglementations. Quant à l’Afrique, elle est devenue un terrain d’affrontement entre les leaders du digital et de l’intelligence artificielle.

Les rapports de force internationaux vont être bouleversés et l’atout d’être une grande nation, disposant d’un vaste territoire et d’une démographie dynamique, ne sera plus déterminant pour dominer. La révolution numérique à laquelle nous assistons qui bouscule déjà nos habitudes, va donner une primauté à «la matière grise» sur la puissance militaire conventionnelle.

Les questions que pose l’intelligence artificielle sont nombreuses. Va-t-on voir les inégalités devenir intolérables pour des pans entiers de la société. Va-t-on garantir l’autonomie ou au contraire aboutir à une société totalitaire où la vie privée n’a plus sa place ?

Les gouvernements dits démocrates devront se pencher sur la situation créée par les géants du digital, plus connus sous l’acronyme de GAFAM. En moins de vingt ans, ils sont devenus de véritables superpuissances. Sans armées, sans légitimité démocratique, ils imposent leur diktat aux citoyens, fusse-t-il un Président des États-Unis.

On assiste, aujourd’hui, à la montée en puissance des «empires numériques». Ce sont des multinationales, parfois soutenues ou contrôlées et financées totalement ou partiellement par des états.

Elles ont, ainsi, développé des bases technoscientifiques leur permettant d’innover et de prospérer. Devenues des véritables empires, les GAFAM sont aujourd’hui un état dans l’état. On assiste à une accélération de leur concentration de puissance dans les domaines : économique, militaire et politique, grâce à l’IA. Si les États n’arrivent pas à mettre un frein à cette domination, ces empires risquent de devenir des pôles majeurs, régissant l’ensemble des affaires internationales, sans aucune légitimité électorale.

Les stratégies de non-alignement optées par l’Europe risquent de rendre les États européens, des satellites de l’un ou l’autre bloc.

La maturité́ industrielle des trois tendances technoscientifiques : le big data avec son énorme capacité́ de traitement des données, le machine learning avec ses possibilités d’apprentissage automatique des ordinateurs, et l’informatique de très haute puissance, ont imposé l’intelligence artificielle comme une priorité des fondamentaux de la géopolitique.

Grâce à l’intelligence artificielle, on réalise des grands ensembles de données, on conçoit, teste et paramètre des algorithmes. On obtient des fines analyses de l’évolution prévisible de notre société́. La géopolitique peut ainsi, aujourd’hui, guider et orienter les choix politiques pour une bonne gouvernance. Il faut cependant considérer qu’elle ne peut s’exprimer pacifiquement que si le législateur a clairement établi les lignes rouges à ne pas franchir et a réglementé les activités des GAFAM.

L’intelligence artificielle, en tant que révolution scientifique et technologique majeure, est en train de bouleverser la configuration même de la société internationale, tout en imposant une nouvelle redéfinition de la puissance et des formes même des conflits. Dans cette course à la domination planétaire, les Américains et les Chinois ne ménagent aucun effort pour asseoir leur hégémonie, en procédant à de véritables «guerres» opérées sur différents fronts de la planète par leurs «guerriers» regroupés sous le nom de GAFAMI pour les États-Unis et BHATX pour la Chine.

Les avancées spectaculaires de l’intelligence artificielle, exponentiellement accrues par les progrès technologiques, suscitent de nombreuses interrogations et débats. Ces derniers portent sur les limites politiques à l’intérieur desquelles l’IA devrait être contenue – ainsi que sur ses rapports avec l’intelligence humaine. Le transhumanisme, (augmenter les capacités humaines), est l’une des figures de ces débats. La «guerre des intelligences» n’est déjà plus un risque, mais bien une réalité. La «matière grise» apparaissant comme l’une des ressources stratégiques du futur, sa maîtrise requalifie-t-elle les rapports entre entités géopolitiques ? Car si la mondialisation entraîne les parties du monde vers un destin partagé, c’est à partir d’histoires très différentes.

III

«Celui qui deviendra leader en ce domaine sera le maître du monde» déclarait Vladimir Poutine à propos de l’IA en septembre 2017 devant un parterre d’écoliers russes et de journalistes. Trois jours plus tard, Elon Musk, fondateur de SpaceX et Tesla, renchéris : «La lutte entre nations pour la supériorité́ en matière d’IA causera probablement la troisième guerre mondiale.»

L’IA tributaire des big data est le sujet principal dans sa dimension géopolitique.

Les bases de données, détenues par les géants du numériques, comme les GAFAM (Google, Amazone, Facebook, Apple et Microsof) aux États-Unis ou les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) en Chine, constituent la source des développements de l’IA. Ce qui pose le problème de l’indépendance de la recherche des États dans ce domaine.

Les questions géopolitiques viennent se greffer à cette nouvelle «économie de l’intelligence» car elle nécessite un travail de cohabitation avec l’IA. Enfin, les ressources matérielles stratégiques pour la fabrication des objets du numérique proviennent principalement de Chine, notamment les métaux et terres rares dans des proportions considérables. Il en résulte une dépendance inquiétante de la «nouvelle économie de l’intelligence» d’un pays-continent qui a totalement découplé la croissance et le développement économique de celui des libertés démocratiques.

Le paradoxe chinois, aux yeux de l’Occident, est l’existence concomitante d’un régime quasiment «orwellien», destructeur d’une société libre et ouverte, avec une puissance économique et technoscientifique en passe de dominer le monde.

La course à l’intelligence artificielle se résume aujourd’hui à l’affrontement de deux acteurs étatiques majeurs, États-Unis et Chine. Selon Pékin, les avancées des dernières années en IA sont en train de transformer radicalement la conduite et la nature de la guerre. On est à l’aube d’une transition historique, de la guerre conventionnelle et les cyberguerres aujourd’hui dominées par les États-Unis, vers ce que les militaires désignent par une expression générique : l’activité́ de collecte et d’exploitation d’informations à des fins tactiques, opérationnelles et stratégiques.

Xi Jinping déclare vouloir : «accélérer la mise en place d’un système d’intégration militaire et civile d’innovation pour fournir un soutien scientifique et technologique solide à la construction de notre armée»
Aux dires des Chinois, l’IA abouti à la «guerre intelligenciée». Une guerre où l’IA sera l’atout-maître de tout conflit, permettant à celui qui en maitrise les propriétés, d’améliorer et d’accélérer les capacités de prise de décision du commandement, entre autres avantages. En outre, elle permet de déléguer à des machines autonomes (physiques et cybernétiques) l’exécution des tâches que l’homme est, aujourd’hui, le seul à pouvoir accomplir, avec davantage d’efficacité́ et de rapidité́.

Pour aujourd’hui, il semble que les États-Unis sont les mieux placés pour remporter cette course à l’IA, grâce à leurs réserves d’ingénieurs, leurs firmes dynamiques et innovantes, et leur armée qui intègre déjà, certaines applications technologiques de l’IA, comme les robots-soldats qui ne saignent pas, aux dires des généraux du Pentagone.

Mais la Chine en position d’outsider, pourrait néanmoins les surpasser. Cette ambition s’exprime dans le «Plan de développement de la nouvelle génération d’IA», dévoilé par le gouvernement chinois en juillet 2017. Il vise le premier rang des puissances en IA dès 2025 pour l’Empire du Milieu. Elle veut s’imposer comme le premier centre d’innovation mondial à l’horizon 2030. Pour ce faire, Pékin l’a doté d’un budget annuel de 22 milliards de dollars, qui devrait s’élever à 59 milliards d’ici 2025. Certains observateurs estiment que cette stratégie pourrait permettre au PIB chinois de croître de 26% sur la même période.

À titre de comparaison, le budget américain dédié́ à l’IA, en 2018, est évalué́ à 11 milliards de dollars. La stratégie française, quant à elle, table sur un financement public de 1,5 milliard d’euros sur quatre ans, cependant que l’Europe, dans sa totalité́, n’investit guère plus de 1,8 milliard d’euros chaque année.

L’étude des stratégies de développement en IA de la Russie, de l’Europe, de l’Inde, d’Israël ou encore de la Corée du Sud, loin d’être insignifiantes, viendraient confirmer l’émergence d’un duopole, ou à tout le moins, d’une dyade sino-américaine dans de nombreux domaines. La compétition en IA fait figure de puissant révélateur. Les possibilités formidables, mariées à l’armement nucléaire, donc terribles, que semble offrir l’intelligence artificielle paraissent si démesurées, capables de conférer à celui qui les maitrise, un pouvoir si démentiel, qu’elles nourrissent d’elles-mêmes une dynamique autonome, où chacun essaie de surpasser les avancées prêtées à l’autre camp. Pour preuve, l’intense propagande technologique à laquelle les États se livrent au sujet de leurs avancées en IA.

IV

On a toujours pensé que la révolution numérique enclenchera nécessairement une décentralisation économique. Mais il est possible que l’IA, au contraire, provoquera, ou renforcera, un mouvement de centralisation du pouvoir dans les mains d’un nombre limité d’acteurs.

Certains pensent que l’IA est neutre mais elle ne se situe pas dans un vide dénué d’humains. Le big data, la puissance de calcul et le machine learning forment en fait un système sociotechnique complexe, où les humains ont et continueront à jouer le rôle central. Peut-être qu’Il ne s’agit pas, en réalité d’intelligence «artificielle» mais d’intelligence «collective» impliquant des communautés d’acteurs de plus en plus massives, interdépendantes et ouvertes, avec leurs propres dynamiques de pouvoir.

L’actuelle révolution numérique va bouleverser nos conditions de vie autant que les rapports de force internationaux.

 L’intelligence artificielle va-t-elle créer et transformer notre planète en un Éden idyllique ? Ou au contraire aboutir à une société éclatée, où pour certain «Dieu est mort». La planète, va-t-elle être régie par des nantis richissimes, et la multitude privée d’emploi et démunie. Ce qui est certain est que l’intelligence artificielle, en tant que révolution scientifique et technologique majeure, va bouleverser la configuration même de la société.

Comme souvent, les auteurs de science-fiction ont anticipé depuis longtemps les potentialités utopiques ou dystopiques des «robots».

Mais si la perspective d’une IA consciente d’elle-même est encore lointaine, voire inaccessible, les progrès de l’IA de différentes générations restent spectaculaires.

Les bases de données gigantesques (big data), détenues par les géants du numériques, constituent la source, le point d’appui et le point d’application des développements de l’IA. L’IA de seconde génération est étroitement tributaire de l’accès et de la maîtrise de considérables masses de données, provenant des objets connectés. La troisième phase pressentie n’est pas pour tout de suite, même si d’aucuns anticipent son émergence vers 2030, autant dire «demain». Elle aurait pour caractéristique d’être beaucoup plus contextuelle et transversale, d’avoir la capacité de tenir compte de son environnement et d’associer de nombreux savoirs en situation. Elle pourrait remplacer un médecin généraliste – plus difficile qu’un radiologue ou un chirurgien – voire un avocat, et se faire passer pour un humain, tout en n’ayant pas atteint le stade de la conscience réflexive.

 C’est ici que les problèmes pourraient devenir difficiles à solutionner, car le développement de l’IA risque de ne pas respecter ni associer les libertés modernes, aux avancées technoscientifiques. Le risque que l’IA pourrait aboutir en effet à la restriction des libertés soit, non pas la conséquence de l’IA, mais bien sa condition.

 L’intelligence humaine est supposée être mesurée par le test de QI, et consiste en une capacité cognitive à distinguer et à relier, exactement comme les diverses fonctions assurées d’ores et déjà par l’IA. Dans le test de QI, ni le langage, ni la scolarité, ni les valeurs ne sont censées intervenir «en principe». La capacité et la rapidité du sujet à repérer une logique combinatoire de figures et à identifier celle qui correspond à cette logique pour «remplir le trou», est ce qui mesure l’intelligence. Qu’en est-il de l’intelligence artificielle ?

Nous nous situons à une période de l’histoire occidentale où la démarche scientifique pénètre dans le domaine des «sciences de l’homme».

 Le docteur Laurent Alexandre, écrivain et militant politique, avec d’autres futuristes, prévoit que l’économie humaine va progressivement passer des enjeux matériels (territoires, nourriture, eau, transports, énergies fossiles) à des enjeux dits «immatériels» particulièrement ceux de l’intelligence humaine et artificielle, ainsi que des réseaux numériques associés. Mais cette «immatérialité» n’est-elle pas un leurre ? Elle nécessite des supports matériels pour être mise en œuvre (métaux précieux, terres rares, énergie, etc.) et génère de graves problèmes écologiques dans son exploitation. La dématérialisation, enjeu majeur de «l’intelligence», procède de la matière et développe des sphères d’activité relativement autonomes.

Les questions géopolitiques viennent se greffer à cette nouvelle «économie de l’intelligence». Ceci implique des ressources humaines importantes et une adaptation de l’enseignement.

Les enquêtes à vaste échelle constatent d’ores et déjà de sérieuses différences entre pays, avec une progression impressionnante des pays d’Asie orientale (Singapour, Japon, Corée du Sud, Chine, dont on connaît par ailleurs la valorisation de l’enseignement par le Confucianisme. Il se fait que ces régions du monde sont celles où le développement du numérique et de l’IA est le plus important et où se situent les grosses entreprises du BATX et du GAFAM. La familiarisation avec l’IA y est plus grande et les ressources de big data particulièrement importantes.

Dans le cas de la Chine, l’absence de protection du citoyen-consommateur dans un marché intérieur immense et l’utilisation massive du contrôle social par le biais de l’IA, facilite la croissance locale de l’industrie du numérique et posent la question grave du respect d’une éthique, telle qu’elle est ressenti en Occident.

Certes, l’Empire du Milieu hérite d’une tradition millénaire d’inventivité technique (dont l’invention de l’imprimerie, antérieure à Gutenberg) et de la valorisation confucéenne du savoir. Ceci explique la rapidité de son développement après la période d’affirmation nationale maoïste. Mais son savoir technoscientifique résulte bien d’une importation en provenance de l’Occident libéral, comme d’autres parties du monde non occidental.

Comparée à d’autres régions du monde non occidental, il y a bien une spécificité asiatique de développement de plus en plus endogène de «l’intelligence» humaine et artificielle, au sein de laquelle la Chine occupe une place inquiétante, par sa dimension extrêmement autoritaire et sa concentration des ressources humaines et matérielles.

Les entreprises et les États les plus avancés sur le plan technologique ont perçu dans l’intelligence artificielle un moyen extraordinaire d’accroitre leur puissance d’agir.

Ainsi est née une dure compétition autour de la suprématie en IA qui épouse un schéma analogue à la course à l’arme nucléaire ou à l’espace, durant la guerre froide.

Mais un aspect est occulté, a fortiori par la géopolitique et les études stratégiques ; son intégration analytique qui est fondamentale pour prendre pleinement la mesure de ce phénomène.

Si l’intelligence artificielle attise tant les convoitises de tous bords, c’est que sa désirabilité́ s’affranchit, pour une large part, de la raison rationnelle, et qu’elle se déploie bien plus fondamentalement sur un registre passionnel et affectuel extrêmement primitif.

À ce fantasme répond ce que le politiste Stanley Hoffman appelait la «pensée experte» qui considère que tout problème politique lato sensu est résoluble par la technique. À l’instar des technologies passées, les stratèges américains ont une immense confiance dans la capacité́ de l’IA à résoudre les problèmes d’ordre géopolitique.

Le modèle américain participe d’une stratégie néolibérale de transfert des technologies à l’appareil militaire, du fait que le Département de la Défense déploie tout un arsenal de mesures incitatives en direction du secteur privé pour l’amener justement à partager ses innovations.

Le modèle chinois, quant à lui, est beaucoup plus dirigiste. C’est l’administration centrale qui contrôle la sphère économique.

L’irruption de l’intelligence artificielle en géopolitique est en train de redistribuer les cartes, au gré de l’avance des chercheurs dans ce domaine.

L’humanité a connu plusieurs révolutions qui ont fait faire des bonds à la condition humaine. Il y a eu la découverte du feu, de la roue, la révolution industrielle qui perdure et nous entrons aujourd’hui dans l’ère de l’intelligence artificielle, une nouvelle étape pour l’humanité. Cette étape concerne non seulement la vie de tous les jours, mais la nouvelle forme d’expression de l’homme, ses structures sociales et l’ordre mondial.

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