Développement: A Doha, la société civile monte au créneau

Tribune

 Par Abdelhak Zegrari (*)

La cinquième Conférence des Nations Unies sur les Pays les moins avancés (PMA) s’est tenue à Doha du 4 au 9 mars 2023, sous le thème “Du potentiel à la prospérité”. A la tête de la délégation marocaine, S.E Omar Hilale est venu témoigner de la solidarité aux pays Africains et défendre une certaine idée de la coopération Sud-Sud basée sur les spécificités de chaque pays. Aujourd’hui, 40% environ de la population du globe sont pauvres, et 72% de ces pauvres vivent en Afrique ; ils ne représentent que 1.3% du PIB mondial et moins de 1% du commerce mondial et des investissements directs étrangers.

Ce processus n’a lieu que tous les 10 ans. . Cela signifie que 50 ans se sont écoulés depuis la première conférence consacrée aux défis spécifiques auxquels sont confrontés les PMA et aux mesures destinées à améliorer leur situation et à les aider à sortir de ce statut. Il y a 50 ans, 17 pays étaient considérés comme faisant partie de la catégorie des « moins avancés ». Aujourd’hui, ils sont 46, ce qui prouve non seulement que les mesures destinées à les « aider » ne fonctionnent pas, mais aussi que le système économique actuel plonge de plus en plus de pays dans des conditions économiques et sociales extrêmement compliquées. En 50 ans, seuls 6 pays ont quitté cette catégorie ! Le programme d’action de Doha a été approuvé à New York le 17 mars 2022 ; et dès 2021, plusieurs organisations de la société civile avaient contribué à apporter des amendements aux différentes versions afin de promouvoir des mesures structurelles ; mais le document négocié qui en a résulté est peu ambitieux et s’inscrit davantage dans une logique de maintien du statu quo. Par ailleurs, la société civile s’inquiète de l’abondance des fausses solutions et des promesses non tenues, ainsi qu’au non-respect des principes fondamentaux pour le développement durable des PMA, au premier rang desquels le principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives.

Au cours de la semaine, un point est revenu à plusieurs reprises dans les discussions, concernant le besoin de partenariats mondiaux de grande envergure pour garantir un financement à la hauteur de l’enjeu. Les PMA sont les plus durement touchés par de multiples crises, dont la pandémie de COVID-19, la crise climatique, l’accroissement des inégalités, l’augmentation du fardeau de la dette et les chocs économiques. Au cours de la dernière décennie, le coût du service de la dette dans les PMA a grimpé d’environ 5 % en 2011 à plus de 20 % aujourd’hui. Or, l’architecture financière internationale nécessite de profondes modifications car elle n’est absolument plus adaptée à son objectif. Elle est moralement en faillite, elle ne peut pas le faire. Le récent accord fiscal à deux piliers de l’OCDE, qui attribue la plupart des droits d’imposition aux pays riches, en est un exemple clé. Les engagements pris pour favoriser l’intégration dans les marchés mondiaux et l’allégement de la dette pour libérer davantage de ressources financières ne sont pas respectés. Les PMA devraient plutôt construire leur maison sur leurs propres piliers et refuser les conseils politiques biaisés du FMI et de la Banque mondiale, qui les ont entraînés dans le piège de l’endettement. Afin de soutenir la mobilisation fiscale et de lutter contre la fuite des capitaux, des règles fiscales mondiales équitables sont nécessaires. Saluons les initiatives des gouvernements des PMA, en particulier ceux d’Afrique, visant à créer une convention fiscale des Nations unies. Cette convention devrait créer un espace où tous les pays auraient un siège à la table des négociations, l’objectif ultime étant de créer des règles fiscales équitables et de garantir la transparence fiscale pour tous les pays. Le « cadre commun » du G20 est inadapté pour restructurer équitablement la dette en temps voulu. Il faudrait mettre en place un cadre juridique multilatéral sous les auspices des Nations unies qui traiterait de manière exhaustive la dette insoutenable et illégitime, y compris par le biais d’une annulation de la dette à grande échelle. Les initiatives internationales ad hoc actuelles pour résoudre le problème de la dette sont insuffisantes et les évaluations de la viabilité de la dette sont inadéquates, car elles ne tiennent pas compte des droits de l’homme, de l’égalité des sexes ou des besoins d’investissement dans le domaine du climat.

De même, la société civile soutient une Convention fiscale pour s’attaquer de manière globale aux paradis fiscaux, aux abus fiscaux des multinationales et aux autres flux financiers illicites ; il est essentiel d’entamer d’urgence des négociations intergouvernementales pour renforcer une coopération fiscale inclusive et efficace au sein des Nations Unies. Si l’on ne remédie pas d’urgence aux défaillances du système fiscal international, les pays du monde entier continueront à perdre des milliards de dollars de recettes publiques. Cela augmentera les niveaux d’endettement déjà insoutenables, aggravera l’inégalité des revenus et des richesses et sapera la capacité des gouvernements à répondre à la crise, tout en diminuant la base des recettes publiques des pays en développement.

L’Onu devrait prendre l’initiative d’une supervision et d’une réglementation des agences de notation de crédit, en convoquant une commission intergouvernementale universelle, pour corriger et éviter les effets négatifs de ces agences sur la finance internationale. Enfin, il est urgent de mettre en œuvre des engagements en matière d’aide publique au développement (APD) afin d’atteindre et de dépasser l’objectif de 0,7 % pour l’APD sous forme de dons inconditionnels. Alors que les ambitions de l’Agenda 2030 s’éloignent, il est essentiel de s’assurer que les engagements de longue date en matière de fourniture d’aide internationale au développement, notamment en garantissant la qualité et l’efficacité, se concrétisent et d’obtenir des engagements pour rattraper plus de 50 ans d’engagements non tenus, en plus des objectifs futurs en matière de flux d’APD.

La communauté internationale devrait manifester son soutien à ce genre de conférence dont la pertinence nous rappelle que le cas des PMA n’est pas isolé, malheureusement ; la situation de pays à revenu intermédiaire est loin d’être parfaite. L’ensemble du système économique doit être réanalysé en profondeur, à l’aune des crises environnementales, des crises de la dette et de la fiscalité, de la souveraineté alimentaire et la santé, ainsi que l’économie numérique et les crises systémiques, y compris les impacts différenciés dans certaines populations. . Aucune mesure isolée appliquée à un seul pays ou même à un groupe de pays ne peut réellement suffire à relever les multiples défis auxquels ils sont confrontés. Il doit s’agir d’une réforme globale prenant en compte plusieurs niveaux systémiques.

Les PMA disposent d’énormes richesses en ressources naturelles. Contrairement à l’agriculture industrialisée de haute technologie qui dépend d’intrants importés et de combustibles fossiles pour construire des systèmes de production en monoculture, l’agroécologie offre une approche scientifique, holistique et locale de la transformation structurelle des systèmes agricoles et alimentaires décrite dans le plan d’action de Doha. Concernant les défis auxquels est confrontée l’agriculture, il faut soutenir les promesses de l’agroécologie et promouvoir les investissements dans les pratiques agroécologiques pour renforcer la souveraineté alimentaire, avec autonomisation des femmes, des systèmes de semences paysannes, des expériences nationales en la matière. On passera du potentiel à la prospérité en investissant dans les personnes. Cet investissement public comprend le soutien à la capacité des communautés rurales à mettre fin à la faim, à la malnutrition et à la pauvreté. Alors que la tendance est de se concentrer sur les lacunes qu’il faut combler coute que coute , il faut encourager la mise en valeur des richesses propres, en matière de connaissances et de ressources naturelles .

L’idée selon laquelle les PMA sont « laissés pour compte » par l’économie mondiale est erronée . En fait, ils sont beaucoup plus intégrés dans les marchés mondiaux que n’importe quel autre groupe de pays, mais dans des conditions profondément inégales. Ces conditions reflètent des schémas d’exploitation coloniale qui remontent à des centaines d’années, mais aussi des systèmes d’exploitation nouveaux et actualisés, notamment des règles profondément injustes concernant le service de la dette publique et privée et des niveaux très élevés de concentration des entreprises dans le commerce mondial des produits de base. Le système financier les enferment dans un cercle vicieux : ils doivent trouver des devises pour payer les importations de denrées alimentaires, d’engrais et d’autres intrants agricoles, ce qui pousse toujours plus de terres à la production de cultures commerciales destinées à l’exportation, au détriment d’écosystèmes résistants et riches en biodiversité. Il existe des preuves irréfutables que, grâce à des techniques telles que l’agroforesterie, les engrais verts, le vermicompostage, les cultures de couverture, le travail minimum du sol et d’autres techniques de régénération, l’agroécologie améliore la teneur en carbone des sols, augmente considérablement la capacité de rétention d’eau du sol et la résistance à la sécheresse, et tempère l’effet des températures élevées. En outre, la réduction de la dépendance à l’égard des intrants externes réduit les coûts des agriculteurs et est meilleure pour la santé des sols à long terme que la dépendance à l’égard des engrais synthétiques. Les programmes de marchés publics sont un autre outil important pour créer des marchés pour les petits exploitants pratiquant l’agroécologie tout en soutenant les initiatives d’alimentation scolaire et de nutrition.

L’immense défi auquel seront confrontés les PMA est d’ordre démographique, réussir à intégrer en une génération un milliard d’individus dans un contexte de crise climatique, faible productivité, de quasi-absence d’industrie et une urbanisation effrénée ! D’où la nécessité d’inventer un nouveau modèle de développement inclusif et durable.

(*) Economist. UN Civil Society Forum

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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