Ceuta et Mellila : l’impertinente bévue de Si Mayara

Par Hassan Alaoui

Le Président de la Chambre des conseillers, Enâam Mayara, vient de se fendre d’une déclaration dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est la plus malvenue aujourd’hui. Devant un parterre de femmes, il a cru jouer – hélas ! très mal – le représentant de la diplomatie du Royaume en appelant le gouvernement espagnol à restituer les présides de Ceuta et Mellila et autres territoires alentour.

Rien n’est plus inopportun que cette sortie médiatique lancée à la cantonade en ce moment précis devant un parterre de femmes istiqlaliennes à l’occasion d’une fête du parti. Rien non plus ne saurait la justifier, compte tenu du contexte maroco-espagnol absolument – je dis absolument – délicat, de sa temporalité inappropriée et des conséquences immédiates et lointaines qu’elle implique.

Le président de la Seconde chambre, dont par ailleurs on souligne le patriotisme aigu, est néanmoins malvenu à présent pour reposer cette revendication. L’écho de celle-ci n’échappera guère aux autorités ibériques compte tenu du statut officiel de celui qui l’a lancée. Il sort du cadre officiel tracé depuis longtemps, et notamment depuis feu Hassan II qui, en concertation avec le Roi Juan Carlos, relayé ensuite par les gouvernements des deux pays s’étaient engagés sur les termes d’un processus de concertation, dirions-nous de dialogue bilatéral pour prendre acte d’une situation géopolitique et de la nécessité de prendre en compte les difficultés qui lui sont inhérentes.

Mayara est vite allé en besogne et ses déclarations ne peuvent que susciter l’effet contraire. Il ne mesure pas les conséquences de ses propos, tant et si bien que le gouvernement espagnol, par la voix de sa ministre de la défense, Margarita Robles, lui a rétorqué aussitôt : « Ceuta et Melilla sont espagnoles (…) toutes aussi espagnoles que Pelencia et Zamora… ». Une telle rhétorique n’est pas nouvelle, elle a été le leitmotiv historique du pouvoir espagnol depuis des siècles, considérant les deux enclaves comme des « Plaza de Plena soberanía » (territoires de pleine souveraineté). Cet attachement de Madrid aux deux villes notamment, ne l’a pas pour autant empêché d’envisager à un certain moment « leur échange contre Gibraltar » proposé curieusement à la Grande Bretagne qui n’a jamais caché son vif intérêt pour les enclaves. Feu Hassan II, toujours, avait eu cette lumineuse phrase que « si jamais l’Angleterre cédait Gibraltar à Madrid, il n’y aucune raison pour que cette dernière ne cède les présides au Royaume du Maroc… ». Ici, l’intelligence géopolitique surplombe le raisonnement de bon sens, le Roi du Maroc mettant en exergue son sens aigu des équations. Il venait de décider de concert avec Juan Carlos la création du fameux mécanisme d’échange et de concertation sur le comment activer le partenariat bilatéral entre les deux pays, dont Ceuta et Mellila tenaient le haut du pavé.

Or, le débat sur les enclaves qui nous renvoie à coup sûr à la problématique de la décolonisation, ne saurait être tranché ex-abrupto par une déclaration – lapidaire à nos yeux – d’un président de la Chambre des conseillers, prompt à caresser dans le sens du poil les fantasmes des militants de son parti politique, fussent-ils convaincants et légitimes. Plusieurs siècles ont imposé une certaine empreinte sur le statut des territoires du nord occupés par l’Espagne, celle-ci.

Les propos de M. Mayara ne peuvent donc pas ne pas choquer nos amis espagnols voire même des Marocains lucides et conscients des enjeux qu’ils impliquent. Le gouvernement espagnol de Pedro Sanchez a courageusement adopté une attitude raisonnable, d’autant plus courageuse qu’elle modifie la donne dans l’affaire du Sahara, dont il a non moins courageusement reconnu la marocanité. Il l’a fait contre vents et marées , défiant l’opposition de droite et de l’extrême-gauche de Podemos, quitte à subir les Fourches Caudines d’une pouvoir algérien qui en conçoit plus que de l’aigreur, insufflant aux relations entre le Maroc et l’Espagne une nouvelle dynamique, sans doute jamais réalisée auparavant.

Le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez s’est inscrit dans une tradition, d’abord dans le sillage de Donald Trump qui a reconnu en 2020 la marocanité du Sahara, ensuite dans celui de l’Allemagne, des Pays Bas et d’autres pays. Le Président du gouvernement espagnol a effectué le 1er février dernier au Maroc une visite officielle au cours de laquelle il a signé une vingtaine d’accords de coopération portant sur les énergies, la diplomatie, l’agriculture, l’immigration et le renforcement des échanges commerciaux, confirmant ainsi le statut de l’Espagne comme premier partenaire du Royaume et celui-ci comme 3ème destination des exportations de l’Espagne en Afrique.

Dire en effet que l’amitié maroco-espagnole est désormais un pilier exemplaire de la géopolitique méditerranéenne, relève du truisme. Le Maroc ne peut pas ne pas en être fier et tirer les leçons de ce paradigme inédit. Autant que faire se peut il préserve l’esprit de cette proximité géographique, historique, politique, économique, commerciale, culturelle, humaine enfin. Or, pour avoir pris le difficile pari de renforcer cette amitié avec le Maroc, si profondément, Pedro Sanchez a relevé le défi de l’hostilité des milieux hostiles au Royaume du Maroc et combattu nos adversaires. Et, ce faisant, toute réaction mettant cause la relation privilégiée entre le Maroc et l’Espagne risque de briser tous les espoirs et de faire effondrer, en effet, les espoirs et les projets de ce partenariat privilégié entre nos deux pays. Il convient de rappeler que les deux pays semblent relancer le fameux projet gigantesque de pont intercontinental de liaison entre les deux pays.

En un mot, à la lumière des prochaines élections espagnoles, municipales et régionales prévues le 28 mai prochain, et législatives ( générales) en décembre, que l’opposition de la droite et de l’extrême-gauche briguent avec acharnement, il convient de souligner que tout changement de majorité – disons de nature de pouvoir – pourrait ne pas être favorable au Maroc. Autrement dit, M. Mayara devrait en l’occurrence observer une certaine réserve ou l’usage de la discrétion en évitant de gêner aux entournures un gouvernement espagnol, depuis toujours combattu et prêtant le flanc sur cette question des présides de Ceuta et Mellila. Sans oublier qu’au premier juillet prochain l’Espagne exercera la présidence de l’Union Européenne et éventuellement, M. Pedro Sanchez et qu’à ce titre, il pourra être l’avocat pro domo du Maroc.

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