Du juste équilibre entre l’irrépressible liberté d’expression électronique et l’intelligent contrôle public de son exercice.

Par Dalil Abdelkader

L’opinion publique électronique se définit d’abord par son support, l’ordinateur ou le smartphone connectés à la borne internet. Elle consiste en de simples gestes, des clics en l’occurrence, ou des avis, des réactions, des commentaires divers et variés et des publications audiovisuelles d’images, postés sur la toile.

Elle consiste, en outre, en une espèce de vote électronique d’approbation ou de désapprobation du contenu, de la qualité, de la beauté, de l’originalité ou de la bizarrerie des images, des textes et des vidéos postés par les divers et multiples internautes collectifs ou individuels, publics ou privés.

Elle se caractérise par son instantanéité. Elle n’est soumise à aucune contrainte de calendrier, une consultation électorale par exemple. Elle est active et réactive en permanence. Son flux est continu.

Son effervescence et son silence sont proportionnelles à la sensibilité des sujets d’actualité, à l’importance des décisions publiques et aux ressentis négatifs ou positifs y afférents.

L’agora électronique est ouverte. La participation aux débats y est libre, les avis les plus atypiques y sont admis. Aucune censure n’est en principe exercée en amont. Chacun est en droit d’émettre son opinion sur n’importe quel sujet en discussion online. Toutes les opinions, expertes ou inexpertes, se valent en principe.

Les barrières de genre, le complexe des appartenances sociales, l’obstacle du savoir et du professionnalisme, la diversité géographique et culturelle, aucun critère classique de distinction ne limite cette liberté électronique. Elle en fait d’ailleurs allègrement fi.

Même s’il existe partout à travers le globe un arsenal de lois et de règlements tendant à l’encadrer, sa canalisation s’avère jusqu’ici imparfaite, voire source d’incompréhension et de conflit.
Nul ne conteste qu’une opinion publique vivante et vivace demeure un indicateur fiable de l’état de démocratie.

Une « opinion publique électronique » aussi vivace risque, par contre, de tuer dans l’œuf les démocraties en formation, notamment lorsqu’elle emprunte les chemins de traverse de la stigmatisation de la réussite légitime, de la jalousie sociale, du viol des intimités, des informations fallacieuses, de la subversion et de la déstabilisation.

Le mode d’expression des opinions électroniques, fort aisé, encourage, de toute évidence, l’émission, derrière les écrans de PC, de Mac ou de smartphone, d’avis borderlines.
Il suffit en effet d’un clic du doigt sur l’icône idoine pour approuver ou désapprouver une assertion quelconque.

Aucun effort insurmontable de réflexion et d’analyse n’est requis à cet effet. Les caprices du moment de l’internaute suffisent.
Le clic anonyme sur l’icône du pouce tendu vers le haut ou vers le bas l’en dispense.

L’addition des clics, leur agglomération finit par faire ce qu’il est convenu d’appeler un « buzz ». Une « façon internet » de dénommer l’opinion dominante en sociologie, majoritaire en droit électoral.

Quand l’agrégation des clics positifs porte sur des sujets d’intérêt général, l’opinion électronique fonctionne tel un outil d’aide à la décision publique légitime.

Lorsque, par contre, la masse des clics négatifs porte sur les intérêts privés de personnes publiques ou privées, l’opinion électronique agit tel une arme de destruction massive du jeu démocratique.

L’ opinion électronique dispose, à l’instar, de Janus, de deux faces. Une première face positive qui renforce le système démocratique. Une deuxième face qui risque de le démolir.
L’opinion électronique est ainsi à la fois un poison et un contrepoison pour la démocratie.

La brider est quasi-impossible. Et même si le progrès des outils technologiques de surveillance a atteint aujourd’hui des niveaux de perfection époustouflants , l’intérêt bien compris des démocraties en voie de développement est justement d’éviter d’en abuser.

Le « syndrome du couvercle » n’est jamais aussi loin. L’excès de surveillance produit de la méfiance et érode à terme la légitimité des systèmes politiques qui en usent et abusent.
L’excès inverse d’une liberté électronique débridée génère un effet pervers aussi déstabilisant. Il pousse les systèmes politiques à recourir, en désespoir de cause, à une sorte dictature électronique.

Un mur de méfiance se dresse entre les opinions électroniques surveillées de si près et les dictatures électroniques amenées à renforcer sans arrêt leur « chape électronique ».

La solution d’un tel dilemme réside dans un jeu d’équilibre subtil entre la nécessaire liberté d’expression électronique et l’indispensable contrôle de son exercice.
La « liberté d’expression électronique », à l’instar de toutes les autres formes de liberté, devrait se plier à un « cahier de charges » dont les clauses existent bel et bien, et à profusion, dans les différents codes du droit civil et du droit pénal.

Une application intelligente des textes et une sanction différenciée et graduée des délits éluderont les chocs inévitables de l’incompréhension, de la mésentente et de l’impopularité.

Le contrôle devrait être, à son tour, souple. Il privilégiera le recours aux « Nudges », aux méthodes douces d’incitation, à la persuasion, à la dissuasion par le contrôle croisé citoyen et à l’éducation médiatique. La coercition n’est, en l’hypothèse, qu’un ultime recours, nécessairement proportionné et limité dans le temps.

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