La Réforme des marchés publics, un vecteur de transformation de la gestion des finances publiques

Par Farida Moha

La journée d’information et d’échange sur la réforme des marchés publics n’aura pas dérogé à la règle qui sous-tend les nombreux séminaires organisés par la trésorerie générale.  Une règle simple : pour faire face à la complexité du monde à ses évolutions et à ses crises il est nécessaire de développer les compétences, le partage de connaissances et d’informations, les synergies et la transversalité des actions de l’administration. La formation n’est pas seulement un moyen de promotion sociale  mais un outil de modernisation de l’administration qui permet de s’adapter aux nouvelles missions de faire face aux changement de l’environnement international .Les séminaires et rencontres organisés régulièrement par la trésorerie générale, ouverts et très suivis par les responsables des différents départements ministériels répondent à cet enjeu clef, celui de constituer un capital  de compétences afin  de répondre aux changements et  aux nécessaires adaptations et afin de réussir des réformes indispensables à la gestion des finances publiques. La journée consacrée à la réforme des marchés publics suivie par le gotha de l’administration aura rempli ce rôle pour « faire bouger les lignes »  .Pour mettre l’administration en mouvement  et effectué le passage à l’échelle, pour se donner les moyens de reformer  de manière utile et efficace au plus près  des besoins  de notre pays, un travail indispensable est nécessaire en amont et en aval. Ce travail est le résultat d’une méthode rigoureuse fondée sur la participation et l’intelligence collective   « cette réforme souligne Noureddine Bensouda dans son mot d’ouverture est le résultat d’un processus de débats, de contributions et d’études réalisées par la trésorerie générale  en relation avec ses nombreux partenaires nationaux et internationaux en l’occurrence l’Agence de coopération allemande au développement ».Auditions, entretiens avec les responsables avec  de différentes instances publiques, avec des départements ministériels , avec la cour des comptes, avec la CGEM  et les différentes fédérations professionnelles,  les représentants de la société civiles les partenaires internationaux…Le balisage est large, réalisé dans le but d’apporter une valeur ajoutée aux différentes réformes réalisées dans ce domaine depuis des décennies ..

Une fois la réforme menée, fruit d’un travail collectif et d’une vision convergente et concertée des parties prenantes de la commande publique, il faut en fixer le cap et le partager par une stratégie de formation continue des formateurs des comptables publics, des partenaires et des services gestionnaires au niveau central et déconcentré. Ce chantier sera également porté par une diversification d’outils de communication et par une digitalisation, gage de traçabilité et de transparence des différentes étapes du processus et d’une optimisation de l’impact socioéconomique.  Au-delà de la réforme, c’est sa mise en œuvre qui conditionne sa réussite. Comment avec quels outils, quels cercles et quels modes de gouvernance? Noureddine Bensouda répond aux question de Maroc diplomatique.

Maroc diplomatique : La commande publique est une composante importante de l’activité économique. Un mot sur cette question ?

Noureddine Bensouda :  Il est évident que la commande publique a un impact sur l’économie dans sa globalité. Comme vous le savez, l’Etat injecte une masse financière importante chaque année, j’entends par là, toutes les dépenses de l’Etat, des Collectivités Territoriales, des Entreprises et Etablissements Publics. Pour l’année 2023, il est prévu 300 milliards de dirhams d’investissements publics. Ces investissements doivent profiter à toute l’économie, qu’il s’agisse des ménages ou des entreprises (grandes entreprises, très petites, petites et moyennes entreprises, Auto-entrepreneurs, coopératives et unions de coopératives, ..) Ces entreprises fournissent des produits et services à l’Etat,  qui bénéficient à leur tour aux citoyens en leur offrant un service public de qualité, notamment au niveau de l’enseignement, de la santé, de l’habitat, du transport, des infrastructures…

  • La réforme des marchés publics est dites-vous le vecteur d’une transformation de notre gestion des finances publiques marquée par un déséquilibre de la balance commerciale et par d’importants déficits ?

La Ministre de l’Economie et des Finances, Nadia Fettah, et Fouzi Lekjaa, Ministre Délégué chargé du Budget ont insisté, dans leur présentation du projet de loi de finances 2024 au niveau du parlement, sur la sauvegarde des équilibres macro-économiques. Dans ce sens, il est important d’encourager les entreprises marocaines pour qu’elles puissent accéder plus largement à la commande publique notamment, à travers la préférence nationale.  C’est d’ailleurs pour cela, que le gouvernement a insisté dans la réforme des marchés publics sur la préférence nationale qui, existait certes, dans le décret de 2013, mais avec le décret 2023, elle est plus visible et mieux encadrée.

Ainsi, la préférence nationale qui était applicable aux seuls marchés de travaux et aux marchés d’études y afférents  a été étendue aux marchés de fournitures et aux marchés de services, avec fixation du taux à 15%. Il en est de même pour les marchés d’études et pour les marchés de conceptions et de réalisation des systèmes d’informations pour lesquels la réforme a introduit l’obligation de recourir à l’emploi d’experts nationaux dans la limite de 20% lorsque l’attributaire est une entreprise non installée au Maroc. Mais il faut garder en tête, que la préférence nationale doit s’exercer dans le respect des engagements pris par notre pays dans le cadre des accords d’association et de libre-échange.

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  • Pour réussir une réforme l’Etat doit se rendre accessible et les réformes doivent être comprises. Comment comptez-vous partager faire vivre et assurer l’appropriation de cette réforme ?

Vous avez raison d’insister sur la mise en œuvre de la réforme, car c’est ce qui conditionne sa réussite. C’est un exercice de méthode. Plus précisément, la méthode suivie pour la réforme du décret sur les marchés publics, a permis de prendre en considération les attentes de toutes les parties prenantes. L’Etat a fait participer tous les acteurs, avec comme mot d’ordre, l’écoute, la concertation et la participation. La réforme est en effet, le travail de tout le monde ;  chacun a exprimé son point de vue et la majeure partie des propositions ont été intégrées dans le décret, bien sûr, tout en préservant la cohérence et l’intégrité du texte.

En effet, cette réforme a été conçue en concertation avec les opérateurs économiques représentés par la Confédération Générale des entreprises du Maroc ( ),  la Fédération du Bâtiment et des Travaux Publics (FBTP), la Fédération Marocaine du Conseil et de l’Ingénierie (FMCI), la Fédération des Laboratoires de BTP (FLBTP), le Conseil de l’Ordre National des Architectes (CNOA), L’Ordre National des Ingénieurs, Géomètres et Topographes (ONIGT), …

Et, pour la première fois, le gouvernement, même s’il s’agit d’un texte règlementaire, a tenu le présenter au parlement afin de recueillir ses observations et ses propositions. Pour ce qui est de la mise en œuvre de la réforme, la Trésorerie Générale du Royaume  a procédé au paramétrage des différents systèmes d’information concernés par les marchés publics notamment, le portail des marchés publics et le système de gestion intégrée des dépenses, pour les adapter aux apports et innovations de la réforme, en vue de rendre plus aisée l’exécution des opérations y afférentes par les différents acteurs.

Cette action a été d’ailleurs couplée à une politique pertinente de formation et de sensibilisation des différents acteurs directement impliqués dans les processus de préparation, de passation, d’exécution et de contrôle des marchés publics. S’ajoute à cela, la mise en œuvre d’un plan de communication destiné à assurer une meilleure vulgarisation et une plus grande sensibilisation des différents intervenants dans le processus de passation des marchés publics, entamée depuis le mois de mai 2023. Ces actions qui constituent en fait, les outils indispensables pour l’ancrage réussi de la réforme au plus près de la réalité du terrain et des attentes du citoyen contribuable, ont été mises en évidence lors de la journée d’échange et d’information organisée par la Trésorerie Générale du Royaume, le 24 du mois courant.

  • Comment assurer une concurrence ouverte en tenant compte du développement des régions et des PME ?

Vous savez, le portail marocain des marchés publics mis en place  par la Trésorerie Générale du Royaume depuis 2007, constitue le socle de publication des opportunités d’affaires en matière des marchés publics, dans un cadre d’équité, d’égalité d’accès et de transparence et au vu d’un référentiel juridique universel applicable à tous les acteurs (Etat, Collectivités Territoriales et établissements publics) Le décret de 2023 prévoit, en outre, l’obligation de publication des programmes prévisionnels pluri-annuels des achats au niveau dudit portail.

En effet, le texte des marchés publics  prévoit que les acheteurs publics qui sont les  départements ministériels, les collectivités  territoriales et les établissements  publics, doivent annoncer  à l’avance sur les trois années à venir, comment et selon quelle programmation temporelle, ils vont procéder à l’achat public. Plus exactement pour la première année, ils doivent mettre sur le portail des marchés publics (PMP) tous les appels d’offres détaillés et doivent annoncer pour la 2ème et la 3ème année, de manière agrégée, leur programme prévisionnel des achats.

Tout cela,  pour informer tous les concernés et intervenants dans la commande publique, et notamment afin de permettre aux fournisseurs de se préparer à ces appels d’offres. Ainsi, la programmation triennale est déclinée en annonces sur trois années en ce qui concerne les marchés publics et donc, c’est cette convergence qu’il est nécessaire de viser. Et cela participe, bien évidemment, à donner à tout un chacun, la possibilité de participer équitablement à la commande publique.

Il y a  un 3ème niveau, on a dit trois ans pour la programmation budgétaire et trois ans pour la programmation des marchés publics, pour que tous sachent quels sont les appels d’offres qui vont arriver, mais en même temps, il y a une nouveauté au niveau du texte, puisqu’ en sus de ce qui existait auparavant sur la capacité de réalisation des entreprises, aujourd’hui, il est exigé par le nouveau décret que celui qui vient participer, produise un plan de charge. Et pour être plus précis et plus explicite, il est nécessaire de s’assurer que  l’entreprise qui va participer à l’appel d’offre soit en mesure de réaliser le marché, car il ne faut pas oublier que derrière ce marché public, il y a un service public qui est attendu, et donc, la gestion du temps est primordiale. Je vous rappelle que pour ce qui concerne les PME, la réforme a consacré la réservation de 30% du budget prévisionnel annuel des marchés à lancer par tout maitre d’ouvrage, aux très petites, aux petites et moyennes entreprises, aux coopératives, aux unions de coopératives et aux auto-entrepreneurs, y compris les jeunes entreprises innovantes, notamment celles intervenant dans le domaine de la transition numérique (start-up).

Cette réforme a en outre, consacré le dispositif de recours à des prestataires installés au Maroc, notamment les TPME, lorsque le titulaire du marché envisage de recourir à la sous-traitance. En plus et afin de soulager la trésorerie de l’entreprise et, de surcroît, réduire substantiellement les coûts que cela occasionne pour l’ensemble des concurrents et éviter qu’ils soient utilisés à des fins de discrimination entre les concurrents, la réforme a introduit l’expression du cautionnement provisoire en valeur et dans la limite de 2% du montant de l’estimation du marché établie par le maître d’ouvrage. Par ailleurs, le nécessaire équilibre entre les attentes sociales et les exigences d’équité territoriale dans le processus d’achat public est de nature à faciliter le développement des territoires et l’amélioration de leur attractivité ainsi qu’à stimuler le tissu économique local.

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C’est dans cet objectif que la réforme préconise notamment, l’introduction de l’obligation pour tous les maîtres d’ouvrage de prévoir, dans le dossier d’appel d’offres, que les titulaires des marchés de travaux et de services autres que les études sont tenus de recourir à l’emploi de la main-d’œuvre locale dans la limite de 20% de l’effectif requis pour la réalisation du marché.

Il en est de même de l’introduction de l’obligation pour le maître d’ouvrage de prévoir, dans le dossier d’appel d’offres, que les titulaires des marchés de travaux doivent faire appel au savoir-faire des artisans pour les marchés comportant une composante artisanale; A cet égard, la commande publique a un double rôle. Elle est l’outil par excellence pour fournir les infrastructures, équipements et services publics dont les populations ont besoin et qui posent les fondements d’une plus grande attractivité des territoires. Elle est ensuite, un instrument pour stimuler le tissu économique local et favoriser la croissance et le développement régional, par des effets d’agglomération et d’accumulation du capital humain

La commande publique à l’adresse des zones et espaces locaux est un levier d’inclusion territoriale qui assure donc une meilleure répartition des fruits de la croissance, la lutte contre la vulnérabilité et le désenclavement, et favorise ainsi la mobilité, la productivité et l’intégration dans la dynamique de développement du pays et , in fine , de la durabilité de l’équilibre économique et la préservation de la justice sociale.

  • La réforme met l’accent sur la transparence. La traçabilité des données qui permet de lutter contre la corruption et le favoritisme. Un mot sur la nouvelle réglementation dans ce sens ?

La transparence de la dépense publique est autant un enjeu citoyen, témoignant de la bonne gouvernance des deniers publics, qu’un enjeu économique, en facilitant un juste accès des entreprises à la commande publique, et un enjeu d’efficacité de l’action publique, en permettant un pilotage efficient de cette politique par l’ensemble des responsables publics. Cette gouvernance est symbolisée par l’élaboration de politiques prévisibles, transparentes et éclairées, éléments soumis à l’état de droit. Les questions liées à Ce principe de gouvernance, tels que, l’accès à l’information, la transparence, la probité, la lutte contre la corruption, l’éthique de responsabilité et la participation sociale, sont d’ailleurs consacrées par la constitution du 1er juillet 2011.

En outre, la dimension de transparence, d’intégrité et de redevabilité consacrée par la réforme est à mettre en relation avec la dimension démocratique que recouvre les marchés publics, face à une demande forte des citoyens qui exigent eux-mêmes ou par le biais de la société civile et de la représentation nationale, une politique de la commande publique qui intègre les valeurs de qualité, de neutralité, d’intégrité et de probité dans la réalisation des projets et programmes publics. Il s’en suit que pour favoriser l’émergence d’une véritable culture de la commande publique qui implique notamment et au préalable, la promotion de la transparence et le développement de l’information en matière de marchés publics, la réforme a introduit un dispositif d’interopérabilité avec les systèmes tiers qui permettra la consultation sur le portail des marchés publics, par la commission d’ouverture des plis, des informations et données se rapportant aux dossiers des concurrents aux marchés publics.

Il en est de même pour l’institution de l’obligation pour le maître d’ouvrage, d’abord de veiller à l’obtention de toutes les autorisations et approbations prévues par la législation et la réglementation en vigueur, et de s’assurer ensuite de l’assainissement de l’assiette foncière, avant le lancement de la procédure de passation des marchés de travaux.

C’est ensuite, l’introduction de l’obligation de déclaration d’intérêt aussi bien pour les membres de la commission d’appel d’offres, que pour toute personne intervenant dans le processus de passation des marchés susceptible de se trouver en situation de conflit d’intérêt. C’est enfin, l’interdiction pour toute personne ayant participé à l’élaboration des dossiers d’appel à la concurrence, de présenter sa soumission à l’appel à la concurrence qui s’en suit. Il en est de même de l’interdiction faite à toute entreprise pour participer au marché d’achèvement, consécutif à un marché résilié au tort de cette même entreprise.

  • La digitalisation est présentée comme un levier stratégique….nombre de PME ne sont pas digitalisées…comment éviter l’éviction d’une partie du tissu économique de cette composante des marchés publics.

Comme vous le savez, la digitalisation renforce la transparence et l’efficacité de l’exécution des dépenses et améliore l’interaction administration/ entreprise à travers le renforcement de l’interopérabilité, la réduction des délais de passation des contrats et ceux d’ordonnancement et de paiement des dépenses publiques.

Elle permet aussi de  promouvoir l’expertise nationale et l’innovation et la recherche développement, devenue par excellence une référence clé au sein du secteur privé et une véritable arme de compétitivité et de répartition des parts de marchés, notamment au bénéfice des PME. Dans le droit fil de la transformation numérique des services publics, le recours aux systèmes de passation électronique des marchés publics et les technologies numériques, comporte la soumission électronique des offres, le système des enchères électroniques inversées, le système de gestion électronique des achats groupés, qui profitent davantage aux PME.

La digitalisation est au cœur des marchés publics et consiste en la possibilité, pour les acheteurs publics et les entreprises, de conclure des marchés par voie électronique, que ce soit par le biais d’un message ou d’une plateforme en ligne, moyens souvent utilisés car mieux maitrisés par les PME. C’est là, sans doute, un des nombreux outils privilégiés, prévus par la réforme des marchés publics à destination des PME et des nouvelles entreprises innovantes qui opèrent dans les domaines du digital et du numérique.

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