Relance, croissance… Dr Youmni propose un regard sur les promesses gouvernementales

Crise sanitaire due au Covid-19, flambée des prix des matières premières, déséquilibre des chaînes d’approvisionnement alimentaire…plusieurs crises multiformes ont mis à mal l’économie nationale, au cours des deux dernières années.

Toutefois, les indicateurs de la reprise économique se veulent rassurants et font état, désormais, d’une relance prometteuse, dans un contexte toujours tourmenté par des crises géopolitiques internationales.

L’occasion pour  Abdelghani Youmni, docteur en économie et en Management Public de l’IAE de Nice, et spécialiste de l’Intelligence économique et des politiques publiques sur le continent africain, de dresser une analyse de l’économie nationale ainsi que de son degré de résilience face aux crises.

Le spécialiste revient également, dans cet entretien, sur l’efficacité des mesures prises par l’exécutif dans le cadre de la relance, tout en portant un regard sur les promesses gouvernementales faites dans ce sens.

Maroc Diplomatique: analysez-vous l’économie marocaine dans un contexte de crises multiformes ? A quel niveau estimez-vous l’impact ? Quels secteurs sont les plus touchés ?

Abdelghani Youmni: Il faut avouer que le contexte est tout à fait singulier, les crises multiformes se superposent, elles impactent l’économie mondiale et l’avenir de la version désormais caduque de la mondialisation. En premier lieu, une crise sanitaire d’une ampleur inédite qui a gelé la croissance et l’emploi dont nous extirpons avec peine suivi d’une crise géopolitique qui a causé une flambée des coûts de l’énergie, du  pétrole, du gaz , de l’électricité et du blé. Sans oublier la capacité de ces crises a faire ressusciter le cycle infernal de l’inflation et du retour de l’extrême pauvreté.

Certes, en 2021 au Maroc la économie économique est repartie en tutoyant les 7% et absorbant la récession de plus de 6% de 2020 puis à nouveau sa dépendance des secteur agricole et tertiaire et de l’investissement public fait que la croissance économique de 2022 ne dépassera guère les 1.5%. C’est curieux de remarquer la très faible corrélation entre emplois et croissance économique, la sécheresse fait perdre des emplois, le pays a perdu 432000 emplois en 2020 avec une récession de 6.7% et n’a crée que 230000 emplois en 2021 avec plus de 7% de croissance, il est certain que la sécheresse reste le plus grand accélérateur de perte d’emplois au Maroc.

Il est indéniable aussi que la flambée des prix de l’essence, du gasoil et des produits alimentaires aura un effet sur la consommation des ménages, les activités des entreprises malgré les subventions et les aides consenties par l’Etat pour juguler les effets de la crise. Il faut dire que le choix de l’Etat de ne pas sortir le gros chéquier le met face à un dilemme, laisser filer le déficit budgétaire et la dette publique pour préserver le pouvoir d’achat et la paix sociale ou poursuivre la politique monétaire et budgétaire macro prudentielle « dépenser mieux » afin de ne pas briser la spécificité résiliente de l’économie marocaine.

A noter au passage que la concentration géographique et sectorielle de l’économie marocaine rend aisée la détection des secteurs fragilisés par les récentes crises, si le secteur de l’agriculture et de la pêche a perdu plus de 183000 emplois ce n’est pas seulement sous l’effet de la crise énergétique mais plutôt de la sécheresse, quant aux secteurs industriel, artisanal et touristique, ils ont crée plus de 120000 emplois.

A ce jour, il est très difficile d’évaluer l’impact de l’inflation sur l’activité économique du Maroc, la cherté de vie est réelle et bien installée mais les effets de l’inflation encore à seulement un chiffre et pas deux  ne sont pas facilement ni  mesurables ni observables sur l’économie et sur la société comme c’est le cas pour la Turquie, l’Argentine ou le Royaume-Uni.

On parle de relance économique, est-ce les mesures prises par le gouvernement peuvent soulager les entreprises ? Est-ce que l’économie marocaine peut encore résister à la volatilité du contexte géopolitique international ?

Il est vrai que le Maroc s’est distingué beaucoup mieux que ses voisins du continent africain et du pourtour sud et est méditerranéen à faire de la crise sanitaire une opportunité et de se hisser au rang de plateforme essentielle dans l’attraction  présente et future des chaînes de valeurs globales et de devenir un hub stratégique pour des industries comme l’automobile, l’aéronautique et les énergies renouvelables.

Il est tout autant vrai que le gouvernement a fixé quatre axes prioritaires pour renforcer l’Etat social, la relance de l’économie, le soutien de l’économie , la consécration de la justice spatiale et le rétablissement des marges budgétaires pour pérenniser les réformes. En ce qui concerne les dispositifs d’appui, ils ne sont pas de nature fiscales ou de subventions directes et d’allègement du coût du travail mais plutôt sous forme de relais de garanties avec Tamwilcom doté d’un fonds de 30 milliards de dirhams sous la forme de trois produits Damane Tayssir pour les crédits d’exploitation, Damane Istitmar pour les crédits à l’investissement, et Damane Express pour le financement des TPME.

Lire aussi : Économie nationale au T2-2022: la note du HCP en 10 points clés

Cette initiative est associée à un volume de crédits Oxygène et Relance qui a dépassé actuellement les 52 milliards de dirhams. Impossible de ne pas faire le rapprochement entre la décision de Bank Al Maghrib de maintenir le taux directeur à 1.5%  inchangé et au plus bas, c’est un signe plutôt positif. Un taux directeur à 1.5% est un appui au secteur industriel, aux investissements dans les infrastructures publiques, à l’immobilier, tant neuf que de deuxième main, et enfin aux divers projets de relance de l’économie , l’emploi et la croissance économique, d’encourager l’investissement, de rassurer les actionnaires et les chefs des PME.

Sur le terrain de la politique économique, les pièges tendus par la crise géopolitique sont nombreux, les entreprises vont beaucoup s’endetter pour compenser la baisse de leurs chiffres d’affaires et le risque et que l’endettement élevé et la contraction de la demande pourraient conduire à une faiblesse de l’investissement. Mais le point central est de continuer à explorer le champ de la souveraineté alimentaire et énergétique pour rendre la balance commerciale moins volatile à la complexité des variations des cours de change de l’euro et du dollar et de celles des matières premières et des intrants.

Notons que le déficit commercial du Maroc a augmenté de 48,7% à fin juin 2022 par rapport à la même période en 2021, pour s’établir à 150,49 milliards de dirhams (MMDH), on voit aussi que les ventes des phosphates et dérivés ont presque doublé pour atteindre 36.141 MDH à fin avril 2022 contre 18.195 MDH à fin avril 2021. Cette hausse des valeurs des importations et des importations est surtout tirée par l’inflation mondiale, ce qui est manifeste est que malgré les fragilités de l’économie marocaine, l’effet ciseau de la facture énergétique est tempéré par le modeste effet papillon dans les secteurs clés de l’économie marocaine y compris l’agroalimentaire. Si ce n’est pas la baraka, c’est un curieux mélange de résilience et de sobriété.

Le gouvernement table sur 4,5% de croissance pour 2023, est-ce la réalité conjoncturelle peut permettre d’atteindre de taux ? Sur quel leviers doit se baser le gouvernement pour atteindre cet objectif?

Le gouvernement table sur une croissance économique de 4.5% soit trois point de plus que 2021 en se basant sur une production céréalière de 75 millions de quintaux, un cours de gaz butane à 750 dollars la tonne, un baril de pétrole à 98 dollars et un taux de change du dollar à 9.8 dirhams pour un euro à 10.64 dirhams. On se risquera pas de désavouer le gouvernement mais à la lecture de sa note de cadrage du PLF2023, l’exécutif anticipe une dépréciation du dollar face à l’euro et ce n’est pas impossible avec la probable augmentation du taux directeur de l’euro et cela va améliorer les recettes de nos exportations tout en pesant sur les importations.

Cependant inflation, croissance économique, croissance agricole et prix des carburants ne doivent pas nager ensemble et chacun dans son couloir, leur interdépendance n’est plus un secret de polichinelle. En réalité, deux points de croissance au moins dépendent la campagne agricole, un point de l’inflation énergétique et 1.5 point de la vigueur de nos industries et des consommations intérieures publique et privée.

Mais au-delà du pari du gouvernement sur la convergence d’effets consolidant la croissance de la valeur ajoutée, il n’est pas dit que la pluviométrie soit au rendez-vous pour portée la jambe primaire de notre croissance et que la crise géopolitique entre l’Ukraine et la Russie s’atténue pour accoucher d’un effet déflationniste de l’économie et que l’euro reprend sa place de monnaie forte face au dollar.

A y regarder de très près toutes les mesures à prendre sont inflammables pour les équilibres budgétaires et pour les comptes financiers des entreprises sauf celles qu’on peut qualifier de profiteurs de la crise qui ont engrangent de superprofits depuis l’avènement de la COVID-19 et aussi avec la crise géopolitique. A court terme et pour l’année 2023, les marges de manouvre ne sont pas extensibles, plus monétaire que budgétaire et plus au niveau de l’amélioration de l’attractivité des Investissements Directs Etrangers et des exportations, à long terme, c’est un chantier plus vaste qui ne doit pas exclure la montée en gamme technologique portée par les chantiers de l’éducation et de la formation professionnelle  et la diversification des partenaires commerciaux à l’international dans le cadre de plusieurs triangulations.

Dernièrement, il y a les accords du dialogue social, en plus de l’inflation, est-ce que le gouvernement peut toujours contenir la soutenabilité de ces subventions ?

Plusieurs observateurs pointent la modestie des dépenses publiques et des subventions de l’Etat pour réduire les effets dévastateurs de cette avalanche de crises. Et ce n’est pas tout à fait mon avis, la redistribution doit se faire par l’impôt et non pas par la dette et les déficits publics qui rendent tout Etat otage de bailleurs internationaux et parfois de pays comme c’est le cas aujourd’hui de pays dans notre continent africain vis-à-vis de la Chine.

Le gouvernement a été courageux en voulant poursuivre le renforcement des fondements de l’Etat social que ce soit par la généralisation de la protection sociale, des allocations familiales et de mener une réflexion sur la réforme de la retraite. Ce n’est pas suffisant mais c’est utile. Puis, la décision  de porter le SMIG à 2.970 DH dès septembre 2022 et à 3.111 DH dès septembre 2023 vont dans le bon sens  surtout que ce le revenu minimum est celui d’une majorité de ménages marocains. En tout cas, il faut aller plus loin pour créer un effet de rattrapage sur l’ensemble des revenus intermédiaires car les prix ont augmenté, les chiffres d’affaires et les profits de nombreuses entreprises et une indexation des salaires sur l’inflation semble essentielle.

Dans l’inconscient collectif et ce n’est pas faux est que les subventions ne peuvent pas souffrir de soutenabilité si le gouvernement prend la voix de la justice fiscale et ce ne sont pas les transferts monétaires vers les ménages qui pourront à eux seuls contenir les effets des inégalités entre classes sociales et territoires mais des dépenses dans l’éducation, la santé ,la formation professionnelle et l’emploi durable. Nombreuses sont les expériences qui ont montré que le syndrome hollandais de la rente transformée en consommation des ménages sert plus le sous-développement et l’assistant que l’émergence.

Propos recueillis par Mouhamet Ndiongue

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