Quand Rabat Capitale africaine de la Culture accueille la 14ème édition du FIMA

Tribune

Par Monceyf Fadili (*)

Organisée sous le Haut patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, la 14ème édition du Festival international de la mode en Afrique – FIMA a constitué l’un des moments forts de la célébration de Rabat Capitale africaine de la Culture. Une initiative conjointe de Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique (CGLU Afrique), du ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, et de la Ville de Rabat, placée sous le thème « La synergie des cultures pour le développement de l’Afrique ».

Cette grande rencontre des créateurs de la mode africaine s’est tenue sur l’emblématique site du Chellah autour de panels, expositions et défilés de modes, concours Jeunes créateurs et Top Models, concours Bijoutier, Maroquinier et Textile, avec des participants venus de quarante-deuxpays et la présence de personnalités telles que les ambassadeurs africains accrédités au Maroc, Déborah Katisa Morais Brazao Carvalho, Première dame du Cap Vert et marraine officielle du festival, Jean-Pierre Elong Mbassi, Secrétaire général de CGLU Afrique, et Célestin Monga, Professeur d’économie.

Créé et organisé au Niger, le FIMA a été délocalisé à deux reprises, à Dakhla (2018) et à Rabat, pour la présente édition. 

Le FIMA : un instrument de promotion de la Culture en Afrique

Le fondateur et concepteur du FIMA est Alphadi, de son vrai nom Seidnaly Sidhamed, créateur de mode nigérien. Surnommé le « Magicien du Désert » depuis le lancement du FIMA en 1998 à Tiguidit, dans le désert du Ténéré, il n’a de cesse de porter haut le patrimoine culturel et artistique de l’Afrique à travers la mode, la création vestimentaire et la valorisation de l’art du vêtement, dans une relation entre tradition et modernité. Un hommage à l’expression des talents et de la créativité, mais aussi un vecteur de développement à l’échelle du continent.

Rabat Capitale africaine de la Culture pour l’année 2022-2023 est en cela une opportunité pour porter la voix des arts et la dynamique d’intégration culturelle de l’Afrique et de sa diaspora, à travers les différentes formes d’expression de la mode et de la création artistique, tout en renforçant les liens culturels qui unissent le continent.

Trois objectifs guident la démarche du FIMA :

  • Promouvoir l’émergence d’une industrie de la mode et des Arts au service du développement ;
  • Capitaliser le savoir-faire artisanal traditionnel africain ;
  • Faire de l’Afrique un hub de l’industrie de la Mode, des Arts et de la Culture.

Des objectifs qui donnent la mesure du rôle de la culture et de son impact sur les sociétés – notamment africaines –, à la lumière des nombreux enjeux que connaît l’Afrique en matière de développement économique et de réduction des inégalités, d’intégration sociale et d’emploi des 

jeunes, de droits des femmes et de gouvernance locale. Une importance qui consacre la Culture comme quatrième pilier du développement durable, récemment confirmée lors du 9ème Sommet Africités – Kisumu, Kenya (mai 2022). 

En effet, « au-delà de l’événement et du spectacle de réputation mondiale, l’organisation du FIMA dans le cadre de la célébration de Rabat capitale africaine de la culture voudrait envoyer un signal fort sur l’importance des métiers de la mode, du design, et de la création pour affirmer l’image et la place de l’Afrique dans un monde où sa part de marché dans les industries créatives est à conquérir ; et pour inviter les populations et les décideurs du continent à prendre la mesure du potentiel de ce secteur pour contribuer à la création de richesse, de l’emploi et du positionnement de l’Afrique dans un marché de la mode et de la création en plein remodelage » (Jean-Pierre Elong Mbassi).

Un tel engagement a valu à Alphadi – considéré comme le « pape de la mode Africaine » – nombre de reconnaissances internationales, dont le prix de la fondation Prince Claus en présence de la Reine Beatrix des Pays-Bas, et d’Artiste de l’UNESCO pour la paix (2016).

Alphadi a gratifié le public de cette 14èmeédition du FIMA de trois soirées animées de défilés grandioses, à la mesure des talents que comptent les 54 Etats d’Afrique. Un festival de couleurs où les lignes les plus modernistes ont rivalisé avec la tradition, par un recours à une palette de textiles en rappel aux métiers et traditions des différentes régions du continent. Le tout agrémenté d’une multitude d’accessoires (bijoux, parures, sacs…) portés par des Top Models, selon une mise en scène aux sons de l’Afrique et de sa richesse musicale. Le défilé des Jeunes créateurs, quia retenu la Côte d’Ivoire comme lauréat, a été suivi de La Nuit Panafricaine avec 32 pays ; la troisième soirée étant consacrée à La Nuit des cinq Continents avec une sélection des talents d’Afrique et dela diaspora.

Le meilleur Top Model a récompensé la Côte d’Ivoire chez les hommes, le Maroc chez les femmes. Parmi les membres du jury, à noter la présence de Rebecca Ayoko, l’une des égéries d’Yves Saint-Laurent.

Culture, économie et finance

L’art et la culture figurent au cœur des politiques de développement des villes et des territoires en Afrique. Il s’agit d’un capital à valoriser par la mise en place de politiques territoriales de la culture, en considérant la culture comme un élément moteur de développement économique et social, une force de propositions en termes de créativité et d’innovation, de production de richesses et de citoyenneté. Un axe que l’Agenda 2063 de l’Union africaine exprime par « Une Afrique ayant une forte identité culturelle, un patrimoine commun, des valeurs et une éthique partagée ».

Dans cette perspective, l’expression d’un cadre culturel volontariste en Afrique doit s’appuyer sur des politiques publiques dotées d’instruments juridiques et réglementaires appropriés, où le secteur de la mode et ses différentes composantes soient considérés comme partie intégrante de l’économie, dans une articulation entre culture et développement, pour la contribution à une « architecture culturelle ». Il s’agit, au-delà de la culture et de son caractère sociétal, de donner un sens aux communautés, à leur évolution et au legs qu’elles sont censées transmettre. En cela, la culture aide à « créer un consensus » en matière de normes sociales, de comportements et d’attitudes, y compris parmi les jeunes en les encourageant à « porter africain ».

Une vraie chaîne de valeurs doit pouvoir s’instaurer entre les créateurs, les designers et les producteurs avec l’implication du secteur privé,composante essentielle d’un dispositif économique collectif et innovant qui participe du développement en Afrique, à l’instar de Nollywood et du million d’emplois générés. Un dispositif qui doit être endogène, par la capacité à transformer et produire, mais aussi à labéliser et commercialiser, y compris en direction dela sixième région de l’Afrique représentée par la diaspora. Dans une perspective d’intégration économique, il est à retenir l’encouragement de toutes les formes d’intégration de la production artistique et artisanale, particulièrement en direction du secteur informel, par la création de Fonds de développement culturel, notamment à l’attention des femmes porteuses de projets.

Protection des œuvres et propriété intellectuelle

La protection des œuvres et le droit des auteurs sont à figurer au rang des priorités des gouvernements, pour des politiques culturelles à même de développer un cadre de valorisation, d’appropriation et de protection du patrimoine culturel. Pour cela, un véritable plaidoyer est à engager, pour « convaincre les politiques » à la nécessité de cadres réglementaires, et « créer un nouveau narratif » en termes de sensibilisation, d’appropriation et de valorisation culturelle. Un narratif qui passe par un état des lieux, un recensement et une traçabilité en vue de réunir les conditions d’une protection et sauvegarde du patrimoine culturel africain.

Deux axes sont à retenir en faveur de cette démarche :

  • L’éducation à travers l’école, pour faire de l’espace scolaire l’un des premiers creusets de l’identité culturelle en Afrique, en établissant le lien entre éducation, culture et créativité.

Dans ce dispositif pédagogique, une place est à accorder aux technologies émergentes par l’accès aux technologies de l’information et de la communication en direction des jeunes, en vue de réduire la fracture digitale. Tout comme est nécessaire un processus d’accompagnement des 500 écoles de mode à l’échelle du continent, notamment par la mise en réseau et l’établissement de modalités d’accréditation.

  • La conservation et la préservation à travers le musée, comme espace dédié au recensement, à la valorisation et à l’appropriation du patrimoine aux différentes échelles territoriales. Un processus devant s’accompagner d’un cadre de reconnaissance et de labélisation par l’inscription des productions performantes au Patrimoine national.

Une telle démarche est appelée à s’appuyer sur l’ensemble des parties prenantes à la production artistique et artisanale à travers les acteurs institutionnels, les élus locaux, les représentants des métiers et la société civile. Enfin, on ne saurait trop souligner l’importance d’un cadre d’intervention normatif et harmonisé en matière de protection des œuvres, de propriété intellectuelle et, de manière globale, de patrimoine culturel et artistique. Au-delà de politiques gouvernementales et culturelles spécifiques, un processus de coordination inter-africain – appuyé par les instances internationales – est à mettre en place, sous la forme d’un document d’engagement qui fédère les Etats pour un plaidoyer panafricain en faveur de la culture et de sa promotion.

* Ancien Conseiller ONU-Habitat

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